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Histoire Epistémologie Langage
Volume 42, Number 1, 2020
La grammaire arabe étendue
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Page(s) | 33 - 47 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/hel/2020008 | |
Published online | 28 September 2020 |
Sur les traces de la racine trilitère dans la grammaire hébraïque
CNRS, Institut de recherche et d’histoire des textes (UPR 841 IRHT),
Aubervilliers, France
La notion de trilitéralité des racines, fortement inspirée par la tradition arabe, a demandé une grande créativité pour être mise en œuvre dans la grammaire hébraïque. Judah Ḥayyuj (Fez, 950 – Cordoue, ca 1000) fit œuvre de pionnier en analysant le comportement des consonnes faibles qui peuvent ne pas être visibles dans certaines formes verbales tout en restant présentes dans la forme théorique de base. Ses travaux ont été poursuivis par Jonah ibn Janaḥ (Cordoue, ca 985/990 – ca 1050) dont les ouvrages, adaptés ou traduits en hébreu, ont permis la diffusion des doctrines grammaticales de l’hébreu en Europe chrétienne et l’adoption définitive de la théorie des racines trilitères. Les dictionnaires des racines sur le modèle du Kitāb al-uṣūl d’Ibn Janaḥ, outil commode pour classer le lexique biblique, devinrent populaires en Provence médiévale. Il restait cependant une difficulté majeure, à savoir les manières d’identifier la racine d’une forme nominale ou verbale complexe. Profiat Duran (Perpignan, < 1360 – ca 1414) fut le premier auteur à insérer dans sa grammaire, le Maˁaseh efod, un chapitre décrivant les différentes méthodes permettant l’identification des racines. Ce passage, adapté ou résumé, fut fréquemment repris par les humanistes chrétiens dans leurs ouvrages linguistiques, et ce jusqu’au XIXe siècle.
Abstract
The notion of triconsonantal roots was borrowed from the Arabic tradition and a great deal of creativity was required in order to apply it to Hebrew grammar. Judah Ḥayyuj (Fez, 950 – Cordoba, ca 1000) was the first to note that weak consonants have a different comportment, that they may not be visible in certain verbal forms, but remain present in the theoretical basic form. His work was carried on by Jonah ibn Janaḥ (Cordoba, ca 985/990 – ca 1050), whose writings were adapted or translated into Hebrew. This led to the diffusion of Hebrew grammatical knowledge in Christian Europe and the adoption of the theory of triconsonantal roots. Dictionaries of roots patterned on Ibn Janaḥ’s Kitāb al-uṣūl, which are a convenient tool for classifying the lexicon of biblical words, became popular in medieval Provence. A major difficulty remained, namely how to identify the root of a complex nominal or verbal form. Profiat Duran (Perpignan < 1360 – ca 1414) was the first author to include in his grammar, Maˁaseh efod, a chapter describing the different methods for identifying the roots. This chapter, through adaptations or summaries, was often used by the Christian humanists in their linguistic works down to the nineteenth century.
Mots clés : David Qimḥi / identification de la racine en hébreu / Profiat Duran / racines trilitères en hébreu / Sancte Pagnini / tradition grammaticale hébraïque
Key words: David Qimḥi / Hebrew grammatical tradition / identifying roots in Hebrew / Profiat Duran / Sancte Pagnini / triconsonantal roots in Hebrew
© SHESL, 2020
Introduction
Au tournant du XIe siècle, l’on assiste à une véritable révolution de la grammaire hébraïque. Abu Zakariyya Yaḥya ibn Dawud, connu sous le nom de Judah Ḥayyuj (Fez, 950 – Cordoue, ca 1000), emprunte à la tradition arabe la notion de trilitéralité des racines. Pour la mettre en œuvre, il doit faire preuve d’une grande créativité, en raison du comportement des consonnes faibles. Il est, en effet, le premier à noter qu’elles peuvent ne pas être visibles dans certaines formes verbales, tout en restant présentes dans la forme théorique de base. Il reste, cependant, une difficulté majeure pour les apprenants : comment identifier la racine d’une forme nominale ou verbale complexe ? Dans un chapitre original de sa grammaire, le Maˁaseh efod1, Profiat Duran (Perpignan, < 1360 – Catalogne, ca 1414) propose des techniques didactiques d’identification, systématiquement reprises dès la Renaissance par les humanistes chrétiens et ce, jusqu’au XIXe siècle.
1 Une révolution dans la grammaire hébraïque
Vers la fin du xe siècle, Judah Ḥayyuj, qui vivait à Cordoue, rédige deux traités de morphologie en arabe (caractères hébreux) dans lesquels il propose un modèle théorique permettant de décrire et d’expliquer toutes les formes verbales irrégulières de l’hébreu biblique : le Kitāb al-afˀal ḏawāt ḥurūf al-līn (traité des verbes contenant des lettres faibles) et le Kitāb al-afˀal ḏawāt al-miṯlayn (traité des verbes contenant des lettres doubles)2. L’auteur innove sur deux points : il postule l’existence d’une racine consonantique servant de base dérivationnelle, qu’il est possible d’induire et de reconstruire à partir des mots attestés dans la Bible et il affirme que toutes les racines des verbes sont trilitères, « il n’y a pas de verbes contenant moins de 3 consonnes » (Ḥayyuj 1870 : 12 ; 1844 : 27), même lorsqu’elles ne sont pas toutes apparentes3. C’est là que réside l’originalité de son analyse car si la trilitéralité de la racine est fortement influencée par la tradition grammaticale arabe4, Ḥayyuj a dû faire preuve d’une grande créativité pour l’adapter à la morphologie hébraïque. Rappelons qu’en arabe, les trois radicales sont presque toujours apparentes et relativement aisées à retrouver quand elles ne le sont pas, ce qui n’est pas le cas en hébreu.
Jusque-là, les écoles linguistiques partageaient une conception minimaliste de la racine. C’était, pour elles, un lexème/sémantème composé des consonnes qui restaient visibles dans les différentes formes verbales ; on avait ainsi des racines à 1, 2 ou 3 consonnes. Le traité grammatical, Maḥberet, de Menaḥem ben Saruq (Tortose ca 910 – Cordoue ca 970) reflète cette conception de la racine5 tout en l’organisant selon l’ordre alphabétique.
Avant que la trilitéralité des racines ne soit établie, les exégètes qui éprouvaient quelques difficultés à identifier les racines de certains mots usaient de subterfuge pour en indiquer le sens. C’est notamment le cas du célèbre Salomon ben Isaac, dit Rashi (1040-1105), qui renvoyait fréquemment à la traduction araméenne accompagnant traditionnellement le texte biblique dans les manuscrits ashkénazes, quand il ne parvenait pas à discerner la racine d’une forme verbale et souhaitait néanmoins l’expliciter. Rashi commente ainsi le mot wa-yyåronnū (Lv 9,24), également analysé par Ḥayyuj, kə-targumo « comme le Targum d’Onqelos [l’a traduit] », qui renvoie à l’araméen wə-šabbåḥū, « ils louèrent ». De fait, le Targum traduit toutes les occurrences de la racine hébraïque RNN par des formes équivalentes de la racine ŠBḤ, une indication qui a assurément échappé à Rashi. S’il avait pu parcourir l’ensemble de la Bible, avec en vis-à-vis la version du Targum, il aurait été en mesure de rapprocher cette forme verbale d’un autre mot de la même racine.
C’est en examinant les formes verbales irrégulières que Ḥayyuj a réussi à établir que la forme phonologique (morpho-phonétique) de base peut être altérée lors de la dérivation. Ce phénomène avait induit en erreur ses prédécesseurs qui avaient considéré qu’il pouvait exister des racines biconsonantiques, voire même monoconsonantiques. Dans un second temps, le grammairien a décrit le comportement des consonnes faibles de l’hébreu et a noté que les lettres alef, he, waw et yod ont un statut particulier : elles peuvent ne pas être prononcées, se substituer les unes aux autres, être supprimées ou assimilées. La lettre devient ainsi נח נעלם « une [lettre] quiescente cachée (sākin layyin) », qui peut disparaître graphiquement tout en faisant partie de la racine. Il convient, dès lors, d’être attentif aux variations vocaliques, notamment l’allongement de la voyelle précédente, qui peut constituer une trace de leur existence et à la présence de dageš compensatoire. Ḥayyuj a ensuite exposé quelques règles générales permettant l’identification des racines :
[…] et yissoḇ (Gn 42,24) yåḥom (Is 44,16) et autres formes semblables ressemblent à yåšūḇ (Lv 13,16) et yåqūm (Ex 21,19) et autres formes sœurs, et on peut les confondre […] et en retrouvant pour chacun des deux types le sens primordial et la racine, on comprend la différence. De plus, les unes sont marquées d’un dageš et la lettre géminée est visible en ce qu’elle est absorbée par la seconde puisqu’on dit wa-yyåsobbū (Jos 6,14), wa-yyåronnū (Lv 9,24). Les autres sont marquées d’un rafeh [trait suscrit qui marque la prononciation fricative de certaines consonnes, en quelque sorte le contraire du dageš] puisqu’aucune lettre n’a été absorbée et les waw que [ces formes verbales] contiennent correspondent à la deuxième consonne de la racine, comme wa-yyåqūmū (Gn 24,54), wa-yyåšuḇū (Jg 8,33). Ainsi, tu comprendras que si ces formes sont marquées d’un dageš6 lorsqu’on ajoute d’autres lettres (suffixes), il s’agit d’un verbe géminé comme wa-yyåsobbū, wa-yyåronnū (Lv 9,24) et wə-hinneh təsubbēnåh (Gn 37,7). Et s’il y a un rafeh, il s’agit d’un verbe dont la deuxième radicale est faible, comme wa-yyåqūmū (Gn 24,54), wa-yyåšūḇū (Jg 8,33) et tåšoḇnåh (I S 7,14)7.
C’est à ces méthodes permettant d’identifier les racines comportant des consonnes faibles que nous allons nous intéresser, et à leur devenir dans les ouvrages postérieurs. Peu de grammaires hébraïques en contiennent alors qu’elles figurent dans un nombre non négligeable de grammaires latines de l’hébreu.
1.1 Les grammaires hébraïques médiévales
Abraham ibn Ezra (ca 1089 – ca 1167), l’un des traducteurs des traités grammaticaux de Ḥayyuj, a introduit quelques règles générales (kəlal) dans son premier ouvrage linguistique, Sefer ṣaḥot8, dont voici une des entames : « Et je vais maintenant te donner une règle qui te permettra d’analyser les formes verbales et d’en identifier la racine » (Lippmann 1827 : f. 48r). Aussi étonnant que cela puisse paraître, on ne retrouve pas de démarche de ce type dans les ouvrages linguistiques les plus célèbres, qu’il s’agisse de ceux de Jonah ibn Janaḥ, qui a composé les premiers traités9 comportant toutes les bases théoriques de la grammaire hébraïque et qui est considéré comme le continuateur de Ḥayyuj, ou de ceux de la famille Qimḥi, Joseph, Moïse ou David10.
En revanche, Profiat Duran a consacré un chapitre entier du Maˁaseh efod aux techniques à employer pour isoler ou retrouver les trois lettres radicales. Médecin, astrologue, mathématicien et philosophe, Profiat Duran appartenait à l’élite socio-culturelle de la communauté juive dont on a de nombreux exemples11, et comme ses pairs, il fut aussi un enseignant reconnu. Même après sa conversion forcée au christianisme, en 1391, Profiat Duran, appelé dès lors Honoratus de Bonafide, continua d’enseigner12 et de composer des ouvrages13. C’est avec le Maˁaseh efod, que l’on pourrait peut-être traduire « [Grand-] œuvre du efod14 », composé en 1403, que la carrière littéraire de Profiat Duran s’achève.
Ce passage, intitulé bi-netinat derakhim yudˁu mehem šoršei ha-peˁalim we-ha-šemot u-milot ha-taˁam ha-nimṣaˀim ba-katuḇ, « À propos des moyens permettant d’identifier les racines des verbes, des noms et des particules présents dans la Bible » (Friedländer 1865 : 141‑145), figure après la grammaire du nom et du verbe. Il s’ouvre sur l’importance et la nécessité qu’il y a à identifier les racines des mots bibliques, et se poursuit avec un véritable cours de méthodologie en huit points qui détaillent les différentes techniques à mettre en œuvre :
1. […] Seules « les lettres qui sont toujours présentes dans le nom et les formes dérivées, soit en acte comme c’est le cas pour les verbes réguliers, soit en puissance comme c’est le cas pour tous les autres types de verbes, sont appelées « radicales » de cette forme et de tout ce qui en dérive ». Il rappelle ensuite que la forme de l’accompli masculin, troisième personne du singulier, au qal15 et au piˁel ne contient que les lettres de la racine, « et c’est une des manières qui permet d’identifier les racines ».
2. Pour identifier les racines, il convient « d’examiner toutes les formes existantes [dans le texte biblique] pour tenter de trouver une preuve de la racine ».
3. « Il faut être attentif à la présence ou l’absence de dageš, s’il ne s’agit pas d’un verbe régulier qu’il est facile d’appréhender, comme nous le verrons. Si l’on repère un dageš, même s’il n’est pas présent à toutes les formes, on doit en déduire que l’on a affaire à une racine géminée ». Il signale ensuite que Ḥayyuj avait déjà indiqué ce moyen d’identifier la racine dans le chapitre consacré aux géminés16.
4. « Le quatrième moyen est de s’aider de la vocalisation pour une partie des cas, puisqu’à l’accompli, seule la voyelle notée sous la lettre initiale de la racine permet, au paˁal, de faire la différence entre les verbes ˁayin-waw [verbes dont la deuxième radicale est un waw] et les géminés : un qameṣ pour compenser la lettre faible disparue [verbes ˁayin waw] et un pataḥ pour les verbes géminés ».
5. « Et la cinquième façon d’identifier les racines, c’est de comprendre la structure [du verbe] et c’est le principe essentiel pour en déduire les racines [...] Et c’est la raison pour laquelle les opinions des premiers grammairiens ont divergé concernant certaines racines et chacun a suivi son opinion concernant la structure [du verbe] et certains n’ont peut-être pas accédé à la vérité parce que la structure leur a échappé ».
6. « Et la sixième façon concerne les racines des noms dont on ne sait comment ils fonctionnent et varient dans le texte biblique mais s’il se trouve un verbe dénominatif et selon ce que l’on trouvera concernant le verbe, on en établira la racine du nom […] De même pour dåg ‘poisson’, étant donné que l’on a wə-yidggū lå-roḇ, ‘qu’ils foisonnent abondamment’ (Gn 48 : 16), nous comprenons qu’il a une troisième consonne faible et non une deuxième comme l’ont cru certains […] Et certains noms nous renseignent sur d’autres […] et nous avons statué, [concernant la racine], pour ḥåron par analogie avec gåron17 ».
7. « Et la septième façon, [c’est d’] examiner les noms et les verbes avec [des formes] bibliques semblables qui te semblent plus évidentes et cela te permettra d’identifier la racine cachée mais il faut se garder de toute erreur : il peut souvent arriver que tu voies deux mots dont le schème se ressemble et que tu veuilles substituer les racines [de façon erronée] ».
8. « Et la huitième façon consiste à examiner le contexte où apparaissent les noms et les verbes d’une même racine. Et avec discernement et entendement, tu détermineras le sens de ce verset et selon ce qu’il t’apparaîtra de l’interprétation du verset, tu statueras à propos de la racine mais c’est une méthode à posteriori car la connaissance de la racine précède la compréhension du verset […] ».
Ce qui frappe dans ce texte, ce sont les éléments qui permettent une étude individuelle autonome, en l’absence de maître. Il s’agit d’une démarche inhabituelle et novatrice qui sera largement reprise par Sancte Pagnini dans son ouvrage Hebraicarum Institutionum libri IIII18.
2 La grammaire de Sancte Pagnini
En 1526, paraît à Lyon, aux presses d’Antoine du Ry, la première grammaire hébraïque en latin, d’importance, publiée en France19. L’auteur, Sancte Pagnini (Lucques, 1470 – Lyon, 1541), a été l’élève, à Florence, d’un juif espagnol converti, Clément Abraham. Il dédicace cette grammaire à Federigo Fregosio, archevêque de Salerne, « pour pallier le fait que ce dernier n’avait pas de précepteur pour l’hébreu (quod idoneo carebas praeceptore20) ». Bien que Robert Estienne, éditeur de la seconde édition de la grammaire de Sancte Pagnini, présente cet ouvrage comme une traduction fidèle – fere transcripti – du Mikhlol de David Qimḥi21, certains passages ont été empruntés au Maˁaseh efod22 de Profiat Duran. Sophie Kessler-Mesguich a été la première à le signaler et à noter que Pagnini ne le nommait que rarement23 parmi ses sources, alors qu’il expliquait fréquemment le vocabulaire technique de la grammaire hébraïque, en reprenant les définitions24 du Maˁaseh efod. Dans les chapitres 4 et 5 du livre IV (Pagnini 1526)25, De modo inveniendi radices, hoc est themata, et primitiva omnium Hebraicarum dictionum et particulatim nominum, « À propos des moyens permettant d’identifier les racines complexes26 et primitives de tous les mots hébreux et en particulier des noms » (ibid. : 395‑398) et De modo inveniendi radices verborum, « À propos des moyens permettant d’identifier les racines des verbes » (ibid. : 398‑400), Pagnini a perfectionné la méthode du grammairien Profiat Duran en distinguant les noms des verbes et en réorganisant les huit points énoncés par son prédécesseur.
De fait, Pagnini insiste, comme son modèle, sur l’importance qu’il faut attacher à l’identification des racines : « La raison pour laquelle il faut trouver les racines des noms […] parce que leur connaissance conduit dans une grande mesure à la compréhension de l’écriture, j’estime très utile et déclare de quelle façon on peut identifier les racines des noms et des verbes ». Il poursuit en rappelant « qu’il faut garder en mémoire que les noms et les verbes peuvent être parfaits, quiescents, défectifs ou géminés » et que « le šoreš, à savoir la racine des mots, sont les lettres qui sont toujours présentes, en acte dans la prononciation comme [dans les mots] parfaits, ou en puissance à l’aide de voyelles royales27 ou d’un dageš pour les [verbes] quiescents, défectifs ou géminés28 ».
Il rappelle ensuite la trilitéralité des racines et la constitution des formes verbales et des noms à l’aide des lettres serviles, avec de nombreux exemples :
Et nous avons souvent rappelé que presque tous les noms et les racines des verbes contiennent trois lettres. Et dans les noms parfaits simples, il n’y a pas de doute ni de difficulté, qu’ils contiennent seulement trois lettres radicales, comme דָּבָר dåḇår ‘parole’, כְּתָבkətåv ‘écriture’, זְאֵב zəˀeḇ ‘loup’, שְׁכֶם šəḵεm ‘épaule’, לֵבָבleḇåḇ ‘cœur’, נָקָם nåqåm ‘vengeance’, etc. desquels on a traité dans le livre 2, chap. 16. Dans les autres cas, en revanche, qui comportent des lettres accidentelles et serviles, qui sont moše kataḇ ˁelenu [soit מ mem, ש šin, ה he, כ kaf, ת taw, ב bet, א alef, ל lamed, י yod, נ nun et ו waw]29, comme il a été dit au livre 1, chap. 15, ou heˀemanti [soit ה he, א alef, מ mem, נ nun, ת taw et י yod]30 pour les noms, une fois ces lettres enlevées, les trois lettres qui restent dans les noms parfaits sont les radicales ou bien ces lettres accidentelles se trouvent au début ou seulement à la fin ou au début et à la fin, comme אֶשְׁכָּר ˀɛškår ‘cadeau’, אֶצְבַּע ˀɛṣbaˁ ‘doigt’31, une fois enlevé le alef [א] accidentel, restent trois lettres radicales, שָׁכַר ŠåḴaR et צָבַע ṢåḆaˀ. Et dans שִׁפְחָה šip̄ḥåh ‘servante’, אִמְרָה ˀimråh ‘discours’, si on enlève le he [ה] accidentel qui est la désinence du féminin, il reste les lettres radicales שָׁפַח ŠåP̄aḤ et אָמַר ˀåMaR.
Et dans מִשְׁפָּחָה mišpåḥåh ‘famille’, מִלְחָמָה milḥåmåh ‘guerre’, une fois enlevées la lettre préformante mem [מ] et la lettre accidentelle he [ה], il reste les racines שָׁפַח ŠåP̄aḤ et לָחַם LåḤaM. Et de même, dans les autres [noms] composés avec les lettres accidentelles, il reste trois lettres radicales en acte.
Dans les noms [ayant une racine] quiescente, comme מָקוֹם måqom ‘lieu’, מָאוֹר måˀor ‘luminaire’, une fois enlevé le mem [מ] accidentel, il reste les lettres radicales אוֹר ,קוֹם. Et dans שׁוּבָה šūḇåh et צוּרָה ṣūråh, une fois enlevé le signe he [ה] du féminin, il reste les lettres radicales שׁוּב ŠWḆ, צוּר ṢWR. Et dans מְרוּצָה mərūṣåh ‘course’, מְשׁוּבָה məšūḇåh ‘conversion’, une fois enlevés les mem [מ] et he [ה] accidentels, il reste les lettres radicales רוּץ RWṢ, שׁוּב ŠWḆ. Parfois en revanche, dans les mots quiescents, les trois lettres radicales ne sont pas visibles en acte, comme dans l’exemple précédent, mais en puissance des « voyelles royales », qui ont en puissance les lettres quiescentes, comme sont les voyelles camés, séri, chiric, suivies d’un yod, cholem. Comme זָדוֹןzådon ‘la superbe’, une fois enlevées les lettres accidentelles vau [ו] et nun [נ], il reste זָד zåd et en puissance le camés est vau [ו]. Et ainsi זוּד ZWD est la racine. Et dans זֵדוֹן zedon ‘superbe’, une fois enlevés pareillement vau [ו] et nun [נ], il reste זֵד zed et le séri est vau [ו] en puissance et ainsi la racine est זוּד ZWD32 [...]33 Et dans הֲנָפָה hănåp̄åh ‘tamisage’, une fois enlevés les deux he [ה] accidentels, il reste נָף nåp̄. Et le camés est le vau [ו] en puissance et ainsi la racine est נוּף NWP̄. Et dans תַּאֲוָה taˀăwåh ‘désir’ et תְּעָלָה təˁålåh ‘santé34’, une fois enlevé le tau [ת] accidentel, il reste les radicaux אָוָה ˀåWåH et עָלָה ˁåLåH. Et dans תַּבְנִית taḇnit ‘modèle’, תַּכְלִית taḵlit ‘achèvement’, une fois enlevés les deux lettres tau [ת] et iod [י] de la voyelle royale dans laquelle he [ה] est en puissance, il reste les racines בָּנָה ḆåNåH et כָּלָה KåLåH.
Dans les noms [ayant une racine] défective où il manque généralement le nun [נ] ou le iod [י] que le daghés ou une voyelle royale supplée, comme dans מַשּוֹר massor ‘scie’, מַבּוּעַ mabbūˁa ‘source’, une fois enlevé le mem [מ] accidentel et mis le nun [נ], qui est dans le dagés en puissance, les lettres radicales seront נָשַֹר NåSaR et נָבַע NåḆaˁ. Et dans מַתָּנָה mattånåh ‘présent’, מַטָּרָה mattåråh ‘garde’, une fois enlevées les lettres mem [מ] et he [ה] accidentelles, et mis le nun [נ], qui est dans le dagés en puissance, les lettres radicales seront נָתַן NåTaN et נָטַר NåTaR. Et dans מוֹשָׁב mošåḇ ‘enceinte’, מוֹרָשׁ moråš ‘possession’, une fois enlevées les lettres mem [מ] et vau [ו] [accidentelles], et mis le iod [י] qui est en puissance dans le cholem [וֹ], les lettres radicales sont יָשְׁב YåŠaḆ et יָרַשְׁ YåRaŠ. Et dans תּוֹכֵחָה toḵeḥåh ‘remontrance’, une fois enlevées les lettres accidentelles tau [ת] et he [ה], et mis le iod [י], qui est dans le cholem [וֹ] en puissance, les lettres radicales sont יָכַח YåḴaḤ. Et dans שֵׁנָה šenåh ‘sommeil’, דֵּעָה deˁåh ‘science’, une fois mis le iod [י] qui est en puissance dans le séri et enlevé le signe du féminin he [ה], les lettres radicales sont יָדַע YåDaˁ et יָשְׁן YåŠaN.
Dans les géminés parfaits, en revanche, c’est-à-dire dans ceux qui ont trois lettres radicales, il n’y a pas de possibilité de se tromper. Dans les autres verbes, il faut considérer que le daghés, qui supplée, fait fonction de vicaire des lettres défectives, comme dans מְגִלָּה məgillåh ‘rouleau’, תְּחִלָּה təḥillåh35 ‘commencement’ », une fois enlevées les lettres mem [מ] ou tau [ת] et he [ה], qui sont des lettres accidentelles, et mis le lamed [ל] qui est en puissance dans le daghés, il reste les radicales גָלַל GåLaL et חָלַל ḤåLaL. Et dans זִמָּה zimmåh ‘dessein’, חִתָּה ḥittåh ‘peur’, une fois enlevé le signe he [ה] du féminin et mis le tau [ת] et le mem [מ] qui sont en puissance dans le daghés, les lettres radicales sont חָתַת ḤåTaT et זָמַם ZåMaM. Et dans עֹז ˁoz ‘force’, חֹם ḥom ‘chaleur’, une fois mis le [deuxième] zain [ז] et le [deuxième] mem [מ] qui sont en puissance dans le cholem, les radicales sont עָזַז ˁåZaZ et חָמַם ḤåMaM.
Ce long développement très didactique, qui ne figurait pas dans la grammaire de Profiat Duran, ne peut être dissocié des deux listes de noms qu’a insérées Pagnini en prologue au Thesaurus36 qui est, on le sait, une adaptation du Sefer ha-shorashim ou Dictionnaire des racines de David Qimḥi : une première (3r‑4v) où figurent les substantifs ordonnés en fonction des préformantes האמנתי – he, alef, mem, nun, taw, yod – et une seconde (5r‑5v), rangée selon l’ordre alphabétique, faisant apparaître les racines des substantifs « défectifs [noms auxquels manquent une consonne de la racine sans compensation], quiescents [noms comportant une consonne quiescente cachée] et géminés. Seul, le dernier paragraphe de ce chapitre 4 reprend fidèlement le point 6 du Efod, que nous avons résumé plus haut37.
De plus, s’il y a [dans la Bible] un verbe dénominatif, tu pourras juger du nom à partir de ce verbe. Nous disons que עָשְׁ ˁåš ‘vers’ est géminé, car nous trouvons dans le Psaume 31:2138, « Et mes os עָשַׁשׁוּ ˁåšašū disparaissent ». Quant à דָּג dåg ‘poisson’, nous disons qu’il dérive de דָָּגָה DåGåH non seulement parce que dans le pluriel, il n’y a pas de daghés [ce qui aurait été l’indice d’une racine géminée], mais aussi parce que nous trouvons en Genèse 48:16, וְיִדְגּוּ wə-yidggū ‘qu’ils foisonnent abondamment’. Et חָרוֹן ḥåron ‘la colère’, nous disons que le mot dérive du verbe חָרָה ḤåRåH ; et teḇel תֵּבֵל ‘monde’, nous disons qu’il vient de בָּלַל BåLaL ; et məgeråh מְגֵרָה ‘scie’ de גָּרַר GåRaR ; et חֻפָּה ḥuppåh ‘dais nuptial’, non seulement en raison du daghés mais aussi parce qu’on trouve [dans la Bible] חָפַף ḤåP̄aP̄, nous considérons qu’il fait partie des géminés. Les dissyllabiques avec daghés prouvent que les monosyllabiques dérivent des géminés, פַּת pat ‘morceau’ et קַל qal ‘léger’ dérivent de פִּתִּים pittīm39 ‘morceaux’ et קַלִּים qallīm ‘légers’ (point 6)40.
Le chapitre 5 est entièrement consacré aux verbes. L’auteur commence par traiter des verbes parfaits ou réguliers, verborum perfectorum, ceux qui gardent les trois consonnes de la racine à toutes les formes :
Découvrir les racines de verbes parfaits, qui ont toujours trois lettres radicales ne pose pas de difficulté quel que soit le binián. Une fois enlevées les lettres accidentelles, comme celles qui constituent les personnes, par exemple, ou les genres, ou les nombres, ou les modes, ou bien celles qui sont formatives des conjugaisons, il reste les radicales, qu’il est facile de voir dans les cas singuliers des binianím, c’est-à-dire les conjugaisons, mentionnés plus haut. Cependant, plus précisément, dans les verbes parfaits de première et seconde conjugaison, dans la troisième personne du masculin accompli, qui n’a aucune lettre accidentelle, se trouve la racine de toutes les formes qui dérivent d’elle, dont les personnes, le genre, le nombre et le mode. Et ainsi dans les verbes dont la première lettre est le iod [י], quiescent : ou la dernière qui est alef [א] ou he [ה], une fois trouvé l’accompli dont on a parlé, ou même l’impératif, outre le radical, ils n’ont pas de lettres serviles : comme פִּנָה pånåh ‘il se tourna’, פִּנֵה pəneh ‘tourne-toi’, une fois que l’on a trouvé, on en juge que la racine de וַיִּפֶן wa-yyip̄ɛn ‘il se tourna’ est פִּנָה PåNåH. Et de même, וַיַּרְא wa-yyerɛd ‘il descendit’ de יָרַד YåRaD ; et וַיַּצֶר wa-yyiṣɛr ‘ il forma’, de YåṢaR יָצַר ; et וַיַּרְא wa-yyarˀ ‘il vit’, de רָאָה RåˀåH ; et וַיַּעַשֹ wa-yyaˁas ‘il fit’, de עָשָֹה ˁåSåH, et de même pour les autres (point 1).
Mais dans les verbes dont la deuxième [lettre] est un vau [ו], quiescent, nous en jugerons à partir du maqor ou du futur : dans ceux qui ont un ו quiescent, à l’accompli ou au participe, dans ceux-là, le vau [ו] est seulement en puissance dans la voyelle royale camés. Comme לָקוּם lå-qūm ‘se lever’, et לָשׁוּב lå-šūḇ ‘revenir’. Ou אָקוּם åqūm ‘je me lèverai’, אָשׁוּב åšūḇ ‘je reviendrai’, nous déduisons que קָם qåm ‘il se leva’, שָׁב šåḇ ‘il est retourné’, קָם qåm ‘se levant’, קָמִים qåmīm ‘se levant (pl.)’, שָׁב šåḇ ‘revenant’ et שָׁבִים šåḇīm ‘revenant (pl.)’, viennent de קוּם QWM et שׁוּב ŠWḆ (point 2).
Dans les géminés en revanche, si on trouve un [verbe] complet, c’est-à-dire ayant trois lettres radicales, nous en déduisons les [racines des] imparfaits et défectifs. Étant donné que nous trouvons les formes קָלַל qålal, תָמַם tåmam, זָכַּך zåkakh, סָבַב såḇaḇ, nous déduisons que קַל qal, זַךְ zakh, סַב saḇ et les autres [formes] défectives des verbes dont nous avons parlé, viennent de géminés – et ainsi pour les autres cas, dont nous avons parlé dans le livre 3, chap. 34 –bien que l’on puisse savoir qu’il s’agit de géminés grâce à la voyelle pathach, qui est propre aux géminés – comme le camés est propre aux verbes dont la seconde radicale vau [ו] est quiescente – et grâce au daghés qui est dans la seconde radicale, comme dans קַלּוּ qallū ‘ils sont légers’, תַּמּוּ tammū ‘ils ont fini’, זַכּוּ zakkū ‘ils sont purs’, סַבּוּ sabbū ‘ils ont entouré’, qui ont effectivement un daghés et sont des géminés. Même en ce qui concerne le futur des géminés, au binián niphal défectif, on sait grâce au pathach qu’il s’agit de futur des [verbes] défectifs quiescents, comme nous l’avons indiqué à sa place (points 3 et 4).
Il y a une autre façon d’identifier les verbes et les noms communs, nous devons faire l’effort de ne pas ignorer la signification des verbes et des noms. En effet (par exemple), que נָזַד nåzad est ‘il cuisinait’, nous pouvons immédiatement déduire que וַיָּזֶד wa-yyåzɛd est ‘Jacob cuisina’ (Gn 25:29), à partir du verbe mentionné précédemment. De même, si l’on sait que אֹזֶן ˀozɛn signifie ‘oreilles’ et le verbe dénominatif, ‘percevoir avec les oreilles’, ou ‘incliner les oreilles’, nous comprenons le verset Pv 17:4, « le menteur מֵזִין mezīn (bien que le alef soit manquant) incline l’oreille vers la langue pernicieuse (dangereuse) » : on le déduit de אֹזֶן ˀozɛn et la forme régulière est מַאַזִין meˀezīn. Parce que nous savons que תּוֹפֵפוֹת top̄ep̄ot signifie ‘jouant du tambourin’, nous comprenons que תּוֹף top̄, ‘tambourin’, vient de תָּפַף tåp̄ap̄. Et nous pourrons de même discerner facilement les autres cas (point 5).
Il y a aussi une autre manière de reconnaître les [noms] communs, c’est-à-dire que par analogie, nous pouvons déduire ce qui n’est pas connu à partir de ce qui lui ressemble. Si l’on sait que la racine de יָקוּם yåqūm ‘il se lèvera’ est קוּם QWM, j’en déduirai que la racine de יָשׁוּב yåšūḇ ‘il reviendra’ est שׁוּב ŠWḆ, parce qu’ils sont semblables et l’on doit étendre cette déduction aux autres cas similaires. Et de même pour les autres verbes et noms, comme אָקוּם åqūm ‘je me lèverai’ et אָשׁוּב åšūḇ ‘je reviendrai’, et תְּקוּמָהtəqūmåh ‘édification’, et תְּשׁוּבָה təšūḇåh ‘le retour’, et זַכּוּ zakkū ‘ils sont purs’, et קַלּוּ qallū ‘ils sont légers’ […] qui appartiennent aux géminés. Mais cette méthode peut induire en erreur les débutants/ignorants, parce qu’il y a des formes semblables qui ont des racines différentes, comme תּוֹכֵחָה toḵeḥåh ‘remontrance’, et תֹּועֵבָהtoˁeḇåh ‘abomination’ ; la racine du premier est en effet יָכַח YåḴaḤ et de l’autre תָּעַב TåˁaḆ […] בְּרָכָה bəråkåh ‘bénédiction’ et מְעָרָה məˁåråh ‘grotte’ viennent [respectivement] de בָּרַך BåReḴ et עָרָה ˁåRåH, et non de מָעַר* MåˁaR, comme certains le pensent (point 5). C’est pour cette raison que ce mode de déduction demande une attention non moindre, pour que nous ne nous trompions pas dans les analogies. Mais nous venons de traiter quelques règles très utiles pour la compréhension des écritures sacrées (point 7).
Au XVIIe siècle, un autre hébraïsant chrétien, Johannes Buxtorf, résume en cinq points l’essentiel de cette démonstration dans l’introduction à son livre Epitome grammaticae hebraeae41, sous le titre Regulae de themate facile investigando et cognoscendo « Règles pour reconnaître et identifier facilement la racine » :
1. Si après avoir supprimé les lettres serviles, il reste trois lettres, celles-ci constituent la racine : comme אֶפְקֹד ɛp̄qod ‘je visiterai’, de PaQaD.
2. S’il n’en reste que deux, et que la première est marquée d’un dageš, alors ce dageš correspond le plus souvent à la première lettre radicale נ nun et plus rarement à י yod, qui a été absorbée : comme אֶגָּשׁ ɛgåš ‘j’approcherai’ de נָגַש NåGaŠ ; הִצִּיב hiṣīḇ ‘il installa’ de יָצַב YåṢaḆ.
3. Si c’est la dernière des deux qui restent, qui est marquée d’un dageš, il s’agit d’une racine géminée : comme סַבּוּ sabbū ‘ils ont entouré’ de סָבַב SåḆaḆ. Sauf premièrement, si le dageš est un des traits de la conjugaison et que l’on peut identifier par la forme, dans ce cas il faut placer à la fin un ה he : comme גִּלוּ gilū de גָּלָה GåLåH ; deuxièmement, si les noms avec suffixes pronominaux sont marqués d’un dageš dans la seconde lettre, ils ont pour consonne intermédiaire [deuxième radicale] nun : comme חִטָּה ḥittåh ‘blé’ de חָנַט ḤåNaT, אַף ˀap̄ ‘colère’ de אָנַף ˀåNaP̄, בַּת bat ‘fille’ de בָּנָה BåNåH.
4. Si la dernière des deux consonnes qui restent n’est pas marquée d’un dageš, soit la première lettre est un י yod ou un נ nun, plus rarement un א alef ; soit la lettre intermédiaire est un ו waw, soit la dernière lettre est un ה he et plus rarement un אָ alef.
5. Si après avoir supprimé les lettres serviles, il ne reste qu’une lettre radicale, dans ce cas, il faut placer comme première lettre soit נ nun, soit י yod et mettre à la fin un ה he, excepté pour תֵּת tet ‘donner’, dont la racine est נָתַן NåTaN.
Il termine par ces mots : Quiconque deviendra un très bon grammairien n’aura pas besoin de ces règles ou d’autres semblables.
Ces règles sont versifiées dans l’édition Leusden42 (1691) et déplacées au chapitre 6.
1. Abjice Serviles, et tres si fortè supersunt,
Radicem thematis noveris esse tui.
2. Sin tantùm remanere duas conspexeris, adde
Nun vel Yod capiti, vel dato Wau medio,
Aut He postponas, aut conduplicato secundam
Vera statim Radix pullulat inde tibi.
3. Unica sed remanet mihi litera, quando removi
Serviles : Radix dic agè qualis erit?
Nun da principio, vel Yod superadde quiescens,
He fini : Radix inde petita venit.
4. Qui quid analogico normae dissentit ab usu;
Hoc exercitium, lector amice, dabit.
On les retrouve ensuite dans de nombreux ouvrages postérieurs. Adrianus Reeland (1721, p. [2]) les reprend en les faisant précéder du titre Investigationi Radicum plurimum inserviunt sequentes Versiculi. Dans une grammaire de l’hébreu, en anglais cette fois, James Noble (1832, p. 122) signale qu’il est « habituel de donner dans les grammaires hébraïques, ce que l’on qualifie de Règles pour identifier la racine ». Et, ajoute-t-il, « le fait est que la grammaire [hébraïque] n’est rien d’autre qu’un système de règles permettant d’identifier la racine. Ainsi, trouver la racine pour quelqu’un qui maîtrise la grammaire n’est guère difficile ; quant à celui qui ne la maîtrise pas bien, aucune règle sur le sujet ne sera d’une grande utilité ».
3 Conclusion
Ainsi, si les prémisses de ces passages didactiques permettant d’identifier les racines faibles sont déjà présentes dans les traités de Judah Ḥayyuj et dans le Sefer ṣaḥot d’Abraham ibn Ezra, elles ne sont devenues systématiques qu’au moment où l’enseignement de la grammaire hébraïque a franchi les frontières des communautés juives et ce, à mon sens, pour deux raisons : le processus d’apprentissage de l’hébreu débutait dès l’enfance sous la direction d’un maître qui guidait ses élèves et pouvait, en fonction de ses aptitudes pédagogiques, leur fournir les clés permettant d’identifier les racines ; la connaissance intime des prières et des textes classiques facilitait le rapprochement entre mots dérivés de la même racine, dont l’un pouvait avoir conservé les trois radicales. Profiat Duran écrivit son ouvrage grammatical après avoir été converti de force en 1391, peut-être à destination de ses frères d’infortune qui ne pouvaient bénéficier d’un enseignement organisé, et il fut, semble-t-il, le premier à consacrer un chapitre entier à ce point. Sa démarche novatrice fut reprise par Sancte Pagnini dont les ouvrages ont influencé d’autres hébraïsants chrétiens, et ce jusqu’au XIXe siècle43. Pour terminer, je souhaiterais mentionner un manuel français, celui de l’abbé Ladvocat, dont le titre confirme mon sentiment, à savoir que les règles énoncées par Profiat Duran avaient pour but d’aider un apprenant solitaire : Grammaire hébraïque à l’usage des écoles de Sorbonne, avec laquelle on peut apprendre les principes de l’hébreu, sans le secours d’aucun maitre44.
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Friedländer (1865). Ce sujet a déjà été abordé dans une perspective différente, voir Kogel (2018). Pour des raisons de lisibilité, nous avons adopté une translitération simplifiée pour les noms propres, les titres d’œuvres, les noms de lettres, ainsi que les voyelles. En revanche, il nous a semblé nécessaire de distinguer entre les lettres b, k et p et leur réalisation fricative ḇ,ḵ etp̄ (et non v, kh et f) dans la traduction des différents extraits grammaticaux, pour permettre au lecteur de suivre plus aisément les explications de Profiat Duran et de Sante Pagnini.
Ces deux traités ont été traduits une première fois, au XIe siècle, par Moïse Gikatilla, sous le titre Sefer otyot ha-naḥ we-ha-meshekh et Sefer baˁaley ha-kefel (Ḥayyuj 1870) et une seconde fois, à Rome vers 1140‑1142, par Abraham ibn Ezra, sous le titre Sefer otyot ha-naḥ et Sefer peˁaley ha-kefel (Ḥayyuj 1844). En ce qui concerne la traduction d’Abraham ibn Ezra, voir l’article de Shlomo Sela et Gad Freudenthal (2006).
On peut citer, par exemple, l’adaptation à l’hébreu du paradigme faˁala. La première occurrence apparait dans les Těšuḇot des disciples de Menaḥem ben Saruq à Dunaš ben Labraṭ (Benavente Robles et Sáenz-Badillos 1986). L’utilisation des radicales fāˀ, ˁayn et lām pour désigner les trois lettres radicales est explicite dans l’ouvrage de Ḥayyuj. Pour l’adaptation en hébreu, c’est Ibn Gikatilla qui fait figure de pionnier (Ḥayyuj 1870 : 5).
Sáenz-Badillos (2001 : 47) ; la terminologie utilisée par Ḥayyuj est aussi largement empruntée à celle de la grammaire arabe (Bacher 1882).
Sáenz-Badillos (1986). Cet ouvrage a été précédé par les listes massorétiques, comme Sefer okhlah we-okhlah, qui regroupaient les mots selon des critères sémantiques ou morphologiques (Díaz Esteban 1975).
Ḥayyuj (1870 : 100). La traduction d’Abraham ibn Ezra est plus littérale et plus concise – il est possible qu’il ait disposé d’une version arabe différente – et en voici la dernière phrase (Ḥayyuj 1844 : 146) : « si [la forme] est marquée d’un dageš, tu sauras avec certitude qu’il s’agit d’un verbe géminé, et sinon qu’il s’agit d’un verbe à deuxième radicale faible. »
« Le livre de la langue élégante » a été composé en tishre 4906 [octobre 1145] à Rome (Sela et Freudenthal 2006 : 19).
Le Kitāb al-Tanqīḥ, traduit par by Judah ibn Tibbon, comprenait deux parties : une grammaire Kitāb al-Lumaˁ et un dictionnaire des racines Kitāb al-uṣul, qui avaient pour titre, en hébreu, Sefer ha-Riqmah et Sefer ha-Shorashim (Ibn Janaḥ 1896 et 1964).
C’est ce dont témoigne une des gloses relevées par Benjamin Richler dans le manuscrit Parma, Biblioteca palatina 2290 : « c’est ce qu’il nous a transmis en secret et en se cachant (fo 23vo) ». Voir Richler et Beit-Arié (2001 : notice 1310) et également le livre de Maud Kozodoy (2015).
Une lettre adressée en 1393 à Joseph ben Abraham à la mort de son père, R. Abraham ben Isaac ha-Levi de Gérone, un des guides spirituels les plus importants de la communauté juive catalane, dans laquelle il décrit la situation désespérée du judaïsme contemporain ; deux textes de polémique anti-chrétienne, une lettre satirique – ˀAl tehi ke-avotekha, « Ne sois pas comme tes pères » – adressée en 1396 à son ami David Bonet Bonjorn, converti de force mais qui renia ensuite la foi de ses pères, et Kelimat ha-goyim, « L’opprobre des nations », généralement daté de 1397, dans lequel Profiat Duran s’attaque aux fondements du christianisme (Renan 1893 : 395‑404). Selon Richard W. Emery (1968), ces ouvrages composés en hébreu étaient destinés à des juifs ou à des conversos, dans le but de les soutenir et de les encourager à persévérer dans leur foi.
Comme souvent, les titres des ouvrages hébreux rappellent des expressions bibliques, tout en fournissant des indications concernant l’auteur. Si dans la Bible, ep̄od (alef – pe – dalet) désigne un vêtement du grand-prêtre (Ex 28,15 et 39,8), il faut le lire ici comme l’acronyme de Amar Profiat Duran, « Profiat Duran a dit ».
Un des sept schèmes verbaux ou binyanim ‘constructions’, comme les ont nommés les grammairiens médiévaux ; les noms des binyanim correspondent au croisement de la racine-type פעל PˁL avec le schème de l’accompli, troisième personne du masculin. On a ainsi le paˁal ou qal ‘le léger’, qui ne comprend ni redoublement, ni ajout de consonne, le nip̄ˁal, le piˁel, le puˁal, le hip̄ˁil, le hop̄ˁal, le hitpaˁel.
Ḥayyuj (1870 : 100, l. 23 et suivantes), cité ici p. 4.
Pagnini (1526, Libri IIII, chap. 4 et 5, p. 395‑400). Le titre de la première édition étant très long parce qu’il détaillait ce que contenaient les quatre livres de ces Hebraicas institutiones, les éditions ultérieures retiendront la mention figurant à la fin du livre, expliciunt Quatuor Libri Institutionum Hebraicarum (1549).
Les deux grammaires de l’hébreu imprimées précédemment en France étaient assez rudimentaires : Tissard (1508 ou 1509) ; Qimḥi ([1520]).
Schwarzfuchs (2008 : 16‑19).
Voir Kessler-Mesguich (2013 : 127 et n. 26).
Kessler-Mesguich (2013 : 145) : « Le Maˀaseh efod n’est explicitement cité que cinq fois, à propos des différences de prononciation entre les différentes communautés juives, et à propos des conjugaisons passives ».
Dans l’édition de 1549, les chapitres 4 et 5 sont réunis sous le titre Modus inveniendi radices, hoc est themata, et primitiva omnium Hebraicarum dictionum avec comme sous-titre Ratio inveniendi radices nominum, « méthode pour trouver les racines des noms » (p. 434‑437) pour le chapitre 4 et Ratio inveniendi radices verborum, « méthode pour trouver les racines des verbes » (p. 437‑439) pour le chapitre 5.
Thème latin = racine et le suffixe, sans les désinences personnelles. Pour un nom, on pourrait parler en hébreu de schèmes nominaux. Dans la préface du Dictionarium hebraicum, Münster désigne le « Livre des racines » dont il s’inspire, Sefer ha-shorashim de David Qimḥi, par l’expression liber de Radicibus et il ajoute sic enim illa gens themata dictionum vocat « car c’est ainsi que ces gens appellent les thèmes des mots » (1523, f. Aa2v).
Pagnini emploie plusieurs termes pour désigner les voyelles : nequdot, tenuˀot, rešamim et melaḵim (Hebraicarum institutionum : 6). Kessler-Mesguich (2013 : 132) fait remarquer que la présentation de Pagnini rassemble des termes métalinguistiques provenant de plusieurs grammairiens. Le terme melaḵim ‘rois’, bien qu’employé dans le Mikhlol de David Qimḥi, renvoie au système le plus ancien, celui des sept rois, c’est à dire des sept timbres, auxquels s’oppose le « serviteur », le šewa (ibid., n. 132).
C’est un passage du Efod (Friedländer 1865 : 141).
Ces lettres permettent de former la phrase mnémotechnique que David Qimḥi (1548, f. 38r) cite au nom de son frère Moïse : moše kataḇ ˁelenu « Moïse nous a écrit » en revanche, ce dernier a repris dans le Mahalakh celle qui figurait déjà dans le Maḥberet : etkenah mešali bo (Qimḥi, M. 1519 : 6).
Friedländer (1865 : 144) : הששי והדרך.
Référence erronée dans Pagnini (1529).
Buxtorf (1629 : f. 6r-v de l’introduction). Seuls quelques exemples supplémentaires des points 2 et 5 n’ont pas été reproduits ici.
Buxtorf (1691 : 30‑31) : « 1. Enlève les serviles, et s’il reste trois lettres, tu peux considérer qu’elles forment la racine du thème. 2. Si deux lettres seulement restent, tu peux ajouter soit nun, soit yod au début, ou insérer un waw au milieu, ou encore mettre un he à la fin, ou doubler la deuxième lettre, ce qui permettra de trouver la racine recherchée. 3. S’il reste une lettre seulement, après avoir enlevé les serviles, tu dois mettre soit un nun soit un yod au début, et un he à la fin ; la racine sera ainsi identifiée. 4. Tout ce qui s’écarte de ces règles, l’expérience, cher lecteur, te le fournira. »
James Noble (1832 : 122‑124) cite le compendium de Adrianus Reeland (1721) et bien sûr l’ouvrage de Johannes Buxtorf (1629 : f. 6r‑v de l’introduction), maintes fois édité. La filiation entre ces ouvrages est indiquée par les auteurs. Voir également Sámuel Zsigmondy (1828 : 90) où ne figurent que les trois premières règles précédées de la mention Antiquiores Grammatici secundum hos versus verborum radicem investigabant.