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Numéro
Histoire Epistémologie Langage
Volume 39, Numéro 2, 2017
La grammaire sanskrite étendue
Page(s) 177 - 194
Section Lectures & critiques
DOI https://doi.org/10.1051/hel/e2017-70030-x
Publié en ligne 18 avril 2018

Soutet, Olivier (éd.), Ferdinand Brunot, la musique et la langue. Autour des Archives de la parole de Ferdinand Brunot, Diachroniques n° 6, Paris, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2017, 174 p., ISBN 979-10-231-0551-3.

La Revue de linguistique française diachronique consacre un numéro spécial « Autour des Archives de la parole de Ferdinand Brunot ». Linguiste, titulaire d'une chaire créée spécialement pour lui en 1899 à la Sorbonne, Ferdinand Brunot (1860-1938), bénéficie des nouvelles techniques d'enregistrement de son temps offertes par l'industriel Émile Pathé et le mécénat parisien. Cette manne technologique lui permet de fonder le 3 juin 1911 les Archives de la parole dans le cadre de son laboratoire à la Sorbonne, l'Institut de phonétique de l'Université de Paris. Elles lui permettront, entre autres, d'illustrer ses cours sur l'histoire de la langue française, sujet principal de ses recherches1. Le phonographe acquis permet de capter, conserver et étudier quantité de témoignages oraux de la langue parlée. Précisons qu'il s'agit d'archives sonores non pas d'horizons divers et rassemblées par des conservateurs mais de documents de première main constitués par un chercheur à partir de ses propres enregistrements. Brunot, qui avait étudié en Allemagne, connaissait bien le monde de la recherche des pays germaniques. Inspiré par les travaux de l'abbé Rousselot, il reprend à son compte le modèle des très imposantes Phonogrammarchiv de Vienne en Autriche, fondées en 1899 et inscrites en 1999 sur la liste du Patrimoine Mondial de l'Humanité, de l'UNESCO. L'archivage du son est ainsi associé à la recherche et à la captation directe par des chercheurs linguistes. De sorte que des personnalités comme Guillaume Apollinaire, Émile Durkheim, Alfred Dreyfus, mais aussi nombre de locuteurs « anonymes » ou étrangers laissent l'empreinte de leur voix aux Archives de la parole.

Le fonds Brunot qui nous concerne se donne, lui, pour objet d'apporter plus précisément une dimension phonographique à l'Atlas linguistique de la France (1902-1910), publié par Jules Gilliéron et Edmond Edmont2. L'objectif premier est de se rendre sur divers terrains francophones afin de se trouver en prise directe avec des locuteurs très différents3. Tout comme le faisait le duo Béla Bartók & Zoltán Kodály depuis 1905 en Hongrie, Ferdinand Brunot et son assistant Charles Bruneau entreprennent en 1912 un travail d'enregistrements sur des terrains francophones en dehors de la capitale. Malheureusement, ce beau projet se voit stoppé en pleine course par la Première Guerre Mondiale. Il reste que sa grande originalité pour l'époque est de nous offrir plus de 300 enregistrements réalisés lors de trois enquêtes à caractère ethnographique dans les Ardennes franco-belges en juin-juillet 1912, dans le Berry en juin 1913, puis en Limousin en août de la même année. Le tout ne représente pas moins de 335 disques (80 t et 90 t, saphir) de 25, 29 et 35 cm dont quelques copies circulaient ici et là avant que la Bibliothèque nationale de France ne décide de les mettre récemment en libre accès sur son site Gallica4. L'ensemble est bien documenté de fiches et de photographies qui fournissent une relation vivante des conditions dans lesquelles se déroulaient les déplacements en automobile et les prises de son, souvent sur la place publique d'un village « où chacun, à tour de rôle, venait donner récit, témoignage, recette de cuisine ou chanson ». Les travaux de l'équipe de Ferdinand Brunot sont vite reconnus et la renommée de ses enquêtes folkloriques s'étend à toute l'Europe5. Par ailleurs, on sait que Brunot était féru de musicologie. Les musicologues lui doivent d'ailleurs le soutien à la création de la première chaire de musicologie durant son mandat de Doyen de la Sorbonne (1919-1928). Ceci explique peut-être pourquoi le corpus d'enregistrements, qui seront nommés plus tard item dans la classification de la Phonothèque du Musée National des Arts et Traditions Populaires, comprend autant de chansons.

En conséquence, les précieux témoignages que contient le fonds Brunot concernent autant les linguistes spécialisés dans l'histoire du français et ses multiples variantes régionales que les ethnomusicologues. Des spécialistes comme Jean-Claude Chevalier, Pierre Encrevé ou Gabriel Bergougnioux apportèrent leur regard sur l'histoire institutionnelle de la linguistique en qualifiant de fondateur l'événement que fut la création des Archives de la parole. De leur côté, généralement focalisés dans la diachronie et l'ethnographie d'urgence, peu d'ethnomusicologues les prirent en considération6. C'est pourquoi fut organisé le 9 novembre 2013 une journée centrée sur la campagne du Limousin et du Berry avec l'idée de croiser les approches scientifiques. Ce numéro spécial de Diachroniques regroupe donc les communications présentées lors de cette journée pluridisciplinaire par huit chercheurs issus de quatre laboratoires : trois de l'Université Paris-Sorbonne (EA 4080 Linguistique et lexicographie latines et romanes, EA 4509 Sens Texte Informatique Histoire, & UMR 8223 IReMus) et un de l'Université d'Artois (EA 4521 Grammatica). Nous avons donc quatre musicologues et quatre linguistes.

En toute logique, l'ouvrage comprend deux parties, musicologique et linguistique, intitulées « La mémoire du chant » et « La mémoire de la parole ». Olivier Soutet en fait la présentation générale, tandis que la préface est rédigée par Joëlle Ducos et Gilles Siouffi. Paola Luna offre une description de l'enquête en Ardennes et trouve des points de comparaison entre la méthodologie de Brunot et les techniques actuelles utilisées par les ethnomusicologues. François Picard se propose de passer l'ensemble du corpus − réalisé par les mêmes personnes faisant usage du même matériel sur trois terrains différents − au filtre de l'analyse du signal audio-numérique. Et de chercher les correspondances entre hauteur, intensité et phrasé afin de dégager des descripteurs qui recouvrent des catégories locales culturellement valides à vocation universelle. Annie Labussière donne son analyse de quelques chansons à voix nue et met en évidence la complexité mélodique et l'évolution du « sentiment mélodique chez les chanteurs ». Brigitte Buffard-Moret sélectionne les chansons « les plus audibles » dont elle analyse la versification pour aboutir au constat de l'existence de deux types de chansons, celles du terroir et celles du fonds commun francophone. Jean Léo Léonard montre combien la valorisation des données dialectales d'oïl du liseré frontalier wallon recueillies par la mission Brunot est révélatrice des enjeux pour la documentation des langues en danger. La contribution d'André Thibault est consacrée à l'analyse linguistique des particularismes langagiers d'une quarantaine d'enregistrements de locuteurs du français régional du Berry. Les traits phonétiques, grammaticaux et lexicaux qu'il y relève se retrouvent dans les créoles et français d'outre-mer et devaient caractériser le français oral spontané de la plus grande partie de la population française de l'époque coloniale. Enfin, Gilles Siouffi montre la place décisive que Brunot donne aux « faits de parole » et à l'expérience du locuteur dans la perception des phénomènes dialectaux et de « culture de la langue » notamment à des époques où aucun document enregistré n'est disponible.

Nous avons là un panel d'approches et de sensibilités complémentaires utilisant des outils d'analyse actuels que Brunot n'aurait sans doute pas imaginés. Certaines différences subsistent dans le vocabulaire employé par les auteurs. À titre d'exemple, il est intéressant de noter que les musicologues continuent d'utiliser le terme « patois » alors que les linguistes parlent de langues et de dialectes. Mis à part quelques divergences d'interprétation, le résultat global confirme avec méthode et clarté les remarques de bon nombre de regards antérieurs, plus basés sur l'observation et l'intuition que sur une méthodologie appliquée. Chaque article est doté d'un résumé et d'un abstract in English. On regrettera l'absence de notice biographique des auteurs. Les bibliographies sont séparées pour chaque article mais il n'y a ni index thématique, ni index de noms propres. Par ailleurs, les illustrations sont inégales selon les articles. Quand les linguistes rédigent leur pensée par le texte, les musicologues s'appuient abondamment sur des transcriptions musicales, graphiques, tableaux, camemberts et autres images acousmographiques pour étayer leurs conclusions.

Il va de soi que le travail de Brunot ne pourrait plus se faire aujourd'hui dans les mêmes conditions. Les mutations de la France à dominante rurale naguère, urbaine et post-industrielle aujourd'hui, ont complètement transformé les modes de vie des populations. Les dialectes se meurent, les conditions dans lesquelles s'épanouissaient diverses pratiques vocales traditionnelles ont disparu. À l'écoute de ces enregistrements, parfois de qualité acoustique très médiocre en comparaison avec ce dont nous disposons à l'heure actuelle, ne serait-ce que sur nos téléphones portables, c'est toute une civilisation agraire ancienne qui rejaillit à nos oreilles. Certaines pépites musicales comme les briolées aux bœufs du Berry nous renvoient à des époques très anciennes et supportent la comparaison avec des traditions musicales contemporaines sur des terrains géographiquement et culturellement très éloignés de l'Europe de l'Ouest7. La technique vocale de certains chanteurs nous laisse imaginer ce que purent être les traditions musicales des régions françaises au temps où un Frédéric Chopin, hébergé à Nohant (Indre) chez sa compagne George Sand, s'en enthousiasmait déjà.

Le travail de Brunot, totalement précurseur en la matière, sera repris et complété par le phonéticien Jean Poirot qui lui succède en 1920, puis Hubert Pernot en 1924. Ce dernier mène trois missions de collecte à l'étranger : Roumanie en 1928, Tchécoslovaquie en 1929, et Grèce en 1930. Philippe Stern, futur conservateur du Musée Guimet, alors attaché au Musée de la parole et du geste, enregistre pour ce dernier l'anthologie musicale des « chants, musiques et dialectes indigènes » lors de l'Exposition coloniale internationale de Paris en 1931. L'installation de Roger Dévigne à la tête du Musée de la parole et du geste en 1932 va se caractériser par deux orientations majeures : le retour au « folklore musical » de France, et la création de la Phonothèque nationale et du dépôt légal des phonogrammes. Roger Dévigne réinvestit la notion d'Atlas linguistique phonographique de Ferdinand Brunot pour en faire une « Encyclopédie nationale sonore des parlers, patois et vieux chants de France ». Il réalise plusieurs missions de collecte : dans les Alpes Provençales en 1939, en Languedoc-Roussillon-Pyrénées en 1941-1942, en Normandie et en Vendée en 1946.

Le travail concentré dans ce numéro de Diachroniques en appelle donc d'autres. Gageons que de nouvelles journées d'études soient organisées pour valoriser les campagnes d'enregistrements de terrains des successeurs de Ferdinand Brunot.

Yves Defrance

Université Rennes 2

Schoenenberger, Margarita & Sériot, Patrick (éd.), Potebnja, langage, pensée, Cahiers de l'ILSL, n°46, Lausanne, Université de Lausanne, 216 p., ISBN 978-2-9700958-1-1.

Depuis une dizaine d'années maintenant, le processus de constitution des sciences humaines en Europe au xixe siècle a fait l'objet d'études renouvelées. L'analyse des réseaux scientifiques, des déplacements de savants, que ces derniers fussent confirmés ou en formation, a mis en valeur le poids des universités allemandes et de leurs figures intellectuelles dans le développement des humanités en Europe orientale. Plusieurs publications collectives ont résulté de ces travaux, des numéros de revues principalement : on pense par exemple au numéro thématique de Slavica occitania, dirigé par Michel Espagne : Transferts culturels et comparatisme en Russie, ou bien encore à celui de la Revue d'Histoire des Sciences Humaines, intitulé Psychologie allemande et sciences humaines en Russie, dirigé par David Roman et Sergeï Tchougounnikov. En Russie, ont paru également, dans la revue et aux éditions Novoe Literaturnoe Obozrenie plusieurs travaux novateurs, dont ceux de Serge Zenkin, de Ilona Svetlikova entre autres, ont contribué à accroître les connaissances disponibles.

Profitant de cette période favorable, Margarita Schoenenberger, en collaboration avec Patrick Sériot, a eu l'heureuse initiative de réunir, en juin 2013, un colloque consacré à Aleksandr (Oleksandr) Potebnja (1835-1891). Le volume ici rassemblé, édité par eux, est composé de treize articles issus de ce colloque, qui proposent, chacun selon leur point de vue, une vision renouvelée de ce théoricien du langage dont l'héritage intellectuel a imposé en Russie une marque durable, ce en dépit d'éclipses qui furent parfois de très longue durée.

C'est surtout le théoricien formé à la philosophie et à la psychologie naissante qui est ici mis en valeur, notamment à travers la large place accordée à son ouvrage La Pensée et le Langage, mais aussi le folkloriste et le poéticien.

Le volume s'ouvre sur un solide article de Roger Comtet consacré à Potebnja grammairien, qui s'attache à montrer que les Notes de grammaire russe constituent un pan très important de son héritage intellectuel. Formé dans le cadre de la tradition historico-comparative, Potebnja n'excède pas celui des langues indo-européennes. C'est un slaviste, comme l'époque les a formés : la langue slave (slavjanskij jazyk), langue panslave qui sous-tend toutes les langues slaves et que celles-ci viennent corroborer : l'ukrainien, bien sûr, lui qui était étudiant de l'université de Kharkiv, le polonais, le tchèque, le serbe, le russe, le slovène, le bulgare, ainsi que leurs différents dialectes, sans oublier le lituanien et le letton qui, pour Potebnja, font bien partie de la famille. Ses conceptions du verbe se développent entre les limites d'une slavophilie qui a défendu la spécificité achronique du verbe russe et d'une tradition historico-comparative qui accepte l'idée des transformations des langues. Potebnja a été l'élève de Nikolaj Kostyr (1818-1853), mort très jeune. Il a conservé dans sa bibliothèque l'unique grand ouvrage que ce dernier eut le temps de publier : Objet, méthode et but de l'étude philologique de la langue russe (1850). Margarita Schoenenberger montre les points de contact, mais aussi de désaccord entre eux. Ce faisant, elle restitue les questions qui agitent les grammairiens et théoriciens du langage du milieu du xixe siècle : la philologie et sa définition, l'origine du langage, le rapport à la psychologie…

Pour Aleksandr Dmitriev, Potebnja est exemplaire, par sa biographie, d'un contexte politique complexe qui mêle le développement des sciences humaines en Russie et en Ukraine aux programmes impérial, révolutionnaire et national. L'étude de l'histoire de la langue en lien avec la littérature prenait la même importance politique qu'elle avait prise en Allemagne ou en France. Mais le problème se complique ici des rapports du centre de l'Empire avec sa périphérie : le développement non contraint du principe national pourrait attenter au projet impérial. Cette apparente contradiction a été résolue positivement par Potebnja, suivi en cela par Šaxmatov, au début du xxe siècle. La résolution de cette contradiction n'est pas de nature idéologique uniquement, elle est liée également à la constitution des cultures scientifiques.

Tomáš Glanc note une évolution dans les appréciations qu'a pu porter Jakobson sur Potebnja, et notamment sur le statut de la pensée chez ce dernier. Entre la vision très critique et notoirement polémique des débuts, en 1919, et sa vaste tentative d'historicisation du formalisme dans les cours des années 1930, Jakobson a laissé de côté le rapport pensée/langage et les questions de la forme interne pour se concentrer sur la découverte majeure qu'il attribue à Potebnja, consistant à considérer que la poésie est d'une importance immense pour les recherches linguistiques.

Les concepts de forme, contenu, et bien entendu, forme interne sont au cœur de nombreux articles de ce volume. Il est largement accepté que Potebnja fut un passeur de l'œuvre de Humboldt, mais en dépit de l'opinion couramment répandue, Serhii Wakoulenko démontre que Potebnja a accédé à Humboldt non pas tant par le truchement de Steinthal, que par celui de Lazarus. Lazarus a popularisé des termes dont Potebnja a fait grand usage et l'a reconnu, comme la « condensation linguistique de la pensée » (Verdichtung des Denkens). Pour Wakoulenko, la définition même de la forme interne chez Potebnja semble « condenser les pensées » de Lazarus [La forme interne du mot est le rapport entre le contenu de la pensée et la conscience ; elle montre comment l'homme se représente sa propre pensée].

Donatella Ferreri-Bravo s'attache à mettre en rapport direct les trois expressions de la verbalité que sont l'élément central du mot, de l'œuvre littéraire et du folklore, et la triade que constituent la forme externe, le contenu et la forme interne. La distinction, reprise à Humboldt, entre forma formans et forma formata, la première étant energeïa, la seconde ergon, est traitée par Potebnja comme forme interne et formes toutes prêtes (gotovye formy). Si les deux relèvent de la sphère sémiotique, cette distinction a son importance, la première jouant dans l'ordre linguistique et philosophique, la seconde dans l'ordre littéraire : c'est la forme prise comme « élément stable, immuable, transmis par la tradition écrite », le canon en quelque sorte. Les poètes usent de formes toutes prêtes qu'ils tissent avec leurs singularités propres. Cette analyse de l'existant et du nouveau ne méconnaît pas une distinction de type langue/parole, tissage de collectif et d'individuel. Dans un article fort intéressant, Igor' Pil'ščikov analyse les interprétations divergentes qui ont pu être faites de la forme interne du mot telle qu'elle est explicitée par Potebnja chez les formalistes russes. Au-delà des divergences entre les différents auteurs ici étudiés et des polémiques in absentia entre eux et Potebnja, tous sont unis par une conception relationnelle de la forme interne. Ljudmila Gogotišvili se penche sur l'interprétation que fit Bakhtine de la forme interne et des inflexions qu'il lui fit subir, en la croisant avec la forme architectonique kantienne. En liaison avec les années 1920 encore, Serge Zenkin se penche sur l'œuvre de Boris Engel'gardt (1887-1942), théoricien de la littérature et de l'esthétique, dont une partie a été publiée en 2005 seulement. Serge Zenkin étudie ici deux articles qui, partant d'une lecture critique de Potebnja, proposent des pistes très prometteuses de développement des sciences humaines pour l’avenir, dont on a pris connaissance hélas avec un décalage de presque un siècle.

Leonid Heller s'attaque au problème du matériau dans l'art, à la lumière de la lecture de Pensée et Langage. L'approche différentialiste initiée par Herbart a posé son empreinte sur la pensée de Potebnja. Dans une démonstration menée avec l'érudition qu'on lui connaît, Heller élargit la triade de Potebnja à une conception quaternaire qui inclut le matériau : Forme interne — Contenu — Matériau — Forme externe.

Sur la distinction forme/contenu, Vladimir Feščenko identifie un moment de coexistence harmonieuse dans l'œuvre de Potebnja, qui sera suivi en cela par le poète et écrivain symboliste Andrej Belyj (1880-1934) : « l'unité symbolique est l'unité de la forme et du contenu ». Recourant à la métaphore guerrière, Feščenko montre comment l'école formelle et le futurisme « se sont libérés de la corrélation traditionnelle entre forme et contenu », selon les mots de Ejxenbaum, puis comment s'est déclarée une véritable guerre civile entre partisans de la forme d'un côté et du contenu de l'autre. À propos de Andrej Belyj, Patrick Flack en étudie l'inspiration néo-kantienne, notamment en rapport avec la théorie de la valeur. Grande question à l'époque, pour les philosophes, les poètes et poéticiens et les linguistes, bien entendu.

Patrick Sériot s'interroge sur le regain d'intérêt dont a bénéficié Potebnja dans l'URSS des années 1930-1940. Il montre comment une lecture matérialiste de son œuvre a pu engendrer une manière de mentalisme matérialiste, en une période où la linguistique recherche ses marques après la mort de Marr.

On peut dire sans hésiter que, dans son ensemble, le volume est passionnant : il croise les points de vue, fourmille d'informations et d'analyses aussi originales qu'approfondies. Il n’est pas seulement monographique, car il embrasse l'œuvre d'un théoricien prolifique et son temps, mais aussi ses héritages, dans leur diversité, parfois paradoxale.

Sylvie Archaimbault

Eur’Orbem, CNRS/Paris-Sorbonne

Curea, Anamaria, Entre expression et expressivité : l'école linguistique de Genève de 1900 à 1940, Paris, ENS éditions, 2015, 378 p., ISBN 9782847886894.

Le livre d'A. Curea affronte un problème historiographique épineux : évaluer la consistance de l'école linguistique de Genève. Comme le souligne l'auteur dans son introduction, ni la revendication d'un héritage commun (l'enseignement saussurien), ni la permanence d'un ancrage institutionnel (la chaire de linguistique générale de l'Université de Genève occupée successivement par Saussure, Bally, Sechehaye, Frei et Prieto), ni les déclarations de différents acteurs (Sechehaye surtout) sur l'existence d'une école linguistique genevoise ne suffisent à caractériser une école de pensée. Il faut pour cela, une « logique interne sous-tendue par l'existence d'idées interconnectées » (p. 21), ce que la disparité des travaux des linguistes genevois laisse difficilement entrevoir. Cette logique interne, A. Curea propose de l'identifier dans la problématique commune de l'expression. L'hypothèse est intéressante car elle permet d'observer comment une notion qui n'appartient pas à l'appareil conceptuel de Saussure − et on sait que la formation de Bally et de Sechehaye est en grande part antérieure à l'enseignement saussurien − a été travaillée dans différentes voies en procédant à la réinscription de certains thèmes théoriques du Cours de linguistique générale (la linguistique de la parole, la synchronie, l'arbitraire du signe, la théorie de la valeur). Avec cet angle d'entrée, l'auteur propose d'étudier en détail les constructions théoriques des trois premiers grands représentants de l'école genevoise : Charles Bally, Albert Sechehaye et Henri Frei. La période considérée (1900-1940) couvre l'essentiel de la production scientifique de Bally et de Sechehaye mais, pour ce qui concerne Frei, seulement la Grammaire des fautes (1929) et trois articles postérieurs. La méthode choisie est rigoureuse et systématique : observer, par une lecture chronologique de l'œuvre de ces trois linguistes, le traitement conceptuel de la problématique de l'expression. Les trois premiers chapitres sont consacrés respectivement à Bally, à Sechehaye et à Frei et se composent d'une lecture attentive de leurs écrits et d'une analyse de leur réception par leurs contemporains. Les deux derniers chapitres sont transversaux et portent sur la trace des idées saussuriennes chez Bally, Sechehaye et Frei ainsi que sur les convergences et divergences entre leurs travaux.

Le premier chapitre, qui fait près de la moitié de l'ouvrage, est consacré à la problématique de l'expression chez Charles Bally. L'auteur, qui prend le parti d'une approche chronologique, distingue deux grandes périodes pour le traitement de ces questions dans l'œuvre de Bally : l'une, qui va de 1905 à 1929, concentrée autour du projet de la stylistique conçue comme science de l'expression, l'autre, à partir de 1929 qui correspond à l'abandon de la perspective stylistique et à la mise en place, avec la parution de Linguistique générale et linguistique française (LGLF), d'une « théorie de l'énonciation ». La lecture serrée des textes que propose A. Curea est particulièrement méritoire lorsque l'on sait la labilité des concepts et de leurs définitions dans les textes de Bally. A. Curea suit, en particulier, l'évolution des termes « expression » et « expressif » dans le Précis de Stylistique française (1905), le Traité de Stylistique française (1909) et dans des conférences et des articles postérieurs. Elle montre qu'une instabilité conceptuelle touche ces notions et qu'à partir du Traité de Stylistique française, deux acceptions d'« expression » se dégagent : l'une, générale, renvoie à la mise en discours de la langue où se manifestent les rapports entre langue et pensée, l'autre plus spécifique, restreint « l'expression » au champ de l'affectif et du subjectif pour désigner l'ensemble des traits effectifs observables dans le langage. L'article « Mécanisme de l'expressivité linguistique » paru en 1926, marque, selon A. Curea, une nouvelle étape dans la réflexion de Bally. Celui-ci substitue à la problématique de l'expression celle de l'expressivité conçue comme fonctionnement. Inscrite dans une conception dynamique, l'expressivité devient alors un mécanisme, une fonction, non plus de la langue, mais des sujets parlants. Plusieurs pages sont également consacrées à la réception des travaux de stylistique de Bally par Saussure (p. 93-109), Sechehaye (p. 109-128), Meillet (p. 128-134) et Vendryes (p. 134-138). À l'exception de ce dernier dont l'accueil est exclusivement positif, ces lecteurs se rejoignent sur plusieurs critiques, d'ordre épistémologique et méthodologique, adressées au projet scientifique de Bally. Tous contestent l'opposition intellectuel/affectif, reprise à Wundt, comme base méthodologique, et surtout la possibilité de déterminer ce qui relève de l'affectif dans la description des faits linguistiques. L'étude de Linguistique générale et linguistique française ferme cette première partie. A. Curea montre que cet ouvrage prolonge la réflexion de la stylistique en procédant à une reconfiguration des notions : « énonciation » et « actualisation » remplacent l'acception large d'« expression » des premiers travaux de Bally et « expressif » est réservé aux faits affectifs. Si certaines dualités sont abandonnées (comme l'opposition intellectuel/affectif au profit de l'opposition expression/communication) et si certains thèmes théoriques gagnent en importance (la modalisation), la question de l'expressivité comme fonctionnement reste au cœur de l'interrogation scientifique de Bally. De ce point de vue, A. Curea remet en cause l'hypothèse d'un clivage majeur entre « deux Bally » (celui de la stylistique de 1905-1909 et celui de LGLF) : c'est la continuité par l'attention portée aux problématiques de l'expression qui lui semble primer.

A. Curea décrit ensuite minutieusement les propositions théoriques d'Albert Sechehaye formulées dans Programme et méthodes de la linguistique théorique(1908) et Essai sur la structure logique de la phrase (1926) et certains de ses articles. Le programme scientifique de Sechehaye est, comme celui de Bally, largement redevable à la psychologie de Wundt. Son objectif est d'élaborer une science de l'expression grammaticale qui tienne compte de l'activité psychologique sous-jacente des sujets. Il propose néanmoins des solutions différentes de celles de son collègue genevois procédant, non pas par opposition (par ex. entre des éléments affectifs et intellectuels), mais par un principe d'emboîtement qui lui permet de diviser les objets de la linguistique théorique − le langage grammatical emboîté dans le langage prégrammatical − et les disciplines qui s'y consacrent. Après l'exposé des principes de cette approche psychologique de la grammaire, A. Curea analyse, comme dans le chapitre précédent, la réception des travaux de Sechehaye par ses collègues genevois, Saussure et Bally. Ce qui frappe, à la lecture de ce chapitre, est l'absence d'application concrète des principes théoriques énoncés par Sechehaye, quand le travail de Bally, objectivement moins rigoureux et systématique, fourmille d'analyses précises et intéressantes de faits de langue.

Dans le troisième chapitre, A. Curea montre comment, chez Frei, la problématique de l'expression est ramenée dans une perspective fonctionnelle. Dans la Grammaire des fautes et dans quelques articles postérieurs, Frei étudie les fautes de ce qu'il appelle « le français avancé » comme les indices de besoins ressentis par les sujets parlants face aux déficits du français standard. Il distingue cinq besoins qu'il conçoit comme des universaux du langage et qu'il distribue selon l'opposition communication/expression de Bally. Alors que les besoins d'assimilation, de différenciation, de brièveté et d'invariabilité se rattachent à la nécessité de la communication, le besoin d'expressivité se rattache au pôle de l'expression. Frei propose une typologie fine des procédés expressifs observables dans les corpus qu'il étudie. A. Curea montre ainsi que, si la problématique de l'expressivité chez Frei est largement redevable aux travaux de Bally, la perspective finaliste dans laquelle elle s'inscrit lui est étrangère.

Le quatrième chapitre est consacré à la réception par les trois linguistes des idées saussuriennes, et spécifiquement de deux thèmes théoriques : la dualité langue/parole et l'arbitraire du signe. Si l'importance prise par la question de l'arbitraire dans les écrits de Bally, Sechehaye et Frei peut être vue comme contingente car liée à la critique de ce principe par Pichon et Benveniste à la fin des années 1930, la réinscription de la dualité langue-parole est, comme le montre A. Curea, au cœur de la démarche théorique des trois linguistes genevois. Chacun propose une interprétation originale et non oppositive de cette dualité − développement de la notion de « langue parlée » chez Bally, théorisation d'une « linguistique de la parole organisée » chez Sechehaye − mais tous se rejoignent dans une attention commune portée au fonctionnement de la langue dans l'activité de la parole qui constitue, selon A. Curea, la spécificité d'approche de l'école genevoise.

Le dernier chapitre porte sur l'analyse des convergences entre ces différents projets d'une « linguistique de la parole ». A. Curea identifie trois problématiques communes qui reçoivent chez chaque linguiste un traitement différencié : l'articulation avec la psychologie, la problématisation de l'affectivité et la conception de la figure du sujet parlant. La centralité, dans l'œuvre de Bally, de Sechehaye et de Frei, de ces problématiques délaissées par le structuralisme et les variations qui s'observent dans leur traitement illustrent l'acception qu'A. Curea propose de donner au syntagme « école linguistique de Genève » : « des modes partiellement convergents d'envisager une même problématique » (p. 361).

L'ouvrage d'A. Curea propose, en définitive, une synthèse particulièrement fouillée et convaincante sur l'école de Genève. Elle parvient tout à la fois à dégager ce qui fait l'unité théorique de cette école et à présenter de façon détaillée la spécificité des propositions scientifiques de chacun de ses membres. L'attention portée au composant théorique de cette école linguistique conduit l'auteur à une lecture extrêmement serrée des textes des linguistes genevois. Seul regret : cette approche au plus près des textes se fait parfois au détriment de la prise en compte de l'arrière-fond historique et conceptuel de cette école de pensée ainsi que du réseau d'interactions et d'influences dans lequel elle est insérée. On aurait aimé, à titre d'exemple, que le rôle de la psychanalyse soit à un moment abordé tant elle semble prégnante pour l'élaboration théorique des linguistes genevois (l'épouse de Sechehaye est une des pionnières de la psychanalyse helvétique et certaines images employées par son mari, comme celle du disque lumineux sur un fond obscur, semblent empruntées aux représentations contemporaines de l'inconscient). L'ouvrage d'A. Curea ne constitue pas moins une pièce incontournable pour toute étude à venir sur l'école linguistique de Genève. L'identification de l'expression comme problématique commune de cette école et l'analyse de la réinscription des idées saussuriennes chez Bally, Sechehaye et Frei selon cette perspective en sont des acquis majeurs.

Pierre-Yves Testenoire

ESPE Paris / Université Paris-Sorbonne

HTL

Kibbee, Douglas A., Language and the Law. Linguistic Inequality in America, Cambridge, Cambridge University Press, 231 p., ISBN 978-1-107-62311-8.

Le propos de ce livre est le fruit d'une longue enquête de l'auteur sur la question des rapports de dominance linguistique, un des aspects les moins examinés de la dominance en société. Après avoir longuement étudié ce type de question en romaniste francisant au cours de sa carrière, Douglas Kibbee en vient dans ce volume à son propre pays où 60 millions d'habitants parlent une autre langue que l'anglais à la maison (p. 2). Si la Constitution évoque bien l'égalité des citoyens quels que soient leur sexe, leur couleur, leur origine nationale, leur race, leur religion, elle ne mentionne pas la langue comme facteur d'inégalité, contrairement à la chartes des Nations Unies de 1945 (p. 6). D'autre part rien dans les lois fédérales ne confère à l'anglais un statut de langue officielle. Il y a donc aux USA une sorte de vide conceptuel qui entraîne un manque de protection des citoyens sur ce terrain. À partir de ce constat, l'auteur se livre à une enquête méticuleuse des types de discrimination linguistique rencontrés sur le territoire national. Dans le domaine des droits civiques, on voit dans l'histoire du pays des citoyens écartés de certaines magistratures électives au motif qu'ils maîtrisent mal l'anglais (p. 34) tandis que la question linguistique est parfois invoquée pour limiter le droit de vote lorsque la pression de l'immigration devient trop forte. En 1959, 19 États ont des tests linguistiques en anglais pour vérifier le droit de vote. Ce n'est qu'en 1965 que le Voting Rights Act interdit aux États de rejeter un citoyen sur le motif linguistique de sa mauvaise maîtrise de l'anglais s'il a une instruction dans une école accréditée par le gouvernement dans une autre langue éducative que l'anglais. Suit un chapitre sur la discrimination dans le secteur judiciaire. Dans le sillage du cinquième amendement de la Constitution qui protège généralement les citoyens dans le domaine judiciaire, le sixième amendement leur confère un droit d'assistance judiciaire dans la langue qu'ils parlent (p. 54-57), mais dans le détail la traduction des témoignages n'est pas toujours assurée, ce qui prive parfois l'accusé d'une réelle participation à son propre procès. Depuis 2000 toutefois, des mesures sont prises pour favoriser l'égalité des citoyens devant la justice, par le biais notamment des interprètes, mais la légitimité d'un interprète est souvent laissée à l'appréciation du juge et l'accusateur n'est pas doté juridiquement du droit d'interprète au même titre que l'accusé. Même combat également pour que tous les citoyens puissent devenir membres des jurys de Cour sans discrimination.

Dans le domaine éducatif, qui constitue la part la plus considérable du livre, on retrouve de semblables contradictions. Au xixe siècle déjà l'école apparaît comme le moyen d'assimiler les nouveaux arrivants irlandais ou allemands et l'on s'efforce donc de créer des écoles d'État dont les programmes seraient communs. Mais des tendances centrifuges contrecarrent cette tendance. Chaque État ayant son autonomie en matière éducative, le xixe siècle autorise largement l'éducation bilingue dans d'autres langues que l'anglais. Au tournant du xxe siècle, avec l'industrialisation grandissante de la société américaine, la pression est plus grande pour requérir un apprentissage scolaire en anglais et surtout une scolarisation minimale obligatoire (p. 92). Les deux grands partis présentent des sensibilités différentes, les démocrates plus enclins au bilinguisme éducatif, les républicains campant sur une école monolingue anglaise. La première guerre mondiale, avec son fort ressentiment anti-allemand, confortera les partisans d'une éducation monolingue. À la fin de l'année 1919, 37 États sur les 48 de l'union imposaient des mesures de restriction sur l'enseignement des langues étrangères. L'étau se resserre donc de plus en plus, avec l'exemple d'Hawaï où toutes les écoles japonaises sont fermées en 1920. Dans le sud, en revanche, notamment au Texas, la ségrégation des jeunes originaires du Mexique génère des écoles totalement séparées du régime scolaire normal jusqu'à ce que, à partir de 1946, le balancier reparte dans l'autre sens, celui de l'uniformisation de l'éducation et de la condamnation de la ségrégation scolaire au motif de l'égalité des citoyens. Puis les recherches sur les vertus du bilinguisme dans les années 50 remettent en cause la tendance au monolinguisme tandis que l'attention se concentre de plus en plus sur les remèdes à apporter au système éducatif pour mettre toutes les populations américaines sur un pied d'égalité au regard de la langue. Les initiatives fédérales et locales ne vont pas toujours dans le même sens mais une conscience se fait jour des problèmes. Ce chapitre traite également de la question des minorités autochtones et des locuteurs de l'anglais afro-américain.

Les deux derniers chapitres portent davantage sur les langues dans la vie publique aux USA. Le chapitre 5 porte sur la place des langues dans l'administration publique, question débattue récemment sous la présidence Clinton (p. 196) et le chapitre 6 sur le problème de la langue sur le lieu de travail.

L'ouvrage dans son ensemble est extrêmement documenté et soigneux. Il est fait très largement état des procès et des documents administratifs qui jalonnent le xixe et le xxe siècles. De cet ensemble de va-et-vient idéologiques qui caractérisent l'histoire mouvementée des États-Unis, il résulte un effort (toujours à continuer) pour équilibrer les besoins de la société et la protection de ses minorités. Effort qui passe par des débats houleux et des conflits. L'inégalité linguistique, répète l'auteur en conclusion (p. 183), est une zone aveugle de la philosophie politique : comment redistribuer le capital linguistique selon des principes équitables ? L'uniformité linguistique est-elle l'unique chemin vers l'égalité linguistique ? Ne faut-il pas, pour l'obtenir, prendre en compte la diversité des origines ? Et l'auteur de conclure sur la nécessaire et constante mise à jour des procédures qui permettent de remettre constamment sur les rails le chariot de l'égalité.

Il faut ajouter à l'excellence de cet ouvrage celle de sa bibliographie et de ses index… jusqu'à un jeu de sept ou huit pages vierges qui permettent de prendre à la suite de l'ouvrage des notes personnelles. Que demander de plus ?

Philippe Caron

Université de Poitiers

Balsamo, Jean & Bleuler, Anna Kathrin, (éd.), Les cours comme lieux de rencontre et d'élaboration des langues vernaculaires (1480-1620). Höfe als Laboratorien der Volkssprachigkeit (1480-1620), Genève, Droz, Collection Travaux d'Humanisme et de Renaissance, 2016, 472 p., ISBN 978-2-600-01901-9.

Ce volume documente l'avancée du projet de recherche franco-allemand Eurolab sur la Dynamique des langues vernaculaires dans l'Europe de la Renaissance, comme le rappellent J. Balsamo et A. K. Bleuler dans leur introduction. Les cours y sont objet d'étude parce que lieux de rencontre d'acteurs influençant la langue. Les treize contributions du recueil, augmentées d'une introduction bilingue français-allemand, avec sa version anglaise en fin de volume, sont issues de colloques tenus en 2012 et 2013 et couvrent une partie importante de l'espace européen, de l'Espagne à la Pologne, et du Danemark à la cour de Naples, en passant par la France et diverses cours germanophones (Palatinat, Köthen, Vienne). L'ouvrage est en lui-même le lieu de rencontre qu'évoque le titre, croisant de multiples langues, langues de culture comme le latin et le grec, mais aussi langues des peuples (la Volkssprachigkeit du titre) que sont le français, le gascon, le danois, le flamand, l'italien, l'espagnol, le polonais, le portugais, ainsi que diverses supra-variétés régionales d'allemand parlées sur le territoire du Saint-Empire.

Le macro-sujet du recueil est l'intégration des langues vernaculaires dans la conscience culturelle en général et dans la langue littéraire en particulier. Pendant un grand siècle, les langues se partagent les territoires de façon certes réelle, mais discrète pour les idiomes autres que la langue qu'on n'ose pas encore dire « nationale ». La diversité linguistique se fait plus visible au sommet des États, parce que les langues y sont une compétence valorisée sur le plan diplomatique (pouvoir) et personnel (culture). Si ces cours européennes sont multilingues, ce n'est pas parce que germeraient de façon spontanée sous l'air printanier de la Renaissance des représentations ouvertes à l'altérité des parlers, mais parce que les réseaux aristocratiques de gouvernement s'opposent au traçage de frontières géographiques et esthétiques entre les langues : les cours facilitent la circulation des langues parce que leur ancrage social acclimate ces parlers de gens bien-nés. Il n'y a pas de tensions ethniques à l'intérieur de cette élite, qu'on ouvre (petitement, comme le rappellent les articles sur les académies) aux bourgeois autorisés à équiper les langues. Les modèles sont pris à l'étranger, si celui-ci apporte un prestige analogue à celui de l'Italie de la Renaissance, sans que cela n'empêche la fixation de types littéraires plus étroitement nationaux comme les tombeaux, qui sédimentent une déclinaison française de l'hommage multilingue au grand personnage ou à la noble dame décédée.

La première partie du volume regroupe, sous le titre Une pratique de cour : le multilinguisme un éventail de pratiques de cours européennes. Dans « Mehrsprachigkeit am Kaiserhof » , J.-D. Müller concentre sa narration sur les empereurs Ferdinand I et Maximilien II en répertoriant les diverses langues parlées et écrites à la cour de Vienne et leur contexte. S'y fait jour un problème qu'on retrouvera dans quelques-unes des contributions, celui du caractère hypothétique de la maîtrise des langues par tel ou tel aristocrate. Dans « Skizze eines Laboratoriums der Volkssprachigkeit : der Hof Kurfürst Friedrichs II. von der Pfalz als Ort kulturellen Austauschs », l'historienne R. Baar-Cantoni conclut que la cour du prince-électeur, bien que celui-ci se soit enthousiasmé pour l'art équestre espagnol, semble avoir été une cour essentiellement germanophone dans ses interactions. Mais la province savait aussi se parer de gestes plurilingues, comme le montre la charmante illustration de la première de couverture, tirée d'une pièce allemand-latin-français de 1551, jouée pour de grandes fêtes. R. Béhar, dans « Multilinguisme à la cour du vice-roi de Naples don Pedro de Toledo 1532-1553 », atteste la dissémination linguistique réalisée par un expatrié hispanophone nommé vice-roi à Naples. Mais les contacts linguistiques ont un caractère éphémère lorsqu'ils sont dus à la seule grâce de l'envoi d'un représentant du pouvoir central habsbourgeois, allophone sur le territoire considéré. La clairvoyance de l'auteur l'empêche de se méprendre sur le statut de ces influences plurilingues, qui ne débouchaient pas nécessairement sur une appétence de la noblesse à parler en langues. Dans la contribution « Le multilinguisme de la cour polonaise à l'époque de la Renaissance. Esquisse préliminaire », P. Salwa prend la question des connaissances linguistiques réelles des souverains polonais et de leur famille à bras-le corps de leurs apprentissages langagiers, tels qu'ils peuvent être documentés par leurs écrits et les dires des contemporains quand ils ne sont pas flagorneurs. L'article expose clairement les problèmes qui se posent pour l'identification historique de compétences plurilingues : la possession de livres en diverses langues ne prouve pas qu'ils aient été lus, pas plus que l'absence de traductions de littérature étrangère vers le polonais ne révèle un désintérêt pour ces cultures. La cour danoise témoigne, dans « Les langues à la cour de Danemark à la Renaissance et l'italianisme à l'époque de Christian IV (1577-1648) », de ce que l'Italie et les lettres italiennes représentaient un modèle européen général au xvie siècle, et retrace le parcours de deux Italiens, vecteurs de cet intérêt particulier, ayant occupé des fonctions de premier plan à la cour danoise. L'article de V. Ferrer « D'Aubigné et la satire du gascon à la cour de France » reprend brièvement un grand classique, la publication des Avantures de Faeneste8 par Agrippa d'Aubigné et introduit un aspect jusqu'à présent absent du volume : les contacts avec les autres langues ou variétés pouvaient aussi être vécus sur le mode de l'inquiétude au sujet de la langue nationale, qu'on craignait de voir s'altérer à peine établie. Le polyglottisme de la Renaissance est ambigu : il loue l'ouverture aux autres tout en condamnant radicalement les « corruptions » dues aux interférences avec des parlers provinciaux ou des registres populaires.

La deuxième partie, intitulée La poésie, lieu du plurilinguisme de cour, traite plus de poésie que de plurilinguisme. L'article « Volkssprachige Versuche in München und Augsburg zwischen Hof, Schule und Universität (1480-1620) », suggère que la cour et la bourgeoisie masculine qui participait à l'administration dans le Sud de l'Allemagne se sont influencées mutuellement. De l'article « Deutschsprachige Hofdichtung zur Zeit Friedrichs II von der Pfalz (1520-1556) », se dégage l'impression que Frédéric, de qui l'on peut supposer qu'il était ouvert à la littérature européenne en général, souhaitait surtout élever un monument à la littérature allemande de son époque. L'article d'A. Plagnard « Le portugais et la cour des Habsbourg d' Espagne : usages nobiliaires, circulations écrites et pratiques littéraires », s'efforce de déduire des traces biographiques, des reconstitutions de bibliothèques et des dédicaces des œuvres le degré de maniement ou de pénétration réels du portugais à la cour d'Espagne. Les notions de « majoration » et « minoration » ne sont pas convoquées, alors qu'elles sembleraient pouvoir idéalement décrire les rapports entre espagnol et portugais dans cette constellation. L'article « Les poètes italiens à la cour de France », documente l'italianisme de François Ier comme absorption du prestige littéraire italien en marque de distinction royale pour lui-même. Enfin, l'étude d'un genre très particulier de l'époque, le tombeau, fait se retrouver dans « Le plurilinguisme funèbre autour de Marguerite de France, Duchesse de Berry et de Savoie », les langues élégantes que sont à l'époque le grec, le latin, l'italien et le français.

Dans la troisième et dernière partie, Académies, sociétés et réseaux lettrés, le premier article, « Das Deutsche und die Vielsprachigkeit in der Frühzeit der fruchtbringenden Gesellschaft. Der Köthener Hof als Laboratorium der Sprach- und Versarbeit », fournit de nombreux détails sur les personnes ayant œuvré dans le cadre de la plus célèbre académie de langue allemande. Dans le second, « Die italienischen und französischen Akademien als Zentren frühneuzeitlicher höfischer Sprachdiskussion », S.D. Schmid et J. Hafner suggèrent de façon intéressante que les sociétés de langage représentaient plutôt une contre-culture qu'une culture de cour, contrairement au rôle qu'a retenu d'elles l'historiographie.

Le côté philologique des études rassemblées transparaît dans les plages de notes de bas de page qui submergent parfois la ligne argumentative, ainsi que dans des bibliographies plus fournies en documents d'archives qu'en ouvrages théoriques. Une vision optimiste des capacités langagières peint les locuteurs à la cour comme plurilingues, alors que seule leur faculté de réception est suffisamment attestée. L'abstraction de tout déchirement, malaise ou insécurité linguistique est peut-être un biais du milieu privilégié étudié, dans lequel les conflits de cette nature n'ont pas laissé d'autre trace que littéraire (cf. l'article sur D'Aubigné) : la dignité linguistique des idiomes concernés est donnée d'emblée, elle n'est pas contestée. Le peu de références sociolinguistiques réduit plus ou moins les hypothèses avancées au topos de la cour comme petite Babel (p. 11). Le dénominateur commun entre les contributions est en effet l'idée que les individus plurilingues qui peuplent ces cours font avancer la diffusion de tel ou tel idiome dans un nouvel espace.

Le volume présentant des articles en français ou allemand, avec de consistants résumés en anglais et de longues citations non traduites en latin, italien et espagnol s'adresse à un lectorat multilingue lui-même. Il met bien en exergue la place capitale de l'italien au panthéon du xvie siècle dans les pays européens en général, et en France en particulier, avec une influence plus faible dans les pays du Centre et Nord de l'Europe. Sa lecture procure des éclairages documentés sur des têtes couronnées et des cours bien précises, dont les milieux écologiques font sentir le poids des biographies et des circonstances sur les dynamiques langagières.

Odile Schneider-Mizony

Université de Strasbourg

Velmezova, Ekaterina & Moret, Sebastien (éd.), Rozalija Šor (1894-1939) et son environnement académique et culturel (Cahiers de l'ILSL, 47), 2016, 324 p., ISBN 978-2-9700958-1-1.

Le recueil de travaux intitulé Rozalija Šor (1894-1939) et son environnement académique et culturel, édité par Ekaterina Velmezova et Sébastien Moret, vise à combler le manque de connaissance sur l'une des premières linguistes professionnelles de l'Union soviétique, Rozalija Osipovna Šor. Cette philologue, linguiste et pédagogue active dans les années 1920-1930, période intellectuelle connue dans l'histoire des idées comme polyphonique (époque où coexistaient de nombreux courants de recherche), aurait selon eux été « oubliée de façon injuste » (p. 2). En effet, ses œuvres sont non seulement quasiment inconnues en Occident et relativement peu connues en Russie, mais n'ont aussi pas ou peu été rééditées depuis les années 1920-1930 (p. 2). Le but de l'ouvrage préparé par les deux chercheurs de l'Université de Lausanne consiste à analyser les travaux de R. Šor et ses nombreux domaines d'intérêt professionnel (p. 5).

Le livre commence par une préface d'E. Velmezova. Dans celle-ci, la chercheuse présente quelques « touches historico-épistémologiques au portrait intellectuel de Rozalija Šor » (p. 1), ainsi que le but du recueil, tout en précisant que celui-ci « ne donne pas une vision complète et exhaustive de toutes les facettes de l'activité intellectuelle de Šor » (p. 9). Les travaux publiés dans le recueil ont été divisés en six sections, ce qui a pour but de « donner dès le début aux lecteurs une présentation panoramique générale des nombreuses activités de Šor dans des domaines très divers des sciences du langage » (p. 6).

Dans la première section, Craig Brandist (Sheffield) se penche sur l'aspect historiographique du travail de Šor au travers de documents conservés dans les archives des institutions où la linguiste a travaillé. L'étude de ceux-ci met en lumière des travaux de Šor durant les années 1920-1930 qui n'ont jamais été analysés, en comparaison avec ceux qui ont été publiés. Ainsi, le chercheur britannique révèle plusieurs aspects de l'activité intellectuelle de Šor qui sont encore peu connus et qui exposent son point de vue, entre autres, sur la « pensée linguistique occidentale », ainsi que son ambivalence vis-à-vis des idées du linguiste soviétique Nikolaj Jakovlevič Marr (1864-1934), dominantes dans le pays à cette époque.

La deuxième section présente Šor en tant qu'historienne des idées linguistiques. Vladimir Alpatov (Moscou) et Patrick Sériot (Lausanne) ont tous les deux analysé cette facette de l'activité académique de la linguiste soviétique. Tandis que le premier souligne la grande connaissance qu'avait Šor de l'histoire de la linguistique et parle de ses nombreux apports dans le domaine, même si ceux-ci pouvaient se révéler parfois « rigides » (p. 85), le second aborde la philosophie du langage de l'époque des Lumières qui avait grandement intéressé Šor. En effet, à l'époque des années 1920-1930 le problème du signe, du social et du rapport entre langue et pensée avait suscité beaucoup d'intérêt − entre autres, chez Valentin Nikolaevic̆ Vološinov (1895-1936), qui est comparé à Šor dans l'article de P. Sériot.

La contribution de P. Sériot assure une transition évidente vers la partie suivante du recueil, consacrée aux approches sémiotiques « avant-gardistes » de la linguiste soviétique. Au travers de la notion d'intentionnalité, la chercheuse lausannoise Anna Isanina tente de démontrer que Šor s'inscrivait non seulement dans la continuité de la conception linguistique de Ferdinand de Saussure (1857-1913), mais également dans celle d'Edmund Husserl (1859-1938). L'analyse de deux articles de vulgarisation sur la traduction écrits par Šor a permis à A. Isanina de mettre en lumière une position conceptuelle pratique de la linguiste, qui reflète les aspects théoriques exposés dans ses ouvrages. Dans la même veine, Ekaterina Velmezova discute de l'étude des interjections par Šor en comparaison avec le Cours de linguistique générale, qui avait grandement influencé de nombreux linguistes russes. Ainsi, la chercheuse montre que les réflexions de Šor sur le signe vont encore plus loin que celles reflétées dans le Cours, notamment lorsqu'elle élabore une frontière de caractère sémiotique entre langue et langage. Ekaterina Alexeeva, une autre chercheuse lausannoise, conclut cette partie en présentant une comparaison entre les positions de caractère sémiotique de Šor et d'Aleksej Fedorovič Losev (1893-1988). Durant la période charnière des années 1920-1930, les deux penseurs se sont concentrés sur plusieurs questions-clés de la philosophie du langage. Leur intérêt commun pour le travail de Saussure et leur divergence d'opinion sur le problème du signe linguistique témoignent, selon la chercheuse, de la richesse et de la diversité des approches de l'étude du langage en Union soviétique à cette époque.

Au centre de la quatrième partie se trouve l'intérêt manifeste de Šor pour la linguistique appliquée. Andries van Helden (Leyde) rappelle que Šor avait collaboré activement à l'Institut des peuples de l'Orient qui était responsable, entre autres, de la création des alphabets pour les langues de ces populations. Dans un de ses travaux à ce sujet, Šor critique Nikolaj Feofanovič Jakovlev (1892-1974), auteur de la célèbre formule qui visait à réduire les graphèmes d'une langue à un nombre inférieur à celui de ses phonèmes. Dans son article, A. van Helden présente la contestation de l'érudite qui affirme que la formule n'est pas applicable à n'importe quelle langue. À la suite de ces réflexions, Elena Simonato (Lausanne) parle de la contribution de Šor à la réforme générale de l'alphabétisation en exposant l'analyse de ses arguments pour et contre la latinisation de l'écriture chinoise.

La cinquième partie expose de quelle manière les travaux de Šor se montrent souvent à l'intersection de plusieurs courants linguistiques soviétiques et « occidentaux ». La contribution de Patrick Flack (Prague) vise à présenter la place « relativement indépendante et médiatrice » (p. 184) des travaux de la linguiste soviétique dans la controverse qui a opposé le formalisme et le marxisme dans la jeune Union soviétique. De son côté, Sébastien Moret analyse la position de Šor vis-à-vis des langues artificielles, en essayant de répondre à la question de savoir si les critiques de la presse espérantiste sur les travaux de Šor étaient justifiées. Une autre chercheuse lausannoise, Margarita Schoenenberger, se penche sur la notion de langue nationale élaborée dans un article de Šor. Elle démontre que bien que celui-ci fût publié dans les années 1930, il contenait déjà les éléments de la notion de langue littéraire développée par Viktor Vladimirovič Vinogradov (1895-1969) dans les années 1960. De plus, des scientifiques comme Viktor Maksimovič Z̆irmunskij (1891-1971) et Lev Petrovič Jakubinskij (1892-1945) s'étaient penchés sur la question concernant l'utilisation politique de l'un ou l'autre de ces concepts déjà dans les années 1930. Dans la dernière contribution de cette partie, Irina Ivanova (Lausanne) présente l'évolution de l'attitude de Šor envers les idées saussuriennes et de manière plus générale, elle réfléchit sur la manière dont ces dernières ont été reçues par les linguistes soviétiques dans les années 1920-1930.

Finalement, dans la dernière partie, Roger Comtet rappelle que Šor n'était pas qu'une linguiste éminente, mais également une philologue. En parallèle à ses diverses recherches sur les sciences du langage, elle s'était engagée notamment dans l'entreprise de l'Encyclopédie littéraire de 1929-1939. Cette analyse permet d'amener une réflexion sur l'unité de pensée entre ses écrits linguistiques et littéraires, ainsi que sur l'évolution de ses idées.

Le volume comporte également quatre annexes. Deux sont des textes de Šor elle-même, le troisième et le quatrième présentent des compte rendus russes du Cours de linguistique générale, livre qui a beaucoup marqué l'époque des années 1920-1930 en Russie, y compris le travail de Šor.

Cet ouvrage est la publication la plus complète éditée jusqu'à présent concernant Rozalija Šor. De plus, à travers les activités de cette dernière, il présente un panorama de la vie intellectuelle en Russie des années 1920-1930.

Emilie Wyss

Université de Lausanne

Ouvrages de collaborateurs / Publications by associates*

Bernard Colombat, Jean-Marie Fournier, Christian Puech, Uma História das ideias linguísticas, traduit du français par Jacqueline Léon et Marli Quadros Leite, Editora Contexto, Sao Paulo, 2017, 304 p., ISBN 978-85-520-0006-8.
[Traduction de Histoire des idées sur le langage et les langues, Paris, Klincksieck 2010, coll. « 50 questions » n° 33]

O estudo histórico das ciências da linguagem é um campo relativamente novo, que tem se desenvolvido muito ao longo das últimas décadas. Embora tenha se espalhado amplamente, inclusive no Brasil, ainda faltam livros voltados a estudantes e interessados que reúnam, de modo prático, um resumo das mais importantes questões tratadas por especialistas da área. Esta obra preenche essa lacuna. Organizada cronologicamente, ela é construída em torno de 50 perguntas relacionadas a momentos fundamentais do desenvolvimento das ideias sobre língua e linguagem. Sua abordagem abarca desde as teorias gramaticais greco-latinas até os tópicos mais atuais, passando, é claro, pelo Curso de linguística geral, de Ferdinand de Saussure.

Manuel Pérez, Arte de el idioma mexicano (1713). Edición y estudio introductorio de Otto Zwartjes y José Antonio Flores Farfán. Iberoamericana Vervuert, Madrid, 2017 (Colección : Lingüística misionera, 8), 338 p., ISBN 978-84-8489-988-4.

El Arte de el idioma mexicano (México, 1713), del agustino Manuel Pérez, es la primera edición crítica de una gramática del náhuatl poco conocida. Pérez aprendió el mexicano en Chiautla de la Sal, en el triángulo Puebla-Morelos-Guerrero, donde visitó muchas comunidades. Describe principalmente el náhuatl del valle de México, con constantes referencias a variedades de lo que denomina “Tierra Caliente”; algunas aparentemente extintas, otras todavía vigentes (Balsas o Montaña Baja, Guerrero). Pérez proporciona así documentación histórica de un náhuatl no descrito antes. Ofrecemos aquí por primera vez una interpretación sistemática de estos datos, así como otro aspecto novedoso: las reglas no señaladas por sus antecesores, analizadas y contextualizadas en la más extensa tradición gramatical de una lengua americana. Además, junto con una somera consideración de dos obras que lo acompañan, el Farol Indiano y el Catecismo Romano, se analiza la “Protesta”, de interés para los estudios de traducción, el metalenguaje (semi)descriptivo náhuatl, los neologismos y circunlocuciones referidos a equivalencias terminológicas de conceptos castellanos.

Se investiga la gramática a todo nivel: léxico, fonología, morfología, sintaxis y pragmática; la enseñanza de lenguas en universidades mexicanas, el purismo y fenómenos de contacto, además del impacto de su obra en misioneros posteriores.

Jacques Anis, Jean-Louis Chiss, Christian Puech, L'écriture. Théories et descriptions. Fac-similé de l'édition De Boeck Université, Bruxelles, 1988. Avec une préface de Marc Arabyan. Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2017, 280 p., ISBN 978-2-35935-200-9.

Les développements actuels de la révolution numérique remettent au premier plan la communication écrite, déclarée trop vite obsolète par MacLuhan et ses disciples. Ils contribuent à dynamiser la linguistique de l'écrit, qui s'attache de plus en plus à dégager les aspects spécifiques de ce mode d'existence de la langue.

Après un examen très complet des problématiques de l'écriture développées en anthropologie, ethnologie et philosophie, en linguistique et en pédagogie, une approche originale, basée sur l'autonomie de la langue écrite, est proposée. Elle comporte deux volets : le premier est consacré à une graphématique autonome, analyse formelle du système graphique (graphèmes alphabétiques, ponctuotypographiques et logogrammatiques) menée selon les méthodes structurales et intégrant aussi des éléments de pragmatique, le second présente une grille d'approche des espaces graphiques suivie d'études de cas portant sur le journal, le poème et le vidéotex, illustrant comment l'espace graphique est partie intégrante du fonctionnement des textes.

L'ouvrage, qui comporte des références bibliographiques nombreuses, des analyses de documents concrets et des suggestions pédagogiques, peut intéresser les étudiants de lettres et de sciences humaines, les enseignants de langue et de littérature de tous niveaux, les étudiants et les professionnels des arts graphiques. (Quatrième de couverture de l'édition originale).


1

On lui doit une monumentale Histoire de la langue française des origines à 1900 dont neuf volumes entre 1905 et 1937 sont parus de son vivant.

2

Cf. Guylaine Brun-Trigaud, Yves Le Berre, Jean Le Dû, Lectures de l'atlas linguistique de la France de Gillérion et Edmont, Paris, CTHS, 2005, 363 p.

3

Un travail semblable sur les langues régionales (occitan, breton, basque, catalan, corse, flamand, créoles, etc.) est entrepris localement depuis quelques dizaines d'années par des militants culturels ne disposant pas toujours de la formation ni des outils conceptuels et matériels pour le mener à bien. Des médiathèques régionales se donnent également pour objet la collecte et la conservation de musiques de tradition orale.

5

Bartók se rend à Paris à l'été 1914 pour présenter ses propres enregistrements et établir une relation scientifique suivie avec le professeur Brunot. Les événements politiques en décident autrement.

6

Ce n'est que depuis une vingtaine d'années que l'ethnomusicologie du domaine français produit des travaux intégrant histoire et musicologie historique. Voir : Yves Defrance, « Ethnomusicologie du domaine français. Les sources enregistrées », Etno Musicologia, Annuario degli Archivi di Etnomusicologia dell'Academia Nazionale di Santa Cecilia, III-1995, Roma, Dippartimento di studi glottoantropologici, Università di Roma « La Sapienza », 1996, p. 97-114 ; Luc Charles-Dominique, Yves Defrance, Danièle Pistonne, Fascinantes étrangetés, Actes du colloque de La Côte Saint-André, août 2011, Paris, L'Harmattan, 2014, 408 p.

7

Voir la belle prestation d'Henri Viaud, né en 1862 à Nohant, déjà reproduite dans France, World Library of Folk and Primitive Music, Cambridge (MS), Rounder, 2002, CD+livret de 32 p. par Yves Defrance.

8

Auquel était consacré par exemple un numéro spécial des Albineana, Cahiers d'Aubigné, 1995, vol 6/1, Agrippa d'Aubigné et le plurilinguisme, qui contient des éclairages linguistiques intéressants et non démodés (disponible sur Persée : http://www.persee.fr/issue/albin_1154-5852_1995_num_6_1).

*

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