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Histoire Epistémologie Langage
Volume 39, Numéro 2, 2017
La grammaire sanskrite étendue
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Page(s) | 153 - 176 | |
Section | Varia | |
DOI | https://doi.org/10.1051/hel/2017390208 | |
Publié en ligne | 18 avril 2018 |
Sur quelques mots et leur parcours dans la lexicographie latine du Moyen Âge et de l'Humanisme★
Università degli Studi di Milano,
Milan, Italie
Les ouvrages de la latinité médiévale tels que le Liber glossarum, l'Elementarium doctrinae rudimentum de Papias, les Derivationes de Hugutio de Pise, le Catholicon de Jean de Gênes constituent des témoignages fondamentaux de la réflexion linguistique sur le latin d'un point de vue descriptif et normatif, et de l'héritage culturel de l'Antiquité gréco-latine. Ces ouvrages sont les étapes d'un parcours qui, à travers l'emploi et la réélaboration qu'en font des humanistes comme Cristoforo Scarpa, Giovanni Tortelli, Nestore Avogadro, Niccolò Perotti, prélude à la création de la pratique lexicographique moderne. Cet article veut illustrer justement ce parcours à travers l'analyse de quelques mots latins, dont le traitement suggère un classement typologique reflétant les différentes manières dont la lexicographie monolingue médiévale et humaniste a conçu et réalisé le rapport entre grammaire et lexique.
Abstract
Mediaeval linguistic thought concerning the Latin language produced reference works such as Liber glossarum, Papias' Elementarium doctrinae rudimentum, the Derivationes of Hugutio and John Balbi's Catholicon. These texts do not only transmit the canonical topics of the former grammatical tradition but also act as a source in preserving the Greek and Latin cultural heritage. They represent important steps in the constitution of a monolingual lexicography that, in varying measures and for certain aspects, thanks to the use and elaboration by humanists such as Cristoforo Scarpa, Giovanni Tortelli, Nestore Dionigi Avogadro and Niccolò Perotti, anticipate modern lexicography with its models and uses. The paper aims at illustrating these aspects by evaluating certain Latin words whose treatment in the entries of the abovementioned works from the Middle Ages to Humanism can suggest a typological classification which can also reflect the different ways in which the relationship between grammar and lexicon has been conceived and brought to fruition.
Mots clés : lexicographie / histoire de la pensée linguistique / métalangage / latin médiéval
Key words: Lexicography / History of the Linguistic Thought / Metalanguage / Mediaeval Latin
Mes remerciements vont à Anne Grondeux et aux évaluateurs anonymes pour leurs conseils précieux, et à Marie-France Merger, qui a relu la version en français de cet article. Il s'agit d'une version adaptée de la contribution présentée au cours du colloque « Lexicology and Lexicography : Historiographical Approach », organisé par l'Università degli Studi di Milano et The Henry Sweet Society for the History of Linguistic Ideas (Palazzo Feltrinelli, Gargnano del Garda, 17-19 septembre 2015). Pour la participation à ce colloque je tiens à remercier M. Patrizia Bologna, Giovanni Iamartino et Savina Raynaud.
© SHESL/EDP Sciences
Il y a quelques décennies, Claude Buridant, coordinateur de la rencontre de Lille sur La lexicographie au Moyen Âge, publiée en 1986 dans le numéro 4 de Lexique, affirmait que « la lexicographie médiévale est relativement peu explorée » et qu'elle « a trop souvent été considérée comme une branche secondaire de la linguistique ou un outil négligeable de la littérature ». Aujourd'hui, même si l'on se limite au domaine de la lexicographie du latin au Moyen Âge, domaine dans lequel s'inscrit cette contribution, le panorama a très fortement changé, d'une part grâce à cette même rencontre, qui a mis à profit la tradition antérieure en posant en même temps les fondements de la réflexion lexicologique jusqu'à aujourd'hui, d'autre part grâce à l'édition de témoins importants de la pratique lexicographique médiévale tels que les Derivationes d'Osbern de Gloucester (1996) et celles d'Hugutio de Pise (2004) pour n'en citer que quelques-uns, enfin grâce à des projets d'édition tel que celui du Liber glossarum (Libgloss ERC StG 563277) coordonné par Anne Grondeux, qui est arrivé à son terme.
Les contenus que je propose ne peuvent donc que s'ancrer – très fortement – dans ce même sillage et tirer abondamment profit des connaissances, des instruments, des critères herméneutiques et des coordonnées méthodologiques offerts par cette tradition d'études ; c'est pour cette raison que je donnerai seulement quelques exemples concrets, concernant des lexèmes particuliers et leur traitement dans les « grands lexiques savants de la latinité médiévale1 » : le Liber glossarum (VIIe-VIIIe siècles), l'Elementarium doctrinae rudimentum de Papias (ca. milieu du XIe siècle), les Derivationes d'Osbern de Gloucester (ca. 2e moitié du XIIe siècle) et celles d'Hugutio de Pise (ca. 1200), la cinquième partie du Catholicon du dominicain Jean Balbi, achevé le 7 mars 1286. Dans ces textes, je m'occuperai de la place réservée à la description grammaticale des lexèmes et à ses corrélats métalinguistiques2.
1 Lexique et grammaire : formes et typologies d'un rapport
En effet, on a affirmé que, dans ces produits de l'instance classificatoire du répertoire lexical latin, la grammaire est intégrée d'une façon remarquable et entretient avec le lexique3 un rapport très étroit, réciproque4 et bidirectionnel. Et le rôle réservé à la description grammaticale dans ces grands ouvrages monolingues manifeste leur nature de « composante-limite » de la lexicographie5, parce que, comme c'était déjà le cas dans le monde latin6, les renseignements formels qui caractérisent les mots sur le plan morphologique, plus rarement syntaxique, souvent sur le plan phonographique, s'intègrent et dialoguent avec les informations d'ordre sémantique, lesquelles décrivent les signifiés mais peuvent introduire aussi la description des propriétés du référent extralinguistique, s'ouvrant ainsi à une perspective encyclopédique concernant la res.
Ce rapport entre composante sémantico-lexicale et composante proprement morphosyntaxique et phonographique, que les lexiques savants médiolatins héritent de la culture linguistique romaine, doit au Moyen Âge sa persistance à la continuité avec les contenus culturels et les coordonnées épistémiques et idéologiques appliqués à la description normative du latin telle qu'elle avait été élaborée par les grammatici antiqui et antiquissimi et avait été reçue par les magistri médiévaux, pour lesquels le latin était une langue non naturalis sed regulata. En même temps, cette continuité s'alimentait et se soutenait du fait que la grammatica, qui était reconnue comme origo et fundamentum liberalium litterarum (Cassiod. Instit. II, praef. 4), coïncidait avec la langue des textes sacrés et était un moyen privilégié servant à la connaissance, à l'interprétation et à la préservation du Verbum Dei. Dimension constitutive des savoirs humains, donc, la grammatica était aussi une dimension fondatrice du rapport entre Dieu et les hommes, instrument valable (et nécessaire) à l'expression et à la compréhension du réel et du surnaturel. Par conséquent, les notions et les contenus grammaticaux concernant les mots et leur structure formelle, ainsi que leur signifié et les relations sémantiques entre les lexèmes, sans oublier aussi le souci touchant leur correction phonétique et/ou graphique (contre les vitia de l'usage et les erreurs des imperiti), informent et soutiennent les glossaria et les lexiques du Moyen Âge latin. L'évidence linguistique, en tant que signum, est reflet des realia, chaque mot étant, dans son signifiant et dans son signifié et avec les rapports qu'il entretient avec d'autres mots, l'image de la classification des res qu'il désigne et à la compréhension et à la mémorisation desquelles il sert.
Par ailleurs, dans les articles de ces répertoires lexicographiques monolingues, le lien entre (disons, en simplifiant) ‘grammaire’ et ‘lexique’ se manifeste à différents degrés et se prête à une hypothèse de classification typologique dont on peut observer aussi la distribution en diachronie, avec ses continuités et ses points de rupture et d'innovation par rapport aux premiers ouvrages des Humanistes. Dans l'ensemble, ce parcours peut être conçu comme une progression (et c'est en effet de progressio par rapport à ses ancêtres que parle déjà Papias dans le prologue de son Elementarium doctrinae rudimentum), une progression qui n'est ni linéaire, ni homogène, ni complète7, mais qui représente de toute façon une étape vers un modèle de dictionnaire conçu et réalisé suivant les critères de la lexicographie moderne.
Le Liber glossarum peut sans aucun doute être placé au commencement de la longue lignée dans laquelle s'insèrent les instruments ultérieurs de la lexicographie médiévale, par rapport auxquels, et sans nier l'apport des sources qui l'ont précédé (tels que les glossaires Abavus et Abstrusa ou l'Isidore des Etymologiae) et dont les contenus ont été massivement intégrés, il montre sa valeur exemplaire et fondatrice également du point de vue du lien entre lexique et grammaire, et du point de vue de ses formes.
L'équipe qui l'a conçu a réservé à la grammaire une place et une attention que l'on peut évaluer non seulement au niveau quantitatif, mais aussi et surtout au plan conceptuel et rédactionnel (circonstance qui distingue le Liber glossarum de ses sources glossographiques du haut Moyen Âge). Deux éléments suffiraient à le démontrer : cette immense encyclopédie a accru et fait proliférer le nombre déjà remarquable d'articles dérivés de la tradition précédente et consacrés à décrire les unités constitutives et les procédés de l'analyse structurelle de la langue et à illustrer les aspects formels et sémantiques concernant les lexèmes, pour créer d'autres articles autonomes, plus brefs et synthétiques8. En outre, ces contenus de la réflexion ancienne ont souvent été relus et réinterprétés d'une manière critique (comme dans la longue entrée Litterae LI 524 de dérivation isidorienne)9, selon une visée intellectuelle qui, avec l'organisation des connaissances métalinguistiques adaptées aux buts immédiats de ce géant de la glossographie, voulait leur offrir une place précise dans l'architecture des savoirs de l'Occident chrétien.
C'est pour cette valeur exemplaire que l'on peut proposer et suggérer une reductio typologique – à valeur sémantique – de la complexité des contenus grammaticaux reçus, reformulés et présents dans les articles du Liber glossarum mais reconnaissables aussi dans la lexicographie postérieure. On peut en effet entrevoir et mettre en évidence une tendance qui, à mon avis, se concrétise dans deux pôles, dans deux macrotypes (Type I et Type II), qui admettent aussi des degrés, des sous-types (IIa et IIb) formant un continuum modulé de ce rapport entre grammaire et lexique10.
D'une part, le Liber accueille un nombre important d'articles intégralement consacrés aux contenus d'une réflexion métalinguistique appuyée et centrée sur les notions fondatrices de l'analyse linguistique du latin, sur les outils mêmes de la description de ses unités et de ses normes. L'illustration de ces contenus remplit totalement l'article, en formant des prédicats ayant une valeur et une nature métalinguistique intégrales. C'est le cas, par exemple, de mots tels que litterae, vox, accentus, syllaba, des classes de mots (nomen, verbum, coniunctio, interiectio etc.), de tempus, modus, coniunctivus, casus, etc., qui sont (d'un point de vue sémiotique) métalinguistiques par leur signifié uniquement, comme c'est le cas pour les entrées genitivus (LibGloss. GE145 Genitiuus casus : « Genitiuus casus dicitur quia per eum genus cuiuscumque querimus ut huius magistri filius uel quod rem significamus, ut uius magistri11 ») et dativus (LibGloss. DA164 Datiuus : « Datiuus casus dictus quia per eum nos dare alicui aliquid demonstramus, ut da huic magistro12 »).
D'autre part, le Liber glossarum nous offre un Type II, réalisé dans des articles concernant des noms ayant fonction (sémiotiquement) d'autonymes13, qui sont décrits pour leurs propriétés morphosyntaxiques, phonographiques (surtout dans une perspective différentielle si elles sont à l'origine d'ambiguïtés qu'il faut résoudre) et pour leur signifié. Leur description métalinguistique peut être plus ou moins riche et accueille souvent aussi des considérations d'ordre étymologique, selon tout l'éventail des procédures d'analyse synchronique, endolinguistique ou interlinguistique, que le Moyen Âge avait reçu de l'Antiquité (c'est-à-dire l'étymologie ontologique, l'étymologie-derivatio, l'étymologie spéculative), ainsi que des exemples d'auteur ou des exemples forgés.
Ainsi, on peut distinguer un Sous-type IIa, comme dans le cas d'entrées telles que l'expression biblique adiuva me (LibGloss. AD372 Adiuua me : « Adiuua me - adiuua mihi, utrumque dici potest, melius tamen me. Adiuuo enim illum dicimus quam illi, nisi forte dicas adiuua mihi onus, quasi releua mihi onus14 »), l'adjectif laetus (LibGloss. LE303 Laetus : « Laetus - a latitudine uocatur, unde et per A scribitur »15) et la préposition cum (LibGloss. CV109 Cum : « Cum - prepositio ablatiuo casu per c scribenda est ; si autem aduerbium fuerit, per v scribendum. Dicimus enim quum lego16 »).
Pourtant, la possibilité d'une expansion de la composante sémantique et de l'étymologie de l'entrée lexicale admet parfois aussi une transition vers une dimension plus proprement encyclopédique, qui prélude aux produits de la lexicographie de l'Humanisme. Il arrive en effet parfois que la référence au signifié et à l'interprétation étymologique du mot introduise des données concernant la nature et les propriétés du référent, et cette circonstance donne lieu à une structure prédicative mixte, qui mélange la nature d'un dictionnaire de langue ante litteram avec la nature d'un dictionnaire de choses, de type onomasiologique, où la description du mot s'ouvre à l'extralinguistique.
Dans ces articles du Liber glossarum qui représentent ce Sous-type IIb, cette transition modulée semble encore limitée, marginale et sporadique, mais on peut l'entrevoir dans des cas tels que aethera (LibGloss. AE364 Aethera, structure à caractère différentiel qui distingue faussement entre le féminin aethera et le masculin aether) : « Aethera - generis feminini, et est locus, in quo sidera sunt † unde ethera sidera dicimus. Ceterum aether genus masculini supra caelos est igneae inuisibilisque naturae, quem quidam magnum deum uel eius regnum dicunt17, et encore dans le cas de l'entrée laetus avec la référence à l'antonyme tristitia, quae angustiam facit (LibGloss. LE302 Laetus) : « Laetus - per diptonga scribitur, quia laetitia a latitudine uocata est, cuius e contrario est tristitia, quae angustiam facit18 ».
2 Après le Liber glossarum : Papias et Jean Balbi
Lorsqu'on cherche à suivre après le Liber glossarum le destin et la persistance des structures typologiques que j'ai proposées, dans des représentants de la lexicographie postérieure tels que l'Elementarium doctrinae rudimentum de Papias et le Catholicon de Jean Balbi de Gênes, on peut apprécier des faits de continuité et de discontinuité en diachronie.
Il est facile de retrouver une continuité substantielle, indépendamment du fait que, souvent, Papias et Jean de Gênes emploient des sources qui n'apparaissent pas dans le Liber glossarum, comme l'Ars de Priscien. Toutefois, cette continuité structurelle est plus évidente pour les articles que l'on peut ramener au Type I, comme on peut le voir dans l'entrée genitivus chez Papias et chez Jean Balbi :
Pap. Elem. s.v. Genitiuus : « Genitiuus casus dicitur quia per eum genus cuiuscunque quaerimus uel ostendimus, ut anchise filius dictus a gigno is genu genitus genitiuus. Dicitur autem possessiuus quia possessionem ostendit, ut ‘cuius equus est iste ? Euandri’. Paternus quoque dicitur quia patrem per illum ostendimus ut ‘cuius filius est hector ? Priami’ »19
et
Io. Balb. Cathol. s.v. Genitiuus : « Genitiuus a gigno nis dicitur genitiuus ua uum quod pertinet ad genituram, scilicet naturalis ut genitura forma uel ymago idest in qua genitus est. Et hic genitiuus pro quodam casu quia alios casus ex se gignat, uel quia per ipsum genus significamus ut cum dicitur ‘hoc genus Priami’ »,
ou pour l'entrée dativus :
Pap. Elem. s.v. Datiuus : « Datiuus casus dictus quia per eum nos alicui aliquid damus, ut ‘do tibi librum’. Hic et commendaticius dicitur quia per illum commendamus, ut ‘commendo tibi hanc rem’, uel amicabilis quia per illum amicos salutamus, ut ‘uenerabili patri salutem’ »20
et
Io. Balb. Cathol. s.v. Datiuus : « Datiuus ui pro tercio casu a do das dicitur ».
La raison de cette tendance conservatrice doit être recherchée à juste titre dans le statut de nom éminemment métalinguistique de l'entrée, qui sert à préserver la microstructure et la nature même de l'article sans admettre de modifications ou d'insertions de données d'ordre différent. Pourtant, face à cette persistance typologique, on observe aussi une certaine diminution numérique : Papias maintient encore beaucoup de ces entrées (coniunctio, coniugatio, coniunctivus, interiectio etc.21), mais Jean Balbi en élimine un bon nombre (ce qui est légitime puisque le lexique n'est qu'une pars de son Catholicon22), et les grands ouvrages des Humanistes poursuivront dans son choix, en donnant peu d'espace à ce type d'articles, dans la mesure où la grammaire assumera une fonction propédeutique et moins intégrée à l'étude érudite du lexique, abstraction faite peut-être pour les mots concernant les tropes de la rhétorique.
Dans le Type II, la situation apparaît plus fluide, polymorphe, et permet d'observer des continuités, comme par exemple l'entrée autonyme adiuvare te chez Pap. Elem. AD47 de Angelis : « Adiuvare te et tibi dicimus23 », mais aussi des discontinuités. À cet égard, bien qu'il soit difficile, dans un panorama qui ne se limite pas à ces deux ouvrages, de mettre en évidence une phénoménologie nette et cohérente de changement, on peut en tout cas signaler des transformations effectives, qui seront confirmées aussi dans les premiers lexiques savants monolingues de l'Humanisme. En général, le relief et l'espace réservés à la description morphosyntaxique ou phonographique et à celle du sens semblent se préciser et se systématiser, et aussi s'accroître, mais d'une manière qui contribue à en délimiter plus nettement le statut, les confins et les positions réciproques, le destin et les finalités différentes.
En ce qui concerne l'information grammaticale, on observe une systématisation majeure dans l'expression des valeurs morphosyntaxiques. Dans le prologue à l'Elementarium24, Papias avait indiqué la definitio parmi les exigences qu'il considérait comme étant constitutives et distinctives de son opus : c'est pourquoi c'est sur la declinatio et le genus, indiqué par le biais d'outils techniques tels que l'emploi des lettres initiales pour les nomina, sur la coniugatio pour les verbalia et sur la référence à la prosodie (tempus), lorsqu'elle acquiert une fonction distinctive, que se fonde la définition morphosyntaxique du lexème.
Cette architecture informative ne sera pas oubliée dans les entrées de la cinquième partie du Catholicon : Jean de Gênes y emploie avec une régularité remarquable la référence au genre des noms et aux formes de leur paradigme (dont il signale le cas génitif) etc. Mais surtout, il ajoute fréquemment à ces données la mise en œuvre de la technique de la derivatio, qui crée des familles lexicales irradiant d'un mot-nucleus, censé être un primitif et d'où découle une constellation d'autres mots grâce aux procédés morphologiques de la dérivation proprement dite et de la composition (ainsi que de l'etymologia). Quoique la derivatio ne représente pas un critère macrostructurel constitutif du texte, comme c'était le cas au contraire pour les Derivationes d'Osbern de Gloucester et pour celles d'Hugutio de Pise (et comme ce le sera encore pour Niccolò Perotti, Ambrogio Calepino et Robert Estienne), dans l'Elementarium et plus encore dans le Catholicon25, cet outil mémoriel contribue d'une manière importante à la description métalinguistique des mots ainsi qu'à la perception des liens formels et sémantiques entre les dictiones qui forment et structurent le corpus lexicographique du latin.
La derivatio peut former intégralement la charpente d'un article, qui n'apparaîtra que comme une liste de mots liés au (souvent supposé) primitif correspondant à l'entrée, comme déjà dans le cas de lateo et de la famille qu'on en faisait dériver (Pap. Elem. s.v. Lateo : « Lateo inde deriuatur latex latens latus, unde lateralis latito as, latebrae latebrosus latibulum latesco scis, latrina latro latrocinium latrocinor latium latinus latenter, componitur deliteo26 »), ou bien elle peut s'insérer à côté d'autres renseignements d'ordre morphosyntaxique ou sémantique etc., comme pour affatus (Pap. Elem. AF1 de Angelis : « Affatus allocutus ab affor affaris, ex ad et fatus ; componitur inde affamen id est allocutio ; inde affabilis, id est loquax delectabilis27 »), et comme aussi pour laetus, opposé à letum, à propos duquel Papias et Jean de Gênes signalent le rapport avec les ‘dérivés’ laetitia, laetor cum suis compositis etc. :
Pap. Elem. s.v. Laetus : « Laetus per ae scribitur quod a latitudine dicitur, unde laetitia laetor aris, nam laetus dicitur eo quod mentis gaudio dilatetur. Loetum uero idest mors quod per oe scribitur quidam per se dicunt uenire28, quidam a leo les idest destruo quod tamen in usu non est sed componitur unde deleo »29
et surtout
Io. Balb. Cathol. s.v. Letus : « Letus ta tum per ae scribitur quia a latitudine dicitur. Nam laetus dicitur eo quod gaudio mentis dilatetur secundum papiam [voir supra]. Hugutio uero dicit a latus ta tum deriuatur laetus ta tum hilaris quasi latus, quia latam et extensam habeat faciem. Solent enim leti faciem distendere e contra tristes corrugare. Et comparatur letior simus unde lete tius me aduerbium30. Item a letus ti addita cia fit leticia cie quasi laticia, et est leticia uultus gaudium mentis, exultatio uero est uerborum et membrorum. Item a letus letor taris tatum. Et componitur colletor taris et est deponens letor cum suis compositis. Et scribitur per ae dyptongum »31,
puis
s.v. Letum : « Letum ti idest mors per oe scribitur secundum papiam [voir supra] et dicitur a leo les, unde dicit priscianus in ix libro32 a deleo deles cuius simplex leo in usu non est deletum facit. Unde et letum ipsa res que delet uitam quasi a leo simplici quod in usu non est profertur. Unde quidam ‘linque metum loeti nam stultum est tempore in omni’33 ».
Mais ce dernier cas nous permet des considérations conclusives qui introduisent au Fortleben humanistique du Type II.
3 De Papias au Catholicon : étapes d'une progressio ?
La comparaison entre l'article de Papias et les deux du Catholicon montre une progression des informations concernant le mot. Jean de Gênes met fortement à profit la ressource classificatoire et mémorielle de la derivatio, qui lui venait de Papias et des Derivationes d'Hugutio de Pise, en mettant cet outil au service de son dictionnaire ordonné alphabétiquement. Dans la cinquième partie du Catholicon, en effet, on apprécie la tendance à une organisation macrostructurelle ayant une cohérence et une systématicité majeures par rapport à l'Elementarium34, dont la disposition des entrées était signalée et proposée par son auteur comme étant un autre caractère distinctif par rapport à ses prédécesseurs.
Papias avait adopté l'ordinatio alphabétique des entrées (secundum regulas notationes), la succession per alphabetum non solum in primis partium litteris, verum etiam in secundis et tertiis et ulterius interdum35, qui appartenait à la tradition du Liber glossarum et de ses sources glossographiques (telles que les glossaires Abavus et Abstrusa), en la proposant comme un moyen (un des moyens, de fait) pour faciliter la consultation et le repérage des entrées, pour – disait-il – citius invenire. Pourtant, au-delà de la nouveauté effective et de l'application concrète de ce paramètre dans son lexique, lesquelles sont loin d'être réelles, systématiques et intégrales, le choix de Papias a en tout cas une valeur fondatrice, parce qu'il manifeste une conscience métalexicographique remarquable, accompagnée d'une solide et active conscience d'auteur dans la volonté d'établir (ou au moins de suggérer) une démarche méthodologique par rapport aux textes antérieurs. Cette démarche découlait d'une conception de l'objet ‘lexique’ en tant qu'instrument appelé à répondre dans et par ses propres structures (macro- et micro-) à des exigences considérées comme indispensables et qui ont produit un effet de rupture, destiné à trouver une concrétisation encore plus décisive dans le Catholicon36.
En effet, si dans la partie lexicale du Catholicon la redondance des entrées est moindre et plus contrôlée grâce à l'assemblage et à la synthèse de plusieurs articles semblables par leur contenu mais ayant des entrées différentes37, ce n'est qu'en vertu d'une stratégie qui découle évidemment de l'application systématique et stricte de l'ordre alphabétique absolu aux entrées38, lemmatisées selon une forme de citation choisie comme emblématique parmi celles de leur paradigme (par exemple la première ou la deuxième personne du présent ou l'infinitif pour les verbes, in quibus semper agnoscitur) et fixée dans un signifiant considéré comme courant ou préférentiel dans l'écrit, qui en tout cas est suggéré comme correcte et qui par conséquent devient instrument d'une consultation plus efficace.
Pourtant, la progression qu'on apprécie chez le frère dominicain Jean Balbi ne consiste pas seulement en une adhésion plus cohérente et sélective à l'ordonnement alphabétique qui est fonctionnel à la consultation de facili de l'ouvrage ; Balbi réussit aussi à renouveler l'emploi d'une des composantes traditionnelles de la description grammaticale, c'est-à-dire le souci pour la recta scriptura, qui devrait établir un signifiant motivé et iconique parmi un éventail d'usages fluide et polymorphe. En effet, Balbi ne se limite pas à signaler la graphie considérée comme correcte (il distingue par exemple la graphie des voyelles simples de celle des diphthongi tacitae, au-dessus desquelles il ajoute souvent un signe spécial), en faisant appel aux motivations étymologiques sur lesquelles se fondait l'orthographe depuis l'Antiquité, mais il soutient et légitime son choix par le biais de la référence explicite et raisonnée à ses sources anciennes (Priscien) et à ses prédécesseurs (Papias et Hugutio de Pise).
Cette attention aux auctores et aux citations déclarées en fonction de la description métalinguistique caractérisait déjà le Liber glossarum, dont les sources sont quasi systématiquement indiquées dans les marges des manuscrits les plus anciens, et trouve une continuation dans Papias, qui adopte un système d'abréviation pour les auctorum nomina dont il insérait les sententiae dans ses articles39. Néammoins, Jean de Gênes témoigne d'une conscience métalexicographique encore plus forte et d'une approche du lexique qui se nourrit du patrimoine de la textualité latine et aussi d'une sensibilité philologique ante litteram. Il faut admettre qu'il n'est pas le premier. À propos de aethra (Cathol. s.v. Ether : « Ether etheris superius elementum scilicet ignis. Et est nomen grecum masculini generis, unde ethereus rea reum et haec ethera re idest splendor aetheris. Unde illud in hympno ‘Quem terra pontus ethera colunt adorant praedicant’. Quidam tamen legunt ibi ethra ita quod sit nominatiuus casus. Dicimus enim ethere uel ethera unde haec ethera re, sed ethra secundum Hugutionem debet dici. Communis tamen ecclesie usus dicit ethera. Item ether dicitur superior pars aeris »), il mentionne l'existence d'une variante textuelle pour une citation d'une hymne parfois attribuée à Venance Fortunat (Spuriorum appendix, VIII, 1-2 : « Quem terra pontus aethera / colunt adorant praedicant ») qu'il trouvait dans Hugutio de Pise40. Toutefois, il accueille cette observation de sa source et il en ajoute une autre, importante, sur le communis usus ecclesiae, en faisant allusion à la dimension variationelle du diasystème linguistique latin.
Cette sensibilité caractérise aussi les parties du Catholicon consacrées à l'explication du sémantisme des lexèmes. L'appel aux (con)textes de référence comporte une transformation également dans cette partie du Type II : cette composante devient progressivement plus riche, pouvant accueillir une quantité plus importante d'exemples d'auteur, qui servent à expliquer les différents emplois possibles du mot, comme on le voit pour letum avec la citation sans attribution des Disticha Catonis (II, 3), ou à légitimer les différentes étymologies proposées. En outre, l'information sémantique peut se mêler et s'intégrer à des considérations d'ordre référentiel (qui créent un Sous-type IIb), comme c'est le cas encore une fois pour laetus et la réfèrence à la mine des laeti et des tristes, qui dépend de l'étymologie ‘ontologique’ reçue avec latus etc. À cet égard, Jean de Gênes semble anticiper certaines tendances de la lexicographie du premier Humanisme, et la circonstance fait de cet instrument savant du bas Moyen Âge un texte-charnière faisant autorité, quoique son auteur soit nommé, avec ses sources Papias et Hugutio de Pise, parmi les indoctiores dans le deuxième proemium des Elegantiae de Lorenzo Valla41.
En outre, l'exigence de préciser les données fondant la description grammaticale et l'attention croissante à la description sémantique du lexème qu'on trouve dans le Catholicon font du Type II (et encore mieux du Sous-type IIb) une microstructure très répandue, celle qui est destinée à avoir le plus de succès dans les ouvrages des compilateurs humanistes. En effet, ce type structurel semble interpréter et mieux accueillir le changement des coordonnées culturelles, des méthodes et des instruments du travail intellectuel et pédagogique ayant pour objet le latin, lingua regulata, et la tradition des Classiques, c'est-à-dire pour les Humanistes les fondements de leur système éducatif et les ressources considérées comme capables de garantir la production et la circulation d'une culture commune.
4 Continuités et Discontinuités typologiques : les ouvrages du premier Humanisme
Les premiers lexiques monolingues du XVe siècle montrent encore un intérêt remarquable pour les données qui, depuis la tradition latine, représentaient un complément essentiel de la description du signifié et de la correction du signifiant, c'est-à-dire l'étymologie et l'orthographe. D'une part, la recherche d'une relation motivée et transparente entre le mot et la res, qui avait guidé la culture linguistique médiévale, laquelle se fondait sur l'idée isidorienne d'etymologia comme origo verborum, est encore vitale dans la lexicographie du premier Humanisme. En effet, avec son éventail de stratégies explicatives – les tropes de tradition stoïcienne, l'expositio spéculative, la derivatio – la pratique étymologique permet encore à ces savants d'illustrer les rapports synchroniques – sémantiques et formels – entre les lexèmes et de reconstruire, par le biais du lexique, l'horizon culturel et idéologique de l'Antiquité. D'autre part, cette sensibilité renouvelée continue à attribuer une grande importance à la recta scriptura et à ses règles, qui doivent être ancrées dans les étymologies témoignées par les auctores, non seulement anciens, mais aussi médiévaux. En effet, les lexiques humanistes n'oublient pas la centralité de l'orthographe, élargie aux emprunts du latin au grec – je pense en particulier aux orthographiae de Gasparino Barzizza (1360-1431), Guarino de Vérone (1374-1460), Cristoforo Scarpa (fl. 1430-1450), Giovanni Tortelli (1400-1466) – et les renseignements sur la phonographie du latin offerts par les grammatici antiqui et antiquissimi se mêlent et sont confrontés d'une manière toujours critique avec le témoignage des magistri médiévaux. Enfin, au souci pour l'étymologie et l'orthographe est toujours associée une attention massive et centrale pour les citations d'auteurs et pour la prise en compte du contexte, citations qui sont un support faisant autorité et servant à l'illustration du sens du mot dans ses différents emplois. Et dans ce cas, on le sait bien, les Humanistes disposent d'un trésor incommensurable de textes littéraires qui alimente et impose une façon nouvelle de travailler, de lire, de réfléchir d'une manière philologique, qui admet aussi l'emploi des sources médiévales, dont ils héritent et qu'ils lisent, même si c'est souvent d'une façon cachée ou explicitement polémique.
Il peut être alors utile de conclure en suivant dans les lexiques monolingues de ces humanistes les dernières étapes du parcours de deux mots que j'ai présentés, laetus et letum. Avec l'exception de l'Orthographia de Gasparino Barzizza, qui rappelle laetitia en citant seulement Isidore de Séville et l'usus scribendi des Anciens qui légitime <ae> (ms. BAV, Vat.lat. 2714, s.v. laeticia : « Laeticia per t secundum Isidorum et usum antiquorum et diphthongatur per ae in principio »), et de son ami et son successeur à Padoue, Cristoforo Scarpa, qui dans son Orthographia achevée en 143242 ajoute seulement à la prescription orthographique quelques brefs renseignements d'ordre étymologique et phonétique (Orthographia, ms. Bologna, Bibliothèque Universitaire 898, f. 41r : « L praecedente in laetus laeta laetum diphthongatur quia dicitur a latitudine mentis. In laetor laetitia laetabundus. Loetum uero pro morte per oe diphthongum scribitur, quia deriuatur a luo luis quod antiqui loo dixerunt » et f. 46r : « L praecedente diphthongum scribunt in loetum quod mortem significat. A uerbo luo deriuatur quod antique loo dixerunt. Priscianus ab hoc uerbo leo quod non est in usu deriuatum putat. Quod si ita est per simplex e scribendum uidetur43 »), l'attention dédiée aux lexèmes laetus et letum par les grands ouvrages de la lexicographie humaniste manifeste de façon évidente un changement de conception de l'espace lemmatique par rapport aux données qu'il peut et doit accueillir.
Cette attention donne en effet lieu à des entrées du Sous-type IIb où, avec la persistance d'une composante prescriptive, liée au maintien des renseignements d'ordre formel (graphie, dérivation, composition, flexion etc.) et de ceux d'ordre étymologique et sémantique, héritage de connaissances métalinguistiques des ancêtres latins et médiévaux, on voit aussi augmenter la référence aux textes et aux contextes, la centralité reconnue aux sources littéraires et au témoignage des grammatici mêmes en tant qu'auctores et auctoritates. En effet, les grands lexiques de Giovanni Tortelli, du frère mineur franciscain Nestore Dionigi Avogadro (fl. 1480-), de Niccolò Perotti (ca. 1430-1480) montrent une familiarité remarquable avec la réflexion des auteurs latins (Varron, Festus, Solin, Servius, Priscien) mais aussi des lexicographes et grammairiens du Moyen Âge (Hugutio de Pise et l'auteur des traités De nota aspirationis et De diphthongis connu sous le nom d'Apuleius44), auxquels les érudits s'adressent pour donner une légitimité à l'information métalinguistique, pour montrer le mot dans l'usage concret de leurs textes, et pour donner authenticité aux exempla45. Cette circonstance conduit à développer l'apport de la composante savante et encyclopédique par rapport à celui de la composante grammaticale, qui devient un outil secondaire ou fonctionnel à un répertoire de citations d'auteurs anciens, instrument d'une recherche lexicale destinée à une consultation indépendante ou presque de la grammaire normative. On peut s'en rendre compte dans les articles suivants des trois humanistes italiens46 :
Giovanni Tortelli (Commentariorum grammaticorum de orthographia dictionum e Graecis tractarum opus, ex ms. Firenze, BMLaur. Faes. 173, s.v. Lethum) : « Lethum eodem modo [scil. avec e] scribitur a nostris pro morte. Et a λήθη quod est obliuio teste Festo47 traductum est. Alii teste Prisciano in decimo48 latinum faciunt et a leo uerbo simplici nasci dicunt quod in usu sic quoque non est, sed in compositione deleo deleui habent unde letum dici uolunt, quia uitam deleat. quod si sic esset absque aspiratione scribi deberet. Sed magis placet graecum esse et a λήθη deduci. unde et teste Solino49 fluuius ille quia in aphrica iuxta beronicem urbem fluit… At uero laetum quod latinum est et a lato descendit eo quod ex laetitia quasi faciem delatare dicant cum ae diphthongo et t exili scribitur. Idque appellamus quod aspectum gaudium promit. Nam gaudere proprie est intrinsecus, laetari extrinsecus… »,
Nestore Dionigi Avogadro (Onomasticon sive Vocabularium, Venetiis, per Philippum Pinzium, 149650, f. 57r, s.v. letum) : « Letum mors absque oe diphthongo (si Prisciano creditur) scribi debet. Nam (ut ait) a letum supino huius verbi leo les deriuatur. At uero Apuleius51 a luo luis dictum tradit ideoque cum oe diphthongo scribi praecipit. Varro autem et Festus a λήθη quod est obliuio deductum uolunt. Quod si uerum est absque diphthongo et cum th aspirato lethum scribendum est. Neque a leo les neque a lino linis λήθη obliuio descendit ut Ugutio somniauit52. Sed graecum magis est uocabulum et graeca uocabula etymologiam latinam non sapiunt ut testis est Seruius... »
Niccolò Perotti, Cornu copiae IV, I.6.266-268 : « Quidam etiam hinc [scil. , hoc est ab obliuione] laetum, quod mortem significat, deductum putant, quod morientes, ut , hoc est ab obliuione] laetum, quod mortem significat, deductum putant, quod morientes, ut diximus, rerum omnium obliuione capiantur. Sed falsum est. Nam letum a leo deriuatur, quo ueteres usi sunt pro deleo, quoniam mors omnia delet. Ab eo fit laetale, hoc est mortiferum, ut laetale uulnus, laetalis plaga, letale (sic) uenenum. Item laetiferum et laetificum, quibus poetae utuntur. A leo uero fit deleo... Laetus autem a lato deriuatur, quod qui laeti sunt, hoc est qui gaudium aspectu promunt, dilatare quodammodo faciem uidentur. Hoc enim differt laetor a gaudeo, quia laetari extrinsecus est, gaudere intrinsecus. Est ergo proprie laetus, qui hilaritatem, quam intus habet, etiam uultu ostendit. Virgilius : ‘Imperio laeti parent.’ Idem : ‘Et laetus Eois currus equis.’ Sed quia natura ita comperatum est, ut quae bona corporis habitudine sunt, alacriora, quae uero debilia, tristiora sunt, ideo fit, ut, quae pinguia et fertilia sunt, laeta uocemus. Hinc laetas segetes dicimus, idest pingues ».
Bien que pour Tortelli et Avogadro l'importance réservée à la « physique des textes » se manifeste avec l'adoption du classement alphabétique, tandis que Perotti choisit la ratio dérivationnelle, il semble indéniable que le changement de conception qui fonde ces lexiques soit très profond et qu'il contribue fortement à les rapprocher des ouvrages qui suivront ; pour citer Martine Furno, « [e]n effet, la préoccupation première des lexiques rédigés autour des xve et xvie siècles n'est pas tant la définition du mot et la précision du signifié que l'attestation ‘en action’ du signifiant, par les exemples authentiques recueillis dans les textes, qui, par leur multiplication, font de l'ouvrage un compendium de la littérature latine, démembrée phrase à phrase et mot à mot »53.
Par la conception de l'espace de l'entrée, par l'organisation des contenus qui privilégie l'illustration des mots dans l'usage des auteurs et qui se limite à proposer de nouveau la description des propriétés morphosyntaxiques et/ou phonographiques et les explications étymologiques élaborées et codifiées par la réflexion latine et médiévale, ces articles annoncent un modèle d'ouvrage qui, plus tard, sera représenté en premier lieu par le dictionnaire d'Ambrogio Calepino (1440-1510/11) et, ensuite, par un vrai ‘trésor’ de la lexicographie occidentale monolingue, le Dictionarium, seu Latinae linguae Thesaurus de Robert Estienne (1503-1559)54, où, à propos de laetus et letum, on lit (Dictionarium, seu Latinae linguae Thesaurus, Parisiis, 1536, II, 877-878, s.v. Laetus :
Laetus, laeta, laetum, Qui hilaritatem quam intus habet, etiam vultu ostendit. A latitudine mentis, ut quidam putant. Nam qui gaudium aspectu promunt, dilatare quodammodo faciem videntur. Virgil. Imperio laeti parent.
Laetus est de amica, Terent. Adelph. I.2.44.
Laetus atque alacer, Cic. in Verrem.
Laetus … Laete … Laetans …
et 896-897, s.v. Letum :
Letum, leti, Mors. Secundum Priscianum a leo fit, quo veteres usi sunt pro deleo, quoniam mors omnia delet. Apuleius a luo deducit, ideoque per oe scribi praecepit. Lethum Varro et Festus a λήθη fieri putant, unde et per th, absque diphthongo scribunt. Alii per antiphrasim dictum volunt, quasi minime laeti55.
Liu. 1. ab urbe, 172 …
Letalis …
Letaliter …
Letifer …
Comme l'observe très justement Martine Furno, « ce qui se dessine ici est […] l'émergence d'un dictionnaire purement érudit, outil de consultation autonome, et pièce maîtresse de la connaissance des textes latins dont il est témoin par le biais d'un corpus d'exemples. Loin d'être un chapitre etymologia participant de l'ars grammatica, le dictionnaire devient ‘trésor’, auquel il faut accéder par une propédeutique, la grammaire pédagogique, dont l'utilité par rapport au lexique n'est plus tant de donner les codes d'identification d'un appareil morphologique et paradigmatique d'ailleurs le plus souvent absent, mais de fournir les clés élémentaires de l'analyse du texte morcelé dans le lexique56 ». Mais avec Robert Estienne on est arrivé au seuil d'une autre étape de la progressio qui, bien que discontinue, non linéaire et très différentiée, mènera au dictionnaire répondant à l'approche et aux critères de la lexicographie moderne.
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Buridant 1986, p. 9.
Buridant 1986, p. 22 : « Dans ce sens, les grands lexiques savants de la latinité médiévale sont des témoignages particulièrement significatifs de l'insertion de la grammaire dans les structures lexicographiques dont elle constitue une composante majeure, jusqu'à les informer parfois ».
Pour reprendre les mots d'Adriana Della Casa (1981, p. 45), qui cite Georg Goetz (CGlossLat. I, 1). Pour Buridant (1986, p. 11) il s'agit d'« une des composantes les plus importantes de la lexicographie médiévale », qu'il indique comme étant la cinquième.
Pour citer encore Claude Buridant 1986.
Della Casa 1981, p. 36 : « Il apparaît clairement qu'un lien devait exister entre les glossaires et la culture grammaticale, mais il fut sans doute plus étroit qu'il ne semble à première vue ».
Voir au moins Daly & Daly 1964 ; Marinoni 1968 ; Weijers 1989 ; 1991 ; Merrilees 1990-1991 ; 1998 ; Dionisotti 1996 ; Holtz 1996 ; Furno 1997 ; Codoñer 1998 ; Charlet 2004 ; Considine 2008 ; Bertini 2011 ; Hanks 2013 ; 2016 ; McKitterick 2012 avec bibliographie de référence.
Sur ce travail rédactionnel voir Grondeux 2008 ; 2013 ; 2015a ; 2015b ; 2016. Dans cet article j'ai employé l'édition intégrale en ligne, http://liber-glossarum.huma-num.fr (The Liber Glossarum, saec. VII-VIII A Digital Edition). Pour une très utile ressource en ligne concernant les glossaires voir Les gloses. Laboratoire des savoirs du haut Moyen Âge, http://deglossis.hypotheses.org.
Voir à ce propos Biondi 2014. Pour l'apport isidorien aux gloses de caractère grammatical du Liber glossarum voir aussi Carracedo Fraga 2016. Pour un autre exemple de réinterpretation critique des sources (l'entrée vox du Liber) voir Grondeux 2013.
En tenant compte de Buridant 1986, p. 22-23, je suggère cette taxonomie provisoire qui fait référence à la nature et aux possibles combinaisons des contenus métalinguistiques dans les glossaires et les lexiques monolingues du Moyen Âge latin et du premier Humanisme. Pour une typologie des gloses adaptée aux textes grammaticaux du Moyen Âge voir Wieland 1984 ; 1998 ; pour la tradition des gloses à l'Ars de Priscien voir Hofman 1996, p. 82-95 (pour les gloses de Saint-Gall) ; Cinato 2011 ; 2015, p. 216 ss. (avec Annexe 3).
Ex Isid. Etym. I, 7.32 : « Dativus, quia per eum nos dare alicui aliquid demonstramus, ut ‘da huic magistro’ ». La définition d'Isidore rappelle celle de Pompée (GL V, 171.10) : « dativus, quod per ipsum demus, ‘da illi’ » et (183.5-7) : « dativus dictus est ab eo, quod per ipsum ostendamus nos aliquid dare, puta ‘da illi’, ‘da mihi’ : ideo dativus dictus est, quod per ipsum demus, puta ‘da oratori’, ‘da grammatico’ ».
Voir au moins Rey-Debove 1978 ; 1989 ; récemment aussi Colombat & Savelli 2001 ; Authiez-Revuz, Doury, Reboul-Touré 2003 ; pour la notion de suppositio materialis au Moyen Âge voir Rosier-Catach 2000.
Ex Placid. CGlossLat. V, 3.11 : « Aethra generis feminini et est locus in quo sidera sunt. unde aethera sydera [scil. Verg. Aen. III, 585] dicimus. caeterum aethera generis masculini supra caelos est igneae inuisibilisque naturae quem quidam deum magnum uel eius regnum dicunt » (= Placid. CGlossLat. V, 45.21) ; voir puis Pap. Elem. AE98 de Angelis : « aethra, generis feminini, locus in quo sidera sunt » avec le commentaire de Violetta de Angelis (ad loc.) ainsi que les entrées AE96 et AE97. Cf. aussi LibGloss. AE357 Aether : « Aether - locus est in quo sidera sunt, et significat eum ignem qui a toto mundo in altum separatus est †. Sanae aether est ipsum elementum, aethera uero splendor aetheris, et est sermo Graecus », ex Isid. Etym. XIII, 5.1 : « Aether locus est in quo sidera sunt, et significat eum ignem qui a toto mundo in altum separatus est. Sane aether est ipsud elementum, aethra uero splendor aetheris ; et est sermo Graecus »). L'emprunt au grec était interprété faussement comme neutre pluriel ou comme féminin singulier, selon ce qu'on peut déduire de l'Ars Bernensis, GL VIII, 114.6-7 : « aer enim et aether masculina sunt, quamquam ‘aera’ et ‘aethera’ poetice legitur ».
Ex Isid. Etym. I, 27.14 cit. On rappellera aussi la série dérivationnelle offerte par l'Ars Prisciani, GL II, 119.11 : « laetus laeti laetitia ». Pour les gloses du Liber Glossarum qui accueillent une composante encyclopédique voir Paniagua 2016, à propos de l'entrée PI233 Pisces.
Dans les citations des lexiques qui n'ont pas encore d'édition critique, j'ai choisi de développer les abréviations, de modifier la ponctuation et de faire des interventions pour restituer le sens. Cf. aussi Pap. Ars, 5.5-7 p. 97 : « Sequitur uero genitiuus, qui inde dicitur, quod per ipsum genus significamus, ut ‘genus Priami’ est, uel quod ex eo omnes fere deriuationes, maxime apud Graecos, soleant fieri. Appellatur quoque possessiuus et paternus, quia per ipsum possessio et pater demonstratur, ut ‘Priameium’ uel ‘Priami regnum’ et ‘Priamides’ uel ‘Priami filius’ », ex Prisc. GL II, 185.14-23 : « genitivus autem, qui et possessivus et paternus appellatur, genetivus vel quod genus per ipsum significamus, ut ‘genus est Priami’, vel quod generalis videtur esse hic casus genetivus, ex quo fere omnes derivationes et maxime apud Graecos solent fieri ; possessivus vero, quod possessionem quoque per eum [casum] significamus, ut ‘Priami regnum’, unde possessiva quoque per eum casum interpretantur. quid est enim ‘Priameium regnum’ nisi ‘Priami regnum’ ? paternus etiam dicitur, quod per eum casum pater demonstratur, ut ‘Priami filius’, unde patronymica pariter in eum resolvuntur. (quid est ‘Priamides’ nisi ‘Priami filius’ ?) ».
Cf. aussi Pap. Ars, 5.7 p. 97-98 : « Post hunc [scil. genitiuus] est datiuus, qui et commendatiuus, ut ‘do tibi hanc rem’, ‘commendo illi illam rem’, qui magis ad amicos pertinet » , ex Prisc. GL II, 185.23-24 : « post hunc [scil. genetivus] est dativus, quem etiam commendativum quidam nuncupaverunt, ut ‘do homini illam rem’ et ‘commendo homini illam rem’ et II, 186.17-18 : « dativus, qui magis amicis convenit, tertium… »). L'adjectif commendativus est employé par Priscien pour la première fois, voir Schad 2007, p. 107 s.v. dativus.
Voir au moins Hunt 1958 ; Cremascoli 1969, p. 40 ; Weijers 1989, p. 140-141 ; 1991, p. 44-45.
Pour Della Casa (1981, p. 40-41) le Catholicon représente « le point de fusion entre glossaires et traités de grammaire au Moyen Âge : en effet, il n'a pas seulement transcrit et augmenté les glossaires de Papias et de Hugutio, mais il y a, en plus, introduit de nombreuses nouveautés concernant les règles grammaticales : l'œuvre paraît formée de deux parties bien liées entre elles, une grammaire très élaborée et un glossaire. Or le glossaire sert au grammairien en même temps que le traité grammatical est en quelque sorte ramené à un glossaire » ; voir aussi Weijers 1989, p. 143-144 ; Powitz 1991 avec bibliographie de référence.
Le Liber glossarum manque d'un lemme Lateo correspondant, bien qu'il accueille beaucoup de gloses synonymiques relatives à lateo et à ses formes flexionnelles (par exemple LA403 Latebat ; 420 ; 421 ; 422 ; 423 Latens ; 430 ; 432 Latet). Au contraire, dans le Catholicon on lit (s.v. Lateo) : « Lateo tes tui latere idest abscondi, uel esse in abscondito. Habet adhuc et aliam significationem, sed quando proprie construitur cum accusatiuo et proprie rei animate, ut ‘hoc consilium latet me’, idest ignoratur a me. Si uero dicatur ‘hoc consilium ego lateo’, aut nichil est dictum, aut falsum est quod dicitur nec latine dicitur . Et construitur cum tali accusatiuo transitiue », qui dépend de Hugutio de Pise (Deriv. II, L35.1 : « Lateo -es -ui, idest abscondi vel esse in abscondito. Habet adhuc et aliam significationem, sed quando construitur cum accusativo, et proprie rei animate, ut ‘hoc consilium latet me’ : latet me, idest ignoratur a me. Si vero dicatur ‘ego lateo consilium’, aut nichil est dictu, nec latine dicitur, aut falsum est quod dicitur ; et construitur cum tali accusativo transitive »).
Cf. Isid. De diff. I, 100 : « Inter letum et mortem quidam temptauerunt facere discretionem dicentes : letum per se uenit, mors uero infertur » (puis LibGloss. LE307 Letum : « Letum et mortem »). Déjà Prob. Appendix, 6.10-11 (GL IV, 199.26-27) : « Inter laetum et letum hoc interest, quod laetum gaudentem significat, letum vero mortuum esse demonstrat » ; voir ThlL VII.2, coll. 1189-1190 s.v. lētum. Dans LibGloss. LE304 Letum on lit : « Letum uero quod mortem significat, per E sola scribendum».
Cf. Prisc. GL II, 529.19-21 : « ‘levi’, quod a ‘leo’ quoque simplici nascitur, quod in usu non est, ex quo ‘deleo delevi’. unde et ‘letum’ dicitur, quod delet vitam », cf. II, 178.13-14 : « ‘letum’ quasi a ‘leo’ verbo et ‘leor’ », II, 490.19-20 : « ‘deletum’ a ‘deleo’. unde et ‘letum’ ipsa res, quae delet, quasi a ‘leo’ simplici, quod in usu non est, profertur ».
Cf. Hugutio, Deriv. II, L35.25 de Lateo : « Item a latus -a -um letus -a -um, ylaris, quasi latus, quia latam et extensam habeat faciem. Solent enim leti faciem distendere, e contrario tristes corrugare. Et comparatur -tior, -simus, unde lete -tius -sime adverbium et hec letitia -e, quasi latitia ; et est letitia vultus, gaudium mentis, exultatio vero est verborum et membrorum ».
Voir aussi Hugutio, Deriv. II, L49 : « Leo -es -vi -tum, idest delere, destruere, et non est in usu. ... Item a leo hoc letum -ti, idest mors, quia let, idest delet, vitam ; unde letalis -le, mortalis, letaliter, idest mortaliter, et hec letania, idest rogatio vel invocatio proprie pro mortuis facta, et letatus -a -um, idest mortuus vel mortificatus, unde Ovidius Metamorphoseos ‘quo simul intravit letataque corpora vidit’ [scil. Met. III, 55]. Letum componitur letifer -a -um, idest ferens mortem, et cum fagin, quod est comedere, et dicitur hic letifagus gi. … Item a leo hec Lethes … Leo componitur deleo -es -evi, destruere. Leo et eius composita sunt activa ». Hugutio puise la majeure partie de ses matériaux et leur organisation chez Osbern de Gloucester (Deriv. L II : « Leo es levi .i. delere sed non est in usu, inde hic letus ti .i. mors, unde hic et hec letalis et hoc letale .i. mortalis, et letaliter averbium .i. mortaliter, et hec letania e .i. invocatio pro mortuis facta, et letatus a um .i. mortuus, unde Ovidius metamorphoseos quo simul intravit letataque corpora vidit. Letus componitur letifer a um, et hic lotofagus gi … Leo componitur deleo es, inde deletus a um … »). Pourtant, Hugutio ajoute à la famille de leo les lexèmes leviscor, obliviscor, oblivio etc. et en élimine d'autres (lumen, avec luminare, lumineus et luminosus, le verbe lumino) qu'Osbern avait corrélé à leo (Deriv. II, L ii.15-23 ; cf. Isid. Etym. XIII, 10.12). D'autre part, Hugutio met en rapport ces mots avec luo (Deriv. II, L106.20) et lignum (avec ligneus et lignarium), qu'il fait dériver de l'emprunt au grec lignis (Deriv. II, L76.4-5).
Prisc. Inst. GL II, 490.19-20 cit., voir supra, note 29. Cf. aussi Io. Balb. Cathol. s.v. Leo : « Leo les leui letum idest delere, destruere, sed non est in usu et componitur deleo les leui letum delere idest destruere. Leo et eius composita sunt actiua » (ex Hugutio, Deriv. II, L49 cit., voir supra, note 31).
Voir en particulier Merrilees 1990-1991 ; 1998 ; Edwards 1994 à propos du Vocabularius de Firmin Le Ver. Parmi les formes d'alphabétisation connues de la tradition glossographique, la grammaticographie, la tradition orthographique (par exemple le De nota aspirationis et le De diphthongis du grammairien Apuleius - XIe-XIIe siècles - voir infra) et les artes lectoriae montrent des ressources ultérieures, telles que les schémas qui combinent le critère alphabétique et le critère syllabique et qui sont nommés ‘vowel-’ et ‘consonant-system’ ; voir Miethaner-Vent 1986 ; Biondi 2011, p. 192-221.
Voir de Angelis 1997-1998, p. 123 (2011, p. 16), mais aussi Miethaner-Vent 1986. Papias emploie pars pour se référer aux mots de son lexique, en rappelant l'expression pars orationis ; voir Weijers 1991, p. 64-65.
À propos des ouvrages lexicographiques du Moyen Âge latin qu'il appelle « dictionary-like works », John Considine affirme (2016, p. 33) : « ‘dictionary’ simply was not an actor's category for their makers or, as far as can be seen, for their users. An observer with access to the modern conceptual category ‘dictionary’ may say that Balbi's Catholicon was a dictionary, but an actor like Balbi himself or one of the hundreds of scribes who made copies of the Catholicon did not have that conceptual category available to him ». Il faut certainement admettre que la lexicographie médiévale (Weijers 1989, p. 139) « did not start out with a clear example of what a dictionary could be ». Pourtant, proposer que (Considine 2016, p. 34) « the Middle Ages did not end with a clear example of what a dictionary could be either » comporte le risque d'affaiblir la contribution médiévale au parcours de construction de l'objet-dictionnaire. En suivant Olga Weijers (1989, p. 139-140) il faudrait mieux souligner : « The medieval lexicographers made thier own way, borrowing their material party from antiquity… But they invented their own methods, and the evolution from simple wordlists to the comprehensive and amost modern dictionary of John Balbi is a fascinating part of intellectual history », et conclure (ivi, p. 153) : « … the evolution in form of medieval lexicography is the basis of our modern dictionaries. It started with the glossaries, but things changed decisively under the influence of the derivations. The successive efforts of Papias, Osbern, and Hugucio to combine these two essential techniques were a necessary preparation. The decision of John Balbi to go back to the glossary scheme, but at the same time to leave out some unnecessary material and to retain a certain amount of derivation and other grammatical information, and his effort to arrange all this in an absolute alphabetical order, framed at last what can be called the first dictionary ».
Furno 1997, p. 163: « Or, ce retour au pratique ramène le lexique à un instrument, qui peut certes être très élaboré, mais reprend sa place comme élément d'un ensemble ; l'etymologia se retrouve volet de la grammatica, et le tout forme par exemple un Catholicon, ‘ouvrage universel’ sur la langue latine, où ni l'une ni l'autre des deux parties n'est totalement indépendante quels que soient les écarts enregistrés dans les définitions de certains termes entre la partie ‘grammaire’ et la partie ‘dictionnaire’ ». Il ne faut oublier que Balbi suggère l'empoi de la couleur bleu pour faciliter la consultation de la cinquième partie du Catholicon : « quotienscumque prima littera vel secunda dictionis mutabitur primam litteram faciam de azuro » ; pour ces stratégies voir au moins Powitz 1991 ; Weijers 1991, p. 42-43.
Voir Grondeux 2015b.
Hugutio, Deriv. II, E140 : « Hic Ether -ris est superius elementum, scilicet ignis, et est nomen grecum ; unde ethereus -a -um et hec ethra -e, idest splendor etheris, unde illud ‘quem terra pontus et ethra colunt adorant predicant’. Quidam tamen legunt ibi ethera, quod esse non potest ; est enim ethera accusativus grecus predicti nominis, scilicet etherem vel ethera ; solet tamen talis accusativus transferri in nominativum, ut cassidem vel cassida et hic et hec cassida -e ; craterem vel cratera ; similiter potest dici etherem vel ethera et hinc hec ethera -e et iste nominativus potest ibi esse, scilicet in predicto ymno, sed hoc qualecumque refugium potest esse miseris » ; voir supra, p. 14.
Laur. Valla, Eleg. proem. II, ap. Garin 1952, p. 602 : « Tres illi tamquam triumviri, de quorum principatu inter eruditos quaeritur, Donatus, Servius, Priscianus quibus ego tantum tribuo, ut post eos quicumque aliquid de Latinitate scripserunt, balbutire videantur. Quorum primus est Isidorus, indoctorum arrogantissimus, qui, cum nihil sciat, omnia praecipit ; post hunc Papias aliique indoctiores Hebrardus, Hugutio, Catholicon, Aymo et ceteri indigni qui nominentur, magna mercede docentes nihil scire, aut stultiorem reddentes discipulum quam acceperunt ».
L'Orthographia de Cristoforo Scarpa est conservée dans les mss. Bologna, B.U. 898 (olim 1749 ; xve siècle); Paris, B.N., lat. 7553 ; Rome, B.N., Fonds ‘Vittorio Emanuele’ 731 ; Berlin, Berl. lat. oct. 407. De ce traité on connaît un incunable avec aussi le De diphthongis de Guarino Veronese (Mantova, Georg e Paul Butzbach, 1472), voir Biondi 2011 p. 341-346, 362, avec bibliographie de référence.
L'humaniste né à Parme a découvert les deux traités du grammairien médiéval Apuleius, intègres, et il en a employé massivement les données dans son Orthographia. C'est en effet le cas de laetus et de letum, pour lesquels Scarpa disposait des contenus qu'il lisait dans le De diphthongis d'Apuleius, sans pourtant le citer. Dans le traité d'Apuleius on peut lire (ms. Reims, BM 432, f. 98r.7-12, ap. p. 94-95) : « Loe diptongatum scribunt in loetum quod significat mortem quod a verbo luo ex<is>timant derivatum quod veteres varone et plinio testibus loo proferebant. Sed priscianus a leo quod simplex in usu non est derivatum putat unde deleo. Sed secundum hoc per e simplicem scribendum videtur » ; voir infra, note 51.
Biondi 1998 ; 2011.
Charlet 2004, p. 167-172.
La première édition du Vocabularius a été publiée à Milan en 1483 par Leonhard Pachel et Ulrich Schinzenzeler, voir Charlet 1991 et 2004, p. 84-188. J'ai choisi de citer la troisième édition du Vocabularius (Venise, 1496).
Cf. Apul. De diph. f. 98r.7-12, voir supra, note 43. Dans son ouvrage alphabétique en huit livres, le frère minorite de Novare utilise beaucoup les deux traités sur l'orthographe connus sous le nom d'Apuleius, qu'il cite 64 fois et qu'il distingue de l'Apulegius de Madaure, et dans leur rédaction intégrale. Le passage sur letum (et d'autres) n'avait pas été identifié par Charlet (1991, p. 28-29 nn. 35 et 48) parce qu'il se fondait sur l'édition de Friedrich Osann (1826) et qu'il ne disposait pas encore du manuscrit de Reims, le testis antiquissimus identifié par Biondi (1997), qui a restitué la partie finale du traité sur les diphthongues contenant aussi l'exemple de letum, voir Biondi 2011, p. 357-362 et aussi p. 277-278. À propos de letum, Nestore utilise d'une façon littérale Apuleius et les sources qu'il citait, Festus (voir supra, note 43) et Varron (LingLat. VII, 42 : « alterum apparet in funeribus indictivis, quo dicitur ‘ollus leto datus est’, quod Graecus dicit λήθῃ, id est oblivioni »).
Voir supra, note 32. Nestore critique souvent Hugutio et Balbi surtout en faisant appel au témoignage d'Apuleius, comme il arrive pour taeda (Vocabularius, f. 104v, s.v. taeda) : « Taeda cum t exili et ae dipthongo scribitur teste Apuleio a δαδα quod est luminare eodem teste descendens et ubi primam diphthongi uocalem assumpsit. Neque a taedeo taedes deriuatur ut cum Catholico Ugutio somniauit » ; cf. Apul. De diph. f. 95r.4-10, ap. Biondi 2011, p. 91 : « Taeda ortum a graeco tada quod significat luminare a diptongi traxit a principali.Taedet a graeco tailon quod significat longum per conversionem ai in e et l in d. longitudo enim atque prolixitas actionis sive passionis alicuius taedium generare solet. Ab eodem quoque tailon taelum et taela. Taelum a longo iactu vel longitudine <h>astae dictum perhibent », passage que Nestore utilise aussi pour taedeo (Vocabularius, f. 103r, s.v. taedeo) : « Taedeo taedes cum ae diphthongo scribitur teste Apuleio et a taelon quod est longum deducitur l littera in d conuersa. Nam (ut idem ait Apuleius) longitudo atque prolyxitas actionis siue passionis alicuius taedium generare solet » ; pour ces passages voir Biondi 2011, p. 359-360 et p. 253-254.
Dans le panorama des études concernant Ambrogio Calepino et Robert Estienne je me limite à signaler Charlet 2004, p. 188-194 et de Considine 2008, p. 38 ss. ; 2016, p. 35-36 avec bibliographie de référence.
Robert Estienne puise dans l'entrée letum du dictionnaire d'Ambrogio Calepino, qui à son tour semble dépendre de Nestore, que l'érudit de Bergame considérait comme étant non contemnendus Grammaticus. De ce mot Calepino écrit (Ambrosius Calepinus Bergomensis professor deuotissimus… dictionum Latinarum et Graecarum interpres perspicacissimus omniumque vocabulorum insertor acutissimus… 1521, f. 200 s.v. Letum) : « Letum pro morte secundum Priscianum a leo fit quo veteres usi sunt pro deleo quoniam mors omnia delet. Apuleius a luo deducit ideoque per oe scribi praecipit. Varro et Festus ab fieri putant. Unde et per th aspiratum sine diphthongo scribunt laethum. Quidam etiam laetum per antiphrasim dici volunt quasi minime laetum. Nam epithethon mortis est tristis quod est contrarium laeto ».
Furno 1997, p. 166.