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Histoire Epistémologie Langage
Volume 40, Number 2, 2018
La tradition linguistique arabe et l’apport des grammairiens arabo-andalous
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Page(s) | 3 - 5 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/hel/2018014 | |
Published online | 22 January 2019 |
HOMMAGE
Anders Ahlqvist (1945-2018)
J’ai connu Anders durant l’été 1978 à Ottawa, lors du premier ICHoLS. Nous avions tout de suite lié amitié. Il a fait partie, dès le début, de ce groupe de sympathisants et de francophones qui ont milité pour que la seconde conférence ait lieu à Lille. Anders a rejoint la SHESL, comme l’ont fait de nombreux participants à cette première manifestation.
Anders a été l’un de nos fidèles jusqu’au bout. Il venait régulièrement aux colloques de la SHESL et aux conférences ICHoLS ; pour ces dernières, il fut l’organisateur de l’une d’entre elles à Galway. C’est lors du dernier ICHoLS (Paris, août 2017) que nous nous rencontrâmes pour la dernière fois. Je crois que nous l’avions un peu sinon choqué du moins attristé. Ce polyglotte extraordinaire qui parlait français comme un national et anglais avec une certaine affectation littéraire, ne comprenait pas que l’on abandonnât le combat du français comme langue scientifique et encore moins que l’on ne fût pas parfaitement polyglotte.
Né en Suède, de nationalité finlandaise, il a rajouté le français à ce statut de bilingue en étudiant chez les sœurs franciscaines du Caire. Après dix années passées en Egypte, il quitte le Lycée français du Caire pour rejoindre une école suédoise où il préfère le grec aux mathématiques. À l’occasion de l’obtention d’un prix scolaire, il fait un séjour sur la côte ouest de l’Irlande qui devait lui faire entrevoir l’irlandais. Il poursuit ses études secondaires à Helsingfors. Il suit sa formation universitaire et obtient son doctorat d’études celtiques à Édimbourg (1974, sur l’histoire de l’adverbe en irlandais). Après son service militaire dans la marine finlandaise il resta quelque temps dans l’armée comme traducteur, profitant des voyages qu’offrait cette armée. Il fit une grande partie de sa carrière universitaire à Galway comme spécialiste des études celtiques, mais il enseigna aussi à Utrecht, Helsingfors, Dublin et finalement Sydney (2008-2013). En 1984, il a passé une année sabbatique à Paris. Il a été l’un des piliers internationaux des études celtiques pendant plus de quarante ans, contribuant dans de nombreuses publications à l’analyse linguistique de ces langues en général et de l’irlandais en particulier. Il est difficile de compter le nombre d’institutions et de sociétés savantes que son activité désintéressée a contribué à faire vivre.
Lorsque je l’ai connu Anders s’intéressait beaucoup à l’Auraicept na nÉces, ces instructions pour les poètes sous forme élémentaire dont il donna une édition en 1982. C’était la première fois que je rencontrais quelqu’un qui s’intéressait à la grammaire d’un vernaculaire de la périphérie de la Romania, bien plus précoce (VIIe siècle) que tout ce que nous connaissions sur nos langues romanes (XIIIe siècle). Nous commençâmes à parler de « remplacement », voire d’« application » de la grammaire latine. Mais cela ne collait pas vraiment et nous avions toute la tradition d’histoire des théories linguistiques (ça a commencé avec les comparatistes et ça été pire avec les structuralistes qui s’imaginaient que la science consistait à construire des catégories propres à chaque langue) qui nous enseignait quelle catastrophe cela avait été d’appliquer les catégories de la grammaire latine à d’autres langues. C’était comme si les premiers grammairiens n’avaient rien compris aux langues qu’ils décrivaient, aveuglés par le latin. Ce que Anders m’expliquait c’était la profondeur de la compréhension linguistique des premiers grammairiens. Incontestablement nous en venions à la conclusion qu’ils apportaient quelque chose de plus que la grammaire latine voire à la grammaire latine. Le concept de « grammaire latine étendue » était presque là !
Il serait injuste de réduire l’œuvre d’Anders à l’histoire des théories linguistiques qui ne représente qu’une infime partie de ses recherches et de ses publications. Ce fut avant tout un grand celtisant, auteur d’une quantité impressionnante d’études techniques. En dehors de notre communauté d’historiens, il était reconnu par ses pairs qui lui ont dédié de nombreux ouvrages, en Finlande (2005), aux Pays-Bas (Smelik et al., 2005) et en Australie (O’Neill, 2013).
Il est décédé accidentellement en Finlande dans sa maison de campagne. Comme tous les membres de la diaspora finlandaise que je connais il aimait retourner l’été dans son pays à cause de « la lumière ». Nous sommes nombreux à avoir perdu un ami. Au nom de tous je présente à son épouse et à son fils nos plus sincères condoléances et nos amicales pensées. Je n’oublierai jamais cet ami qui parcourait le monde avec un coffret de Roméo et Juliette au milieu des revues savantes de son porte-document et qui avait plein de savoir dans la tête.
Références
- Smelik, Bernadette, Hofman, Rijcklof, Hamans, Camiel & David Cram (eds), 2005. A Companion in Linguistics: a Festschrift for Anders Ahlqvist on the Occasion of his Sixtieth Birthday, Nijmegen, Stichting Uitgeverij de Keltische Draak. [Google Scholar]
- Studia Celtica Fennica 2, 2005. Essays in Honour of Anders Ahlqvist. [Google Scholar]
- O’Neill, Pamela (ed.), 2013. The Land beneath the Sea: Essays in Honour of Anders Ahlqvist’s Contribution to Celtic Studies in Australia, Sydney Series in Celtic Studies 14, Sydney 2013, University of Sydney, Celtic Studies Foundation. [Google Scholar]
© SHESL/EDP Sciences