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Histoire Epistémologie Langage
Volume 42, Numéro 1, 2020
La grammaire arabe étendue
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Page(s) | 49 - 57 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/hel/2020005 | |
Publié en ligne | 28 septembre 2020 |
Transitivité et intransitivité dans la grammaire de Bar Hebræus
ENS de Lyon, Interactions, corpus, apprentissage, représentations (UMR 5191 Icar),
Lyon, France
Cette contribution aborde la façon dont Bar Hebræus a emprunté au grammairien arabe Zamaḫšarī la notion de transitivité et comment il l’a reformulée dans le cadre de sa grammaire du syriaque. Je procède en traduisant et commentant son texte et en comparant avec celui de Zamaḫšarī. Son chapitre s’organise en quatre sections : 1. Première section : à propos d’exemples de verbes intransitifs et transitifs ; 2. Deuxième section : des causes de la transitivité ; 3. Troisième section : à propos de l’échec des causes de la transitivité ; 4. Quatrième section : à propos des verbes qui sont à la fois transitifs et intransitifs. C’est dans ces deux dernières sections que se manifeste le mieux la différence entre les deux grammairiens ; et il apparaît que si Bar Hebræus a emprunté le concept de transitivité à Zamaḫšarī, il en a donné un traitement qui dépasse largement sa source. En effet, la seule préoccupation du grammairien arabe est d’assurer que tous les compléments sont bien à l’accusatif et d’identifier les causes de la transitivité. N’ayant pas ce problème d’assignement de l’accusatif, Bar Hebræus discute non seulement de la transitivité (simple, double ou triple) et de ses causes (pour nous, FIV et FII) comme le fait Zamaḫšarī, mais en outre, il envisage aussi l’échec de ces causes : les cas où elles ne produisent pas la transitivité et les cas où elles produisent autre chose que de la transitivité, à savoir un sens nouveau étranger. Les mêmes échecs se produisent en arabe. Enfin Bar Hebræus étudie en détail les verbes labiles qui sont à la fois transitifs et intransitifs.
Abstract
This contribution deals with how Bar Hebræus borrowed the notion of transitivity from the grammarian of Arabic, Zamaḫšarī, and how he reformulated it within his grammar of Syriac. I proceed by translating and commenting his text and comparing it with the text by Zamaḫšarī. His chapter is organised into four sections: 1. First section: concerning examples of intransitive and transitive verbs; 2. Second section: on the causes of transitivity; 3. Third section: concerning the failure of the causes of transitivity; 4. Fourth section: concerning verbs which are both transitive and intransitive. The difference between the two grammarians is manifest in the final two sections in which it appears that although Bar Hebræus borrowed the concept of transitivity from Zamaḫšarī, his treatment goes far beyond what is found in his source. Indeed, the only concern of the grammarian of Arabic is to ensure that all the complements are in the accusative and to identify the causes of transitivity. Without the problem of assigning the accusative, Bar Hebræus not only discusses transitivity (single, double or triple) and its causes (for us, FIV and FII) as Zamaḫšarī does, but he also envisages the failure of these causes: the cases in which they do not produce transitivity and the cases in which they produce something different from transitivity, namely, a new foreign sense. Finally, Bar Hebræus studies in depth the labile verbs which are both transitive and intransitive.
Mots clés : Bar Hebræus / grammaire arabe / grammaire syriaque / transitivité / Zamaḫšarī
Key words: Arabic grammar / Bar Hebræus / Syriac grammar / transitivity / Zamaḫšarī
© SHESL, 2020
Introduction
La propriété « transitif/intransitif » ne figurant pas dans la grammaire de Denys le Thrace1, qui, ayant été traduite par Joseph d’Ahwaz (mort en 580), a été le berceau des grammaires syriaques, la tradition syriaque l’a négligée, jusqu’à Bar Hebræus, qui, selon Merx, l’a empruntée à Zamaḫšarī :
Etiam aliam rem ex grammatica arabica haustam Syriacae adhibuit, distinctionem verbi transitivi, dupliciter transitivi et intransitivi, quam a Zamakhchario depromsit…
Il y a encore une autre chose puisée dans la grammaire arabe qu’il introduisit en syriaque : la distinction verbe transitif, verbe doublement transitif et verbe intransitif, qu’il emprunta à Zamaḫšarī (Merx 1889: 253).
L’objet de cette communication est de voir comment la notion a transité de l’arabe au syriaque et comment Bar Hebræus (désormais BH) l’a « acclimatée » dans son modèle. Quant à savoir comment le concept de transitivité s’est élaboré dans la tradition grammaticale arabe jusqu’à Zamaḫšarī, cela n’entre évidemment pas dans le cadre de la présente étude.
Il n’est pas inutile de mentionner que Zamaḫšarī est mort en 1144 et BH en 1286 : plus d’un siècle les sépare donc, mais BH est presque contemporain d’Ibn Yaˁīš (1158-1245), l’auteur du grand commentaire sur le Mufaṣṣal2, puisqu’il est né en 1226. Que BH ait emprunté à Zamaḫšarī, illustre l’influence très importante qu’il a connue en Orient arabe et dans le monde iranophone.
Rappelons d’abord que le texte de Zamaḫšarī sur la transitivité se trouve p. 257-58 celui de BH se trouve dans le livre 2 consacré au verbe, p. 92-95. Dans la notation des exemples syriaques nous négligerons la spirantisation des bgdkpt. Nous adopterons la vocalisation occidentale (jacobite). Comme nous l’avons montré dans Bohas (2008), BH traite des lettres et non pas des sons. Nous veillerons donc dans notre transcription à garder les lettres, particulièrement le ˀōlaf que nous transcrirons par ˀ. De plus, nous ne transcrirons pas ī, mais īy, nous ne transcrirons pas ē, mais ēy pour garder la voyelle et la lettre et rester cohérent avec sa pensée. Le seul problème concerne le w que nous gardons tel quel lui aussi.
1 Verbes transitifs et intransitifs
Chapitre I, à propos de l’intransitivité et de la transitivité des verbes : quatre sections.
Première section : À propos d’exemples de verbes intransitifs et transitifs
Tout verbe, ou bien ne transite pas du sujet vers l’objet, mais se restreint au sujet3 et est appelé intransitif comme ˀetōˀ feṭrōws [‘Pierre est venu’], ˀezal fōwlōws [‘Paul est parti’], npal ywdōˀ [‘Judas est tombé’], qōm matīyaˀ [‘Mattiyas s’est levé’].
Ou bien il transite de l’un à l’autre et est appelé transitif, comme ˀaqīym [‘il a fait lever’], ˀaḥet [‘il a fait descendre’], ˀapeq [‘il a fait sortir’], ˀaˁel [‘il a fait entrer’].
Certains4 appellent simple un intransitif comme bōt [‘il a passé la nuit’] et composé un transitif comme ˀabīyt [‘il a fait passer la nuit’].
Élucidation
Tout verbe transitif passe à partir du sujet ou bien vers un objet comme mḥōˀ mōryōˀ lmeṣrōye1 [‘Le Seigneur a frappé les Égyptiens1’], ou bien vers deux objets comme : qademtōyhy1 burqtōˀ tōbōˀ2 [« Tu lui1 as offert une bonne bénédiction2 » : Ps 21,4], ou bien vers trois comme : mkartkwn1 gēyr lgabrōˀ2 ḥad btwltōˀ dkīytōˀ3 deˀqareb lamšīyḥōˀ [« Je vous ai fiancés à un homme (comme) une vierge pure, lequel je présenterai au Christ » : I Cor, 11, 2].
Dans le premier cas, il y a un complément : le nom « Égyptiens » ; dans le deuxième cas, le premier complément est le pronom y et ses compagnons [i.e. la séquence oyhy] et le second est : « une bonne bénédiction » ; dans le cas de trois compléments, le premier est le pronom k et ses compagnons [i.e. la séquence kwn], le deuxième est « un homme » et le troisième « une vierge pure ». « Que je présenterai au Christ » n’est pas un quatrième complément mais une explication du deuxième complément à savoir : « un homme ». Ainsi, dans la parole : sagīyˀeˀ haymen beh1 [« Beaucoup crurent en lui » : Jean, 2, 23], il y a un complément et dans : hw dēyn yešwˁ lōˀ mhaymen-hwa lhwn1 nawšeh2 [« Jésus ne leur1 confiait pas son âme2 » : Jean, 2, 24], il y a deux compléments [« leur » et « son âme », c’est-à-dire, lui-même, donc pour rendre cela en français : « ne se fiait pas à eux »].
Une première différence avec les grammaires arabes est l’abondance des exemples, particulièrement scripturaires, dont fourmille la grammaire de BH. Comme il n’y a pas de cas apparents en syriaque, contrairement au texte de Zamaḫšarī où tous les compléments sont à l’accusatif, et donc les verbes transitent directement, BH ne distingue pas transitif direct vs indirect. Cela est d’autant plus motivé par le fait qu’en syriaque, ce que nous appelons le complément direct est le plus souvent introduit par la préposition l (parallèle au ˀet de l’hébreu biblique : bārāˀ ˀelohim ˀet haššamayim weˀet haˀareṣ [Genèse I, 1]).
2 Les causes de la transitivité
Chez les grammairiens arabes, et en particulier chez Zamaḫšarī, la notion de transitivité permet de rendre compte de la relation entre la forme simple du verbe et les formes dérivées ˀafˁala (la FIV des grammaires arabisantes) et faˁˁala (FII). Ces formes ont (généralement pour la première, fréquemment pour la seconde) une valeur causative ou factitive ; toutefois, celle-ci est exprimée en termes de transitivité : la préfixation d’un ˀ dans le cas de ˀafˁala et le redoublement de la consonne médiane dans celui de faˁˁala ont pour effet de rendre transitifs5 les verbes intransitifs. Zamaḫšarī parle à ce propos de « causes de la transitivité » (asbāb al-taˁdiya). BH applique la même idée aux formes correspondantes du syriaque : la forme avec préfixe ˀ, m, n ou t, équivalente de la forme IV de l’arabe6 et la forme avec première consonne mue par un a, équivalente de la forme II de l’arabe. Pour la tradition syriaque, c’est en effet cette vocalisation de la première consonne par un a qui distingue FI bṣar de FII baṣar. On a donc les équivalences suivantes :
FI première consonne quiescente : bṣar.
FII première consonne mue par un a : baṣar = forme à redoublement de l’arabe.
FIV préfixation ˀ m n t : ˀaškeb = forme à préfixation de ˀa de l’arabe.
Deuxième section : des causes de la transitivité
Par deux causes un verbe intransitif devient transitif.
[1] La première est l’introduction des lettres ˀ m n t, comme
– de škeb [‘être étendu7’] à ˀaškeb [‘faire se coucher’] : ˀaškeb ˀenwn ˁal ˀarˁōˀ [‘Il les fit se coucher à terre’ : II Sam, 8, 2] ;
– de sṭōˀ [‘se détourner’] à ˀasṭīy [‘détourner’] : waˀsṭīy nešawhy lebeh [« Ses femmes détournèrent son cœur » : I Rois, 11, 3] ;
– de sged [‘se courber’] à ˀasged [‘adorer’] : wfwmeh ˀasgdeh galyōˀīyt [‘Sa bouche le fit adorer distinctement’] ;
– de hmas [‘comprendre’] à ˀahmes [‘faire comprendre’] : waˀhmes beh kul reˁyōnīyn [‘Il lui fit comprendre tous les sens’] ;
– de qˁōˀ [‘crier’] à ˀaqˁīy [‘faire crier’] : wkeˀbōˀ dḥašeh maqˁeˀ līy [‘Et la douleur qu’il ressentit me fit crier’] ;
– de mak [‘être courbé’] à ˀamek [‘incliner’] : waˀmek rišōˀ lšalīyṭō [‘Il inclina la tête vers le puissant’] ;
– de hgōˀ ‘réfléchir’ à ˀahgīy ‘enseigner’ : wmanw ktab lōk ˀōlaf bēyt dhōˀ ˀahgeˀ lōk hafkoˀīyt [‘Qui t’a écrit l’alphabet ? Car regarde, il t’a enseigné de travers’].
Il en va de même pour dkar hw [‘il s’est souvenu’] et ˀadker laḥrōnōˀ [‘il a rappelé à un autre’] : waˀnt dkart ˁlay ˁawlōˀ daˀnttōˀ [Mot à mot : ‘Tu te souviens contre moi de la faute (ou d’une faute) d’une femme (ou de la femme, ou concernant la femme)’ : II Sam, 3, 8]8 ; tehweˀ ˀarˁōˀ dīyhwd lmeṣrōyōˀ lswrōdōˀ wkul dnadkrīyh leh netrheb [‘La terre de Juda deviendra la honte de l’Égypte, chaque fois qu’on la lui rappellera elle sera terrorisée’ : Isaïe 19, 17].
[2] La deuxième consiste à assigner un a à la première lettre quiescente.
Ainsi, à partir de bṣar [‘être petit’], gmar [‘être complet’], twōˀ [‘s’irriter’], dwīy [‘être faible’], ḥsar [‘manquer’] où la première est quiescente, on obtient baṣar [‘diminuer’], gamar [‘achever’], tawīy [‘gourmander’], dawīy [‘affaiblir/frapper9’], ḥasar [‘manquer’] en vocalisant la première avec un a
– tawīy : wtawīy dawīyd lgabreˀ dˁameh [‘Et David gourmanda les hommes qui étaient avec lui’ : I Sam 24, 8] ;
– dawī : dawīyt ˀenwn bḥemty [‘Je les ai frappés dans ma fureur’] [Isaïe 63, 6] ;
– ḥasar : mōryōˀ nerˁēyny wmedem lōˀ nḥasar līy [‘Le Seigneur me fait paître et il ne me laisse manquer de rien’ : Psaume 23, 1].
Une remarque s’impose ici. Dans une forme comme baṣar, la consonne médiane est en fait géminée, et elle est bien prononcée géminée de nos jours dans la version orientale du syriaque, en revanche dans la version occidentale, il n’y a pas de gémination. BH, comme nous l’avons rappelé ci-dessus, ne prend pas en compte les sons mais bien les lettres, donc pour lui [baṣṣar], qui est écrit baṣar est bien un trilitère, avec vocalisation de la première consonne par un a, ce qui l’oppose à la première forme bṣar où cette consonne est quiescente. Nous le suivons en cela, pour la cohérence de l’argumentation.
Élucidation
Parfois l’action transite par le biais d’un mot ou d’une lettre qui indique le complément, comme dans :
– ˀetpanīy lwōty wašmaˁ bōˁwty [‘Il s’est tourné vers (lwōt) moi (y) et il a écouté ma demande’] ;
– weˀnōˀ ldōdy waˁlay fnoyteh [‘Je suis à mon bien-aimé et sur (ˁal) (= vers) moi (y) son retour (i.e. : il est revenu vers moi)]’ : Cantique, 7, 11] ;
– waṣbayt mōryōˀ baˀrˁōk [‘Tu t’es complu, Seigneur, dans (b) ta terre’ : Ps 85, 2].
Dans ces exemples en effet, c’est par vers lwōt, sur ˁal, et dans b qu’ont transité du sujet vers l’objet le fait de se tourner, de revenir et de se complaire.
On retrouve ici la troisième « cause de transitivité » mentionnée par Zamaḫšarī (Mufaṣṣal : 257) : la « transitivité par préposition » (al-taˁdiya bi-ḥarf ğarr), par laquelle un verbe intransitif devient transitif. Ainsi ḫarağtu (‘je suis sorti’) devient transitif par l’ajout de la proposition bi- (et acquiert par la même occasion une valeur causative) dans ḫarağtu bi-hi (‘je l’ai fait sortir’), équivalant à ˀaḫrağtu-hu. Selon Zamaḫšarī, le même procédé peut concerner les verbes transitifs, qui deviennent alors doublement transitifs, ainsi ġaṣabta l-ḍayˁata (‘tu t’es emparé de force de la propriété’) et ġaṣabta ˁalay-hi l-ḍayˁata (‘tu l’as spolié de la propriété’) :
Élucidation
Quand une cause de transitivité s’applique à un verbe qui transite [déjà] vers un complément, elle le rend doublement transitif, comme de gbōˀ [‘choisir’] à ˀagbīy [‘faire choisir’] : ˀagbyan yōrtwteh [‘Il nous1 a laissés choisir son héritage2’ : Psaume 47, 5]. De rḥem [‘aimer’] à ˀarḥem [‘faire aimer’] : yahb lhwn waˀrḥem ˀenwn lˁammeˀ [‘Il leur a donné et les1 a fait aimer des peuples2’ : Deutéronome, 33, 3]. De šbōˀ [‘emmener en captivité’] à ˀašbeˀ [‘faire conduire en captivité’, inaccompli] : waˀšbeˀ šbīyteky baynōthēyn [‘Je ferai conduire en captivité tes prisonniers1 au milieu d’elles2’ : Ézéchiel 16, 53]. De sˀen [‘chausser’] à ˀasˀen [‘faire revêtir des chaussures’] : waˀsˀenteky msōneˀ [‘Je te1 ferai revêtir des chaussures2’ : Ézéchiel 16, 10]. De baz [‘piller’] à ˀabez [‘donner à piller’, d’où ‘mépriser’] : weˀn ˀōmrīytwn bmōnōˀ ˀabezn šmōk [‘Et si vous dites : en quoi1 avons-nous donné à piller (i.e. méprisé) ton nom2’ : Malachie 1, 6]. De ˀeḥad [‘prendre’] à ˀaḥed [‘louer, donner en location’] : waˀwḥdeh lfalōḥeˀ [‘Et il la1 loua à des travailleurs2’ : Matth. 21, 33 et Luc, 20, 9]10.
3 L’échec des causes de la transitivité
BH aborde ensuite les cas où la préfixation de ˀmnt (correspondant à la FIV, ˀafˁala de l’arabe) et la vocalisation de l’initiale par a (correspondant à la FII, faˁˁala) n’ont rien à voir avec la transitivité, mais sont corrélées à un changement de sens, le second étant tout à fait étranger au premier.
Troisième section : À propos de l’échec des causes de transitivité
L’adjonction des préfixes ˀmnt et la vocalisation par a de la première quiescente ne provoquent pas toujours la transitivité. Ainsi les verbes ˀazhar [‘briller’], ˀaḥwar [‘être blanc’], ˀagreb [‘être lépreux’] et ˀagah [‘briller’] ont bien un préfixe ˀ, m, n, t, mais ne sont pas transitifs :
– ˀazhar [‘briller’] : wmazhar hwōˀ lbwšeh [‘Et ses vêtements brillaient’ : Marc, 9, 3] ;
– ˀaḥwar [‘être blanc’] : wmaḥwar ˀayk talgōˀ [‘et étaient blancs comme neige’ : Marc 9, 3] ;
– ˀagreb [‘être lépreux’] wˀīydeh magrbōˀ ˀayk talgōˀ [‘Sa main était lépreuse comme neige’ : Exode 4, 6] ;
– ˀagah [‘briller’] : ˀōf tagahyˀ11 šalhebīytōˀ dnwreh [‘Aussi brillera la flamme de son feu’ : Job 18, 5] ;
Les verbes galīy [‘se découvrir’], karīy [‘être court], gardīy [‘cesser’], maṭīy [‘arriver’], faraḥ [‘voler’] et damīy [‘être semblable’] ont bien la première vocalisée d’un a, mais ils ne sont pas transitifs :
– galīy [‘se découvrir’] : meṭul dmen lwōty galīyty wasleqty [‘Car d’auprès de moi tu t’es découverte et tu es montée’ : Isaïe 57, 8] ;
– karīy [‘être court’] : wmeṭul dkarīy mōˀnōˀ wmeštīytōˀ qeṭnat [‘Car la couche est courte et la couverture petite’ : Isaïe 28, 20] ;
– gardīy [‘être dépouillé, ôté’12] : wlōˀ temneˀ mōry bīyšōtan dlōˀ mgardeˀ ˁawlan menan [‘Et ne tiens pas compte, Seigneur, de nos turpitudes, car notre iniquité ne peut être ôtée de nous’] ;
– maṭīy [‘arriver’] : zabnōtō sagīyˀōtōˀ lmawtōˀ maṭīyt [‘Bien des fois je suis parvenu jusqu’à la mort’ : Ecclésiastique 34, 13] ;
– faraḥ [‘voler’] : ˀayk ṣefrōˀ damfarḥōˀ ˁal ˀegōreˀ [‘Comme le passereau qui vole sur les toits’ : Psaume 102, 8] ;
– damīy [‘imiter, être semblable’] : waˀykōˀ damīyw ˀarˁōnōyeˀ lašmayōneˀ [‘Comment les êtres terrestres peuvent-ils être semblables aux célestes ?’].
Élucidation
Il y a des cas où l’introduction des préfixes ˀmnt et la vocalisation par a de la première quiescente amènent le verbe à un sens complètement étranger, comme :
– fraˁ ḥawbtōˀ [‘il a rétribué un péché’] et ˀafraˁ, c’est-à-dire ‘il a fait germer’.
– qbal [‘accuser’], de qbwlyōˀ, c’est-à-dire ‘accusation’ et ˀaqbel, c’est-à-dire : ‘rencontrer’.
– ḥfar gwbōˀ [‘il a creusé une tombe’] et ˀaḥfar c’est-à-dire « avoir honte ».
Parmi les nombreux exemples donnés par BH, j’en conserverai deux qui portent sur la vocalisation en a de la première consonne (équivalant à la FII faˁˁala de l’arabe) : šrōˀ (‘délier’) et šarīy (‘commencer’) ; glōˀ (‘découvrir, manifester’) et galīy (‘exiler’).
On pourrait trouver un cas analogue en arabe moderne où ˀaḍraba (‘faire grève’) est tout à fait étranger au sens de ḍaraba (‘frapper’), mais ici l’explication par le calque sur l’anglais résout le problème. Toutefois, on en trouve bien d’autres du même genre, qu’on ne saurait attribuer à un calque sur une langue étrangère, comme : ṣalā (‘toucher, atteindre’) et ṣallā (‘prier, faire sa prière’) ; faraṭa (‘devancer’) et farraṭa (‘agir avec négligence, éloigner, détourner’) ; qabila (‘accueillir, recevoir’) et qabbala (‘donner un baiser’) ; kalama (‘blesser’) et kallama (‘adresser la parole à quelqu’un’).
4 Les verbes labiles
BH aborde enfin la question des verbes labiles, ceux qui peuvent être transitifs et intransitifs, en gardant la même forme. Comme « ressuscite » : Jésus ressuscite/Jésus ressuscite Lazare.
Quatrième section : À propos des verbes qui sont à la fois transitifs et intransitifs
Ces verbes sont comme gazīy laˀḥrīyn [‘il a privé d’enfants un autre’] et gazīy hw beh [‘il s’est privé d’enfants lui-même’] ; ḥsan laˀḥrīyn [‘il l’a emporté sur un autre’] et ḥsan hw beh [‘il été fort en lui-même’].
À nouveau, BH multiplie les exemples et consacre même une demi-page à des attestations scripturaires dont nous allons rapporter quelques-unes particulièrement significatives :
– Pour le verbe ḥsan : transitif ‘l’emporter sur’ – wtarˁeˀ dašywl lōˀ neḥsnwnōh [‘Les portes de l’enfer ne l’emporteront pas sur elle’ : Matth. 16,18] ; intransitif « être dur, pénible » : wyeldat rōḥēyl wḥesnat kad yōldōˀ [‘Rachel accoucha et elle fut à la peine en accouchant’ : Genèse 35, 16].
– Pour le verbe nfaḥ : transitif ‘souffler sur’ – wkad nfaḥ bhwn ˀemar [‘Et après avoir soufflé sur eux, il leur dit’ : Jean 20, 22] ; intransitif ‘gonfler, enfler’ : wnefḥat karsōh weˀtmsīy ˁaṭmōtōh [‘Et son ventre enflera et ses os s’affaibliront’ : Nombres, 5, 27].
– Pour le verbe ˀamlek : transitif ‘établir comme roi’ – waˀmlek malkōˀ dBōbel laMtanyōˀ [‘Et le roi de Babel établit comme roi Mattanya’ : 2 Rois 24,17] ; intransitif ‘régner’ : mōryō ˀamlek wgaˀywtōˀ lbeš [‘Le seigneur règne et il s’est vêtu de splendeur’ : Psaume 93, 1]. Il s’agit bien du même ˀamlek qui dans un cas est transitif, ‘nommer quelqu’un roi’, et dans l’autre intransitif, ‘régner’.
5 Conclusion
Si BH a emprunté le concept de transitivité à Zamaḫšarī, il en a donné un traitement qui dépasse largement sa source. En effet, la seule préoccupation du grammairien arabe est d’assurer que tous les compléments sont bien à l’accusatif et d’identifier les causes de la transitivité. N’ayant pas ce problème d’assignement de l’accusatif, BH discute non seulement de la transitivité (simple, double ou triple) et de ses causes (en arabe, FIV et FII) comme le fait Zamaḫšarī, mais en outre, il envisage aussi l’échec de ces causes : les cas où elles ne produisent pas la transitivité et les cas où elles produisent autre chose que de la transitivité, à savoir un sens nouveau étranger. Les mêmes échecs se produisent en arabe, mais Zamaḫšarī se garde bien d’en parler ici. Enfin, BH étudie en détail les verbes labiles qui sont à la fois transitifs et intransitifs, sujet que Zamaḫšarī n’aborde pas.
En fait, ces phénomènes d’échec des causes de transitivité et de labilité ont bien été observés par les lexicographes arabes, entre autres par al-Sijistānī (255 H), al-Zajjāj (310 H) et al-Jawāliqī (540 H). Le titre de ce dernier est particulièrement explicite : Mā jāˀa ˁalā faˁaltu wa-ˀafˁaltu bi-maˁnan wāḥid (‘Les cas où faˁaltu et ˀafˁaltu ont le même sens’). Il s’agit donc de faire l’inventaire des cas ou faˁala (FI) et ˀafˁala (FIV) ont un sens identique, comme : bašartu (FI) al-rajula, ˀabšartuhu (FIV) et baššartuhu (FII) qui veulent tous dire : ‘j’ai annoncé une bonne nouvelle à quelqu’un’ (mot-à-mot ‘quelque chose de réjouissant’). Dans sa préface, al-Zajjāj précise qu’il va parler :
-
des verbes pour lesquels ˀafˁala et faˁala ont le même sens (voir l’exemple ci-dessus) ;
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des verbes où ils ont un sens totalement différent comme : ḏakartu (FI) al-šayˀa ‘j’ai mentionné la chose’ et ˀaḏkara (FIV) al-rajulu, ‘l’homme a engendré un enfant mâle’ ; il s’agit ici d’un cas analogue à fraˁ ḥawbtō ‘il a rétribué un péché’ et ˀafraˁ ‘il a fait germer’ de BH ;
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des cas où les deux formes étant attestées avec un sens identique, on préfère la forme IV comme dans ˀabanna l-rajulu fī makān ‘l’homme a résidé dans un lieu’ ;
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des cas où l’on préfère la forme I, comme dans batartu al-šayˀa : j’ai coupé la chose à la racine.
Mais les grammairiens n’ont pas intégré ces données à leur traitement. Jusque dans l’un des derniers avatars des théories des grammairiens arabes, le Ğāmiˁ al-durūs al-ˁarabiyya d’al-Ġalāyīnī (1909), le traitement de la transitivité (I : 31-32) et celui de la forme IV13 (II : 224) ne mentionnent aucunement les données rebelles recueillies par les lexicographes. En revanche, BH propose un traitement qui intègre les règles et les exceptions, la grammaire et le lexique. Cela est cohérent avec son orientation vers les faits, qui se matérialise dans l’abondance des données, scripturaires ou non, citées par lui.
Sources primaires
- al-Ġalāyīnī, Musṭafā. Ğāmiˁ al-durūs al-ˁarabiyya. Sidon : Al-Maṭbaˁa al-ˁaṣriyya lil-ṭibāˁa wal-našr. 13e éd. 1978/1398. [Google Scholar]
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- al-Sijistānī, Abû Ḥātim, Faˁaltu wa-ˀaf ˁaltu. Éd. Ḫ. I. al-ˁAṭiyya. Beyrouth : Dār Ṣādir. 1996/1416. [Google Scholar]
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Sources secondaires
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Voir Lallot (1989).
Voir la notice sur le Mufaṣṣal dans le Corpus des textes linguistiques fondamentaux (http://ctlf.ens-lyon.fr).
Comme Bar Zoˁbī, voir Bohas (2003).
Équivalence déjà relevée par tradition syriaque antérieure (voir Bohas 2003).
Le texte hébreu comporte le verbe tipqod. Dans ce contexte, il signifie ‘reprocher’. Littéralement le sens du verset est donc en hébreu : « Et aujourd’hui tu me reproches une faute de femme ». En syriaque, la préposition ˁal signifie ‘sur’ et aussi ‘contre’. L’expression syriaque dkart ˁlay (‘tu te souviens contre moi’) rend le verbe « tu me reproches ». Je remercie David Hamidovic qui m’a fourni les précisions sur l’hébreu.
Il me semble qu’il y a ici un problème d’édition et que le verbe concerné est tgaheˀy (paˁˁel avec la première vocalisée d’un a) ‘s’éteindra’ et que le sens est : « Aussi se calmera la flamme de son feu ». Dans le Thesaurus, on trouve pour ce verset la traduction : sedabitur ardor ignis ejus. Mais alors il y a un problème de logique : que fait-il avec les verbes commençant par ˀmnt ?