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Histoire Epistémologie Langage
Volume 41, Number 1, 2019
La linguistique chinoise : influences étrangères entre XIXe et XXe siècles
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Page(s) | 179 - 200 | |
Section | Lectures & critiques | |
DOI | https://doi.org/10.1051/hel/2019011 | |
Published online | 10 June 2019 |
Lectures & critiques
CULIOLI Antoine, Pour une linguistique de l’énonciation, tome IV. Tours et détours, Limoges : Lambert-Lucas, 2018, 280 p. ISBN/EAN 978-2-35935-244-3
Le livre d’Antoine Culioli, qui clôt la série « Pour une linguistique de l’énonciation » nous permet de voir dans le détail sa conception du langage, sa démarche de chercheur, et les opérations qui sont au cœur de sa théorie. Une phrase tirée d’un article cité en quatrième de couverture donne lieu au titre de son quatrième volume : « Les langues nous montrent qu’elles sont faites de tours et de détours (qui heureusement ne doivent rien aux linguistes). »
L’intitulé « Tours et détours » résume admirablement la démarche de l’auteur. Afin de rendre compte de la complexité du langage, il propose tout d’abord un énoncé. À partir de là, il change ou ajoute un élément, fait varier l’ordre des mots ou encore la prosodie. Il fait ainsi apparaître, de façon magistrale, la multiplicité des paramètres qui entrent en jeu dans le langage. On est loin dans ces pages « des propos de syntaxe de surface ». On se trouve au cœur même de l’activité langagière.
Le livre reprend, dans un premier temps, une intervention faite par Culioli « en guise de clôture » à la suite d’un colloque organisé en son hommage. Il en ressort ses préoccupations majeures : tout d’abord, l’importance de l’histoire et de la culture. Il rappelle ses débuts comme philologue spécialisé dans l’histoire des langues germaniques et souligne le fait que « sans diachronie et sans anthropologie culturelle » la linguistique « se condamne à l’assoupissement théorique ».
Il évoque ensuite son intérêt pour la philosophie et son souci d’articuler, d’une part, langage et langues et, de l’autre, la matérialité du texte et l’activité signifiante des sujets. Il rejette la linguistique classificatoire et insiste sur la nécessité de prendre en compte d’autres disciplines afin d’éviter une linguistique purement descriptive. Son souci est de construire un langage abstrait qui permet de rendre compte des données empiriques dans toute leur complexité. Il refuse le caractère figé du structuralisme, sa réduction à des cases classificatoires et à un simple jeu d’étiquettes.
La relation entre le langage et les langues, de même que la distinction entre langue au sens saussurien et langage, sous-tend toute sa recherche. Au cœur de ces remarques, sont évoquées les personnes qui ont eu une influence sur cette recherche, que ce soit de façon positive, ou parce qu’elles ont permis à Culioli de prendre une distance par rapport à leurs positions : entre autres, Louis Althusser, Rémi Martin et Louis Hjelmslev.
Un des facteurs sur lequel insiste Culioli est la différence entre une phrase et un énoncé. Ce critère est fondamental dans sa façon de concevoir la linguistique. Il insiste, en particulier, sur le jeu énonciatif qui permet d’arriver à une stabilité, à travers les ajustements et les ratés. Le concept de lexis, qui provient du lekton des stoïciens, lui permet de donner sa juste place à l’échange énonciatif et à la reconstruction des formes abstraites et matérielles.
La distinction phrase / énoncé l’amène au problème qui est central dans sa théorie, celui des invariants et de la déformabilité en linguistique. Il lui permet de construire un système dynamique qui consiste à traiter dans le langage tout ce qu’on y trouve, sans exclusion préalable. Il s’élève à ce sujet contre tout ce qui constitue une façon idéaliste de traiter le langage. Sont relevés comme critères fondamentaux, la relation primitive, la lexis, le jeu des marqueurs et l’espace de référence. Il ramène la construction de l’énoncé « (1) à la mise en relation d’une notion et d’une occurrence de cette notion (2) à la localisation de cette occurrence par rapport à un système de repérage ». Il démontre l’existence de séquences impossibles à travers des exemples tels que :
J’aime le café.
* J’aime du café.
Au moindre bruit, il tressaille.
* Tiens, j’entends le moindre bruit.
En résumé, Culioli insiste sur le fait que les étudiants en linguistique doivent avoir une culture qui dépasse la linguistique, qu’elle doit se donner des objectifs et des programmes et que ces programmes doivent être soumis à des contrôles et des confrontations, de façon à ce que la théorisation tienne compte de la réalité du langage.
Si Culioli refuse de considérer le langage comme une langue figée, immédiatement interprétable, c’est que cette façon de l’envisager ne laisse rien au hasard des échanges interlocutoires, ne permet pas de rendre compte des aléas du langage quotidien dans sa banalité. Une conception du langage qui ne tient aucun compte des problèmes de communication, laisse de côté un ensemble de phénomènes qu’il s’attache à théoriser. Sa formule paradoxale « La compréhension est un cas particulier du malentendu » laisse bien apparaître son souci de démontrer que les dialogues recèlent des phénomènes microscopiques qui battent en brèche l’idée d’un langage transparent et univoque.
Il distingue, dans le cadre de ses analyses, le sujet énonciateur, à savoir l’origine subjective « qui fournit le repère origine des coordonnées énonciatives », du locuteur, une personne physique « face à un auditeur / interlocuteur ». La relation entre énonciateur et co-énonciateur, de même qu’entre locuteur et auditeur est envisagée dans toute sa complexité. Il différencie par exemple des énoncés comme « j’ai faim / j’ai froid » qui ne sont attestables que par le seul énonciateur, des énoncés qui supposent une relation intersubjective. Ainsi à propos de la question : « Alors, est-ce que tu es satisfait ? », il donne plusieurs réponses possibles : « Je veux ! », « Je pense bien ! », « Je te crois ! », « Je comprends ! », « Tu penses ! », « Tu penses bien ! », « Tu parles ! », « Un peu ! », « Plutôt ! ». On est loin ici d’un simple échange interlocutoire qui réduit la communication à un transfert inerte d’un émetteur à un récepteur. La question posée implique une bifurcation, terme utilisé par Culioli lorsqu’il ne s’agit pas d’une valeur stable, comme ici l’équi-possibilité entre une réponse positive ou négative.
À part ces réponses, il y a également la possibilité de dire : « Moi, satisfait ? », il ne s’agit plus alors d’une réponse assertive, qu’elle soit positive ou négative, mais d’une interrogation rhétorique qui rejette le fait même que « moi, être satisfait » puisse être le cas.
Que l’assertion soit positive ou négative : il fait beau / il ne fait pas beau, Culioli estime qu’elle ne comporte qu’une seule valeur. En revanche, à cette valeur peut être associée une modulation qui indique l’engagement du sujet énonciateur, par exemple : heureusement il fait beau. La valeur positive est alors sélectionnée, et cette valeur peut être modulée par une valuation de l’énonciateur. Il démontre également les conditions sous lesquelles les deux structures suivantes sont possibles : heureusement il a fait très beau et heureusement qu’il a fait très beau. Le marqueur que n’est cependant possible qu’avec une valeur positive. Il enchaîne son argumentation avec l’énoncé : malheureusement il a fait mauvais, en précisant qu’en aucun cas on ne peut avoir : malheureusement que […].
La différence entre une valeur de conformité à un type et une valeur indicible est analysée à partir d’énoncés tels que : Ils ont une voiture, je (ne) te dis que ça ! (renvoi à l’inaccessible) ; ils ont une voiture, je (ne) te dis pas ! (au-delà des mots) ou encore : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. L’auteur précise que dans une assertion en « simplement », un peu équivaut à un certain degré, ni plus, ni moins. En revanche, si la réponse accroît la force prosodique, un peu ne porte pas sur tel terme mais sur l’acte même d’asserter. Il s’agit alors de l’intensité extrême.
Le volume se termine par deux entretiens avec d’autres linguistes : le premier avec Dominique Ducard, qui interroge Culioli sur les rapports de sa linguistique avec la philosophie. De nombreux philosophes sont cités. Tout d’abord les Stoïciens, mais aussi Wittgenstein, Peirce, Whitehead et d’autres.
Dans le deuxième entretien, Jean-Louis Lebrave et Almuth Grésillon soulignent le fait que les travaux de Culioli « ouvrent des perspectives sur d’autres champs de recherche et intéressent plus généralement les sciences humaines ». L’échange porte sur les voies qui l’ont conduit à la linguistique, sur sa manière de travailler, et sur le rapport de sa conception de la linguistique avec la critique génétique.
Citons enfin quelques titres de ses conférences et entretiens qui témoignent de son attitude à l’égard de la recherche : « Aucun raccourci ne permet d’accéder à la joie de la découverte1 », « Un témoin étonné du langage2 », et « Toute théorie doit être modeste et inquiète3 ».
Ce livre marque, par sa conception du langage, par sa démarche théorique et son ouverture à d’autres champs de recherche, un tournant important dans l’histoire de la linguistique.
Jacqueline Guillemin-Flescher
Université Paris-Diderot
HUMBLEY John, La néologie terminologique, Limoges : Lambert-Lucas, 2018, La Lexicothèque. 472 p. ISBN 978-2-35935-226-9
Le livre de John Humbley (J.H. désormais) comble une lacune dans la mesure où, s’il existe des manuels de terminologie (abondamment cités) et des études terminologiques traitant, directement ou indirectement, de néologie, aucun ouvrage antérieur ne mettait la néologie terminologique au centre de son projet. L’auteur – spécialiste de terminologie, néologie, traduction en langues de spécialité et aussi de bibliographie de la néologie dont il rédige des notices depuis plus d’un quart de siècle, dans Terminologies nouvelles, Les Cahiers du Rifal, puis Neologica successivement – se donne comme objectifs, d’une part, de recenser et décrire les travaux divers, dispersés et pas toujours facilement accessibles, de terminologie dans lesquels la néologie est présente, pour en donner un panorama aussi exhaustif que possible, sans prétendre toutefois en présenter une synthèse, qu’il juge prématurée, et, d’autre part, de tester les concepts présentés dans l’étude de la néologie rétrospective de trois domaines qu’il connaît bien : la naissance, au XIXe s., de la reproduction sonore, puis la nouvelle économie et le commerce électronique qui ont émergé à la fin du XXe s. Le nombre de pages de la bibliographie (44 pour environ 700 références) et celui de l’index des auteurs cités (11 pour environ 400 auteurs, cités au moins une fois et jusqu’à plus de quarante) montre l’ampleur de la tâche accomplie, portant ainsi à la connaissance des linguistes néologues, terminologues et autres personnes intéressées des études et des réflexions originales qui permettent de comprendre les enjeux, les intérêts, les difficultés, la diversité des approches, qui s’ignorent souvent.
Nombre d’études terminologiques adoptent un point de vue sémasiologique et synchronique, avec une lecture abusivement simplificatrice sur ce dernier point de la théorie générale wüstérienne, regrette l’auteur, qui plaide aussi pour une approche diachronique – puisque la néologie et l’innovation s’inscrivent nécessairement dans le temps – et onomasiologique, qui documente les circonstances de la création en s’interrogeant sur l’identité du créateur, la situation dans laquelle le néologisme survient, les définitions qui en sont données et les raisons, parfois explicitées, du choix de la dénomination proposée. C’est cette méthode qui sera mise en œuvre dans les trois études des chapitres 8 et 12 indiquées ci-dessus.
Les trois premiers chapitres situent la problématique de la néologie terminologique dans le temps. Le chap. 1 montre les variations d’intérêt qu’elle a suscitées, de la désaffection à un regain d’intérêt, et les raisons de celles-ci. J. H. pense le moment venu de tout remettre à plat, sans prétendre en présenter une nouvelle théorie du fait de la trop grande disparité des travaux recensés, mais des pistes en ce sens seront exposées et exemplifiées. L’absence d’homogénéité dans la dénomination de l’objet de l’étude est significative du flou du concept étudié : néonymie, créé par Rondeau (1981, mal classé alphabétiquement dans la bibliographie !) et qui n’a pas connu un grand succès, néoterminisme (Rey 1979), terminogénique (Portelance 1987), néoterminologie (Pelletier et van Drom 2009), création terminologique (assez fréquemment), néolexicalisation (Temmerman 2002) alors que les anglophones parlent souvent de term formation. Aurait pu être ajouté dans cette liste l’ULT de Melby (1990 repris par Lerat 1990). Les liens avec les concepts de nomination et dénomination sont notés sans établissement d’une différence entre ces deux termes. S’il est clair que la nomination est un acte, celui d’attribuer un nom à quelque chose, dans une démarche onomasiologique, et la dénomination son résultat qui permet d’utiliser en discours ce nom du fait de cette convention préalablement établie, on peut s’interroger sur ce qu’est / serait un acte de dénomination. Les deux sous-disciplines qui fondent le champ d’étude sont exposées dans le chap. 2 « Prémisses néologiques et terminologiques » où sont exposés leurs insuffisances, leurs points communs et différences ainsi qu’une conception scalaire du néologisme et du terme. Les travaux des « pionniers de la néonymie » présentés dans le chap. 3 montrent que la néologie terminologique a une longue histoire et qu’elle se fonde, dans l’espace francophone du moins, sur une tradition théorique de lexicologie historique qui remonte à Matoré puis Guilbert, Quemada (à la mémoire duquel l’ouvrage est dédié), etc. et sur la pratique, consciente et volontaire, de l’aménagement de la langue.
Trois grandes approches sont distinguées dans les chapitres 4 à 7 : incrémentale, cognitive / métaphorique et discursive, l’auteur plaidant pour un modèle mixte.
La première approche est présentée à travers les travaux du terminologue japonais Kageura et de quelques autres pour lesquels la création de nouveaux termes se fonde sur les termes anciens. Elle se manifeste surtout dans la composition (au sein de laquelle sont incluses certaines formes de dérivation, ce qui peut brouiller un peu les cartes d’un point de vue morphologique), qui est de fait fortement présente dans certains domaines spécialisés, par l’adjonction de nouveaux déterminants à des termes existants (les noms des appareils photos sont donnés en exemple). Différents types de composition sont distingués : patrimoniale, syntagmatique, savante, et ceux qui impliquent des réductions de forme, avec différentes sortes de sigles. J. H. conclut de la présentation fine et détaillée de ce modèle qu’il est surtout descriptif, typologique et ne prend guère en compte le processus de création.
Aussi passe-t-il à l’exposé d’un second modèle, discursif, qui remet en cause le principe de l’acte de nomination volontaire et conscient de la terminologie traditionnelle : un certain nombre de termes émergent comme des « formulations à visées explicatives, argumentatives, éventuellement sans visée dénominative, dont certaines finissent par être retenues comme séquences figées et par la suite incorporées dans le lexique spécialisé » (p. 161). En fait J. H. note que ce processus n’est pas incompatible avec l’acte conscient de création, mais le place dans un autre cadre. Ce modèle s’appuie sur le concept de métaphore grammaticale de Halliday (1995, 1998…) par création de noms qui emballent le sens exprimé d’abord dans des phrases, sur les travaux de Omrod (2001, 2004) et sur l’exploitation de grands corpus (indiquant, par exemple, le contexte d’apparition du terme globalization (au XXe s.) et la diffusion de law of one price qui s’impose au détriment de Law of Indifference dû au créateur du concept, Jevons, au XIXe s.). Ce type de création joue un rôle indéniable et méconnu en néologie terminologique, mais il existe aussi des cas de métasémie.
Les approches cognitivistes s’appuyant sur la métaphore, et aussi, dans une moindre mesure, sur la métonymie (en particulier dans l’utilisation des noms propres, toponymes et surtout anthroponymes) – les deux pouvant co-exister selon J. H., quand la ressemblance porte sur une caractéristique prise comme représentative de l’ensemble en jeu – sont bien connues depuis les travaux de Lakoff et Johnson (1980). L’exposé se fonde sur plusieurs travaux, prioritairement ceux de Temmerman (2000, etc.) – qui a préfacé le livre – qui centre sa réflexion sur le rôle du langage dans la pensée scientifique, en se fondant sur le « modèle cognitif idéalisé nommé m-ICM » qui sous-tend la compréhension des scientifiques. J.H. en fait une présentation adaptée à la problématique de la néologie terminologique, en signalant aussi que ce qui est présenté comme métaphore par les uns est considéré, non sans raison à notre avis, comme extension de sens par d’autres, en particulier dans la théorie continuiste du sens défendu par Nyckees (2006). J. H. fait appel aussi à Salager-Meyer (1990, pour la métaphore descriptive en médecine), Oliveira (2002, 2005), Rossi (2015, qui oppose deux types de métaphores, celles qui sont constitutives d’une théorie et celles qui relèvent de réseaux cohérents, et qui sont insuffisamment différenciées d’après J. H.), etc.
Plus globalement l’analogie est un système de conceptualisation et pas seulement de nomination métaphorique, d’un seul point de vue linguistique, comme le montre l’étude de néologie rétrospective du chap. 8, appliquée à la naissance de la reproduction sonore. C’est par l’analogie, revendiquée explicitement par Scott de Martinville, avec la photographie mise au point peu auparavant que se développent la conceptualisation et la terminologie de l’écriture et de la reproduction du son. Cette étude du domaine complet par J. H. montre l’intérêt des recherches rétrospectives associées à celles concernant l’histoire des sciences – dont les spécialistes se fondent depuis longtemps sur l’évolution de leurs terminologies – du fait du « recul [qui] permet de mieux mettre en perspective les différentes manifestations de l’innovation ». En l’occurrence, seuls phonautographe, paléographe, phonograph, talking machine sont des créations conscientes fortement motivées, les autres termes du domaine (écrire, inscrire, style, pavillon…) sont d’abord employés au sens propre, avec un faible degré de néologicité « confortant ainsi l’hypothèse continuiste ».
L’aménagement de la langue et la néologie officielle occupent une place de choix en néologie terminologique, du moins pour certaines langues et certains pays (particulièrement francophones mais pas exclusivement : les cas d’autres langues sont aussi présentés). Ils constituent l’objet du chap. 9 qui étudie tour à tour le niveau scientifique et le niveau politique. Le premier aspect est illustré par des travaux portant sur les domaines de la chimie (Sager 1990, longuement développé), de la médecine, des bactéries et virus, des allergènes et des corps célestes. L’activité de nomination est alors le fait des scientifiques eux-mêmes qui ont besoin de « pouvoir nommer de manière claire et non ambiguë les nouvelles unités de la science concernée » (p. 238). Près de sept millions de nouvelles compositions chimiques ont dû être nommées dans la seule année 1993 et on estime à l’heure actuelle à quatorze milliards le nombre de composés organiques. Des systèmes de nomination, avec un certain nombre de principes, ont été élaborés, mais ils ont des failles. Cette régulation terminologique est peu décrite dans les manuels, à la différence de celle qui relève des politiques linguistiques. Les réussites et échecs de l’aménagement linguistique (qui a aussi été appelé planification linguistique) sont présentés, pour le domaine francophone, via les travaux de l’OLF (devenu Office québécois de la langue française), des CMT (commissions ministérielles de terminologie, devenues collèges d’experts en France), de publications comme Néologie en marche, avec un certain nombre d’exemples (ordinateur, informatique, logiciel, télématique…). Sont également prises en considération des études d’implantation des termes officiels. Le chapitre se conclut sur un tableau comparatif montrant les différences entre les deux aspects, scientifiques / professionnels et politiques, plus nombreuses que leurs ressemblances.
Le chapitre 10 est consacré à « la néologie et [au] développement terminologique ». J. H. y fait un large tour d’horizon (dont il reconnaît la probable incomplétude, mais il est déjà très vaste, très instructif et inédit) du développement de la terminologie dans des langues autres que les grandes langues véhiculaires, qu’il s’agisse de langues minorées dans des pays développés (catalan, breton, etc.) ou des multiples langues parlées en Afrique et en Asie, en particulier dans des pays en voie de développement. J. H. montre que les études à ce sujet sont parcellaires, disséminées, mal connues à l’exception du cas de l’indonésien décrit précisément par Samuel (2005). J. H. appelle de ses vœux des enquêtes à grande échelle et une collaboration des chercheurs des pays concernés à l’aide de plateformes facilitant les échanges et la diffusion.
Une distinction fondamentale doit être opérée entre la néologie primaire (ou originale ou de création) et la néologie secondaire (dite aussi d’appoint ou de transfert). C’est seulement ou surtout dans celle-ci que la création de termes est consciente et volontaire, alors que ce n’est pas nécessairement le cas dans celle-là. Il s’agit le plus souvent de transfert d’une langue à une autre par emprunt, plus ou moins adapté, par traduction ou par création d’équivalents (calques, composés savants, reconceptualisations…), mais il ne faut pas oublier, trop négligés, des cas de transferts internes dans plusieurs situations. Il y a d’abord la vulgarisation qui met à la portée du grand public des domaines hautement spécialisés dont la terminologie, souvent abondante et complexe, n’est utilisée que par les spécialistes. Moins connue est la terminologie d’interface : transfert qui permet à des professionnels de domaines un peu différents de communiquer entre eux, comme c’est le cas de la chimie (avec un grand nombre de substances différentes) et de la pharmacie (pour la production, commercialisation des médicaments). Enfin, la manière dont des non-spécialistes s’approprient les termes ou les transforment pour communiquer entre eux est aussi à prendre en compte, comme on peut s’en rendre compte dans les blogs ou échanges sur la toile de patients parlant de leur maladie.
Dans l’ultime chapitre traitant de « la néologie dans la terminologie actuelle », J. H. met à l’épreuve les méthodes et concepts exposés dans le livre en étudiant la terminologie de deux domaines qui ont émergé à la fin du XXe siècle : la nouvelle économie et le commerce électronique. J. H. insiste sur la nécessité de disposer de descriptions fiables avant de se lancer dans les analyses. Il préconise une double approche, « de terminologie classique, à orientation conceptuelle et onomasiologique, et de terminologie textuelle, à orientation lexicologique et sémasiologique » ; ce qui permet de « tenir compte à la fois de l’innovation et de son ancrage dans l’ancien » (p. 393).
Il ressort en effet des études des chap. 8 et 12, que plusieurs approches doivent se combiner et que les terminologies de tel ou tel domaine, voire de tel ou tel sous-domaine, recourent de préférence, mais pas nécessairement exclusivement, à telle ou telle manière de créer des termes, incrémentale, métaphorique ou discursive. La prise en compte de l’ensemble de la terminologie d’un domaine étudiée d’un point de vue onomasiologique et rétrospectif, jette une lumière particulièrement pertinente pour la connaissance de la néologie terminologique. Le nombre de travaux présentés clairement, confrontés les uns aux autres, et les perspectives offertes font de ce livre novateur un incontournable pour quiconque travaille en néologie et en terminologie.
Jean-François Sablayrolles
USPC, HTL UMR 7597
POTTIER Bernard, La Sémantique illustrée, Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2018, 78 p. ISBN 978-2-87754-369-9
Comme elle l’avait fait en 2016 avec Robert Martin, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, soucieuse d’honorer la place tenue dans la recherche contemporaine par les membres qu’elle a élus, offre à Bernard Pottier l’occasion de publier une synthèse de ses plus récents travaux. On ne peut que se féliciter de cette décision qui – au-delà même des chercheurs – met en lumière la vitalité de la linguistique au sens le plus strict et exact de ce terme, cette discipline que la dénomination de sciences du langage a contrainte dans bien des cas à être la portion congrue de ce vaste condominium. Robert Martin avait proposé une réflexion approfondie sur les universaux du langage, les concepts universels et la notion de langue universelle. Bernard Pottier développe aujourd’hui la conception d’une sémantique dynamique et topologique qu’il promeut depuis ses premiers travaux de linguistique hispanique et de linguistique générale, dans la même perspective de recherche d’invariants universels. Après, entre autres, « La sémantique en dix leçons et en dix minutes » (Actes du XXIIe Congrès International de Linguistique et de Philologie Romanes, Bruxelles, 1998, Tübingen, Max Niemeyer, vol. 1, p. 169-174), et selon l’humour qui est le sien, Bernard Pottier a choisi pour titre de son ouvrage : La Sémantique illustrée, intitulé qui permet de lire simultanément en lui comment la réflexion sur les principes de la sémantique illustre des mécanismes linguistiques fondamentaux, et pourquoi les illustrations graphiques aident mieux que de longs discours à représenter ces mécanismes. Face à l’asianisme verbeux de la sémiotique, et corollairement de certains travaux de linguistique, Anne Hénault caractérisait la démarche de Bernard Pottier comme celle d’un « tireur à l’arc » ; avec l’atticisme, la densité de pensée et la concision d’expression qui le caractérisent, ce dernier note modestement au terme de sa préface : « Nous espérons avoir atteint la plupart de nos cibles » [p. 8].
L’ouvrage, doté d’une iconographie abondante mais voulue par le projet même et indispensable à son accomplissement, se compose de quatre chapitres tous soucieux d’approfondir les aspects sémiologiques des signes dans leurs relations aux mécanismes cognitifs gouvernant chez l’homme l’exercice de la pensée et celui de son expression verbale. Pour qui veut entrer pleinement dans la richesse du présent ouvrage il est nécessaire de parcourir la carrière de Bernard Pottier depuis l’empreinte originelle laissée sur sa pensée par les enseignements de Gustave Guillaume, de suivre le développement de ses ouvrages fondateurs d’une conception personnelle du langage dans laquelle les influences de Lao-Tseu ou de saint Augustin puis de René Thom ont été retravaillées pour former un socle épistémique d’une rare cohérence. Une vidéo déjà ancienne mais toujours d’actualité en témoigne éloquemment : https://www.youtube.com/watch?v=aE6wZUc6jXQ. Que l’on songe à sa thèse principale de doctorat d’État (dir. Robert-Léon Wagner, 1955) Systématique des éléments de relation. Étude de morpho-syntaxe structurale romane (Klincksieck, 1962), à sa thèse complémentaire de terrain (dir. Ch. Bruneau) portant sur La Cassotte à manche tubulaire. Histoire de l’objet et des noms qui le désignent (P.U.F., 1959) ou à la lumineuse Présentation de la linguistique (Klincksieck, 1967), qui, à l’heure où la linguistique entrait officiellement dans les cursus universitaires français, servit de vade mecum essentiel pour beaucoup de jeunes autodidactes de l’époque, se lit dans ces recherches une manière très personnelle de demander aux langues de révéler ce qu’elles mettent en commun au service de la représentation du monde dont chacune d’elles s’acquitte singulièrement. Une manière de pénétrer aussi les arcanes de la pensée productrice des images mentales que les langues ont pour objet d’exprimer. Le site http://www.bernardpottier.net/ donne à ce sujet toutes les précisions utiles et permet de suivre le développement fécond et varié de cette réflexion sur une période d’une remarquable longévité de plus de sept décennies.
L’introduction, intitulée « La pensée en mouvement : l’image et le texte » [p. 9-18] pose les bases justificatives d’une démarche qui reconnaît à la présentation graphique une puissance d’explicitation bien supérieure à celle du discours traditionnel. En évitant de recourir aux formalismes logiques et algébriques, Bernard Pottier montre au lecteur comment sortir de l’enfermement autotélique de la langue par la voie géométrique : « […] nous tentons des représentations graphiques mettant en évidence les parcours reliant les diverses composantes entrant dans la communication linguistique » (p. 10). Manière puissante de vaincre d’une part le solipsisme des métadiscours de la linguistique et des sciences du langage qui ne peuvent épuiser leur objet avec les outils mêmes qui ont permis de le construire, et de donner d’autre part aux schèmes imagés une réelle pertinence pédagogique. On découvre dans ces premières pages le développement ultime de la réflexion panoramique proposée par l’auteur lors du 16e Congrès International des Linguistes (20-25 juillet 1997) sous l’intitulé « Activités mentales et structures linguistiques » (cf. les Actes de cette manifestation, Pergamon Press, Oxford, 1997), texte réédité récemment dans Texto ! XXIII n°2, 2018 (http://www.revue-texto.net/). Il s’agit essentiellement de montrer que la conceptualisation de l’expérience du monde – aire de recherche pour le linguiste non directement observable – se fonde sur un petit nombre de mécanismes fondamentaux sous-tendant les opérations complexes que les langues mettent en œuvre chacune à leur manière. Contre une tendance spontanée des modes de penser occidentaux qui privilégient un binarisme manichéen réducteur, et dans une perspective de quête assumée d’universaux (p. 18), des graphes morphodynamiques ternaires continus offrent la possibilité de représenter les phénomènes statiques, cinétiques et dynamiques caractéristiques que les langues exposent dans leur structuration sémiologique.
Le second chapitre traite des Sémiologies figuratives et les autres (p. 19-29) et oppose les langues à tradition écrite, dont les signes se composent d’un signifiant graphique, d’un signifiant phonique et d’un signifié, aux langues à écritures figuratives telles que le chinois ou l’égyptien ancien, qui doivent elles aussi composer avec leurs conceptions de la graphie, de la sémie et de la phonie. Bernard Pottier y reprend l’essentiel d’une communication prononcée en 2008 lors du colloque « Image et conception du monde dans les écritures figuratives », dans laquelle, se fondant sur les contributions de spécialistes de langues à écriture figurative, il dégageait de nouveau des constantes (« des ressources communes », p. 29) susceptibles d’être considérées comme universelles au-delà « des spécificités » de chacune des langues (id.). Des monogrammes peuvent être simples ou complexes. Ainsi, aux « idéogrammes » simples du chinois (木 arbre) correspondent les lexies simples des écritures non-figuratives (arbre). Aux « idéogrammes » : 门房 complexes correspondent les lexies complexes (doorman, portier) ; tandis que les « polygrammes », qui sont des composés, font correspondre aux « idéogrammes » composés (木匠 charpentier) les lexies composées de nos langues à écriture alphabétique (hôtel de ville). Il en résulte des possibilités de combinatoire variées entre graphie, phonie et sémie. Une graphie figurative (山 montagne) peut correspondre à une sémie tout « en laissant ouvertes les possibilités de réalisations phoniques » (chinois shām /vs/ japonais yama, p. 20), tandis qu’une lecture phonique d’une graphie peut requérir un sens à déterminer de la part du lecteur. À un certain niveau de généralité, les sémogrammes comme les phonogrammes laissent apparaître des similitudes entre les deux types d’écriture (le cartouche égyptien et la majuscule française, p. 22), ou les deux séries de glyphes maya (p. 23) et le double système de numération arabe ou romain. De même des processus de démotivation peuvent altérer l’iconicité des signes d’une écriture figurative (p. 27) comme peut disparaître progressivement la motivation étymologique dans une écriture figurative (poisson 鱼 en chinois et boutique / apothicaire en français). De sorte « qu’au niveau de la sémiologie générale – conclut Bernard Pottier – on constate, mutatis mutandis, des parallélismes entre les procédés utilisés par les langues à écriture figurative et les langues à écriture syllabique ou alphabétique » (p. 29).
Un troisième chapitre (p. 31-49) – faisant interférer réflexions philosophiques (Héraclite, saint Augustin, Bergson, Merleau-Ponty, Jankelevitch), conceptions grammaticales (Oudin, Maupas, Port-Royal, Restaut, Beauzée, l’Abbé Girard, l’Abbé Sicard), (théorisations linguistiques (Guillaume, Weinrich, Benveniste), et témoignages littéraires (Hugo, Gide, d’Ormesson, Doubrovsky, Gracq) – élabore une conception renouvelée du Présent. En amenant le lecteur à se pencher sur « Les “Mémoires” du présent », Bernard Pottier l’oblige à reconnaître que « le Présent est le cadre obligatoire de nos pensées » (p. 45). L’auteur se donne ici comme premier objectif de suivre « les traces sémiologiques que l’inconscient des groupes sociaux a laissées, au cours des siècles, dans les langues » (p. 31). En accord avec la conception phénoménologique de Merleau-Ponty, Bernard Pottier fait remarquer que pour le linguiste retenant l’expérience humaine, contrairement à l’idée reçue qui veut que le fleuve s’écoule de l’amont vers l’aval, la ligne du temps peut se lire dans deux directions opposées : l’amont et l’aval ne sont que des lieux arbitraires rendus perceptibles par l’instanciation d’un repère spatial défini sur lequel convergent ces deux dimensions. L’idée figurait déjà dans un article de Gustave Guillaume, (« De la double action séparative du présent dans la représentation française du temps », in Mélanges Albert Dauzat, d’Artrey, 1951), qui notait que « dans le présent même, la parcelle de futur (α) opère sa conversion en parcelle de passé (ω) ». Selon un mouvement ascendant, le temps s’écoule donc du passé vers le présent puis l’avenir, soit ! Mais, selon le mouvement descendant inverse, le présent devient le lieu et le moment de transition entre le futur et le passé, entre ce qui est l’à-venir, le sur-venant et le par-venu. La ténuité de cette position rend compte de la difficulté des langues à dire l’instant présent, et de leurs efforts pour tenter de l’élargir au moyen de formes progressives (être en train de, en français, be + ing en anglais, etc.). Dans L’Emploi des temps verbaux en français moderne, Essai de grammaire descriptive (Klincksieck, 1960), Paul Imbs, lui-même guillaumien de la première heure, avait déjà signalé le paradoxe de la notion de présent. À partir de cette conception du présent « comme un pic entre deux asymptotes (ω) et (α) » (p. 33), le passé – acquis irréversible, et le futur – échappant à toute certitude, se donnent dès lors à voir sous des jours asymétriques que les langues s’ingénient à réconcilier et à rendre compatibles. Le futur reste inaccessible à l’homme de parole qui « ne peut être sûr de rien » (p. 45), tandis que le passé ne cesse d’être érodé par l’oubli, ou revivifié par la mémoire comme « l’indélébile proustien ou l’obsession pathologique » (id.). Le passé peut ainsi se rattacher en discours au présent (j’écrivais, j’ai écrit) ou en être totalement détaché et entrer dans l’histoire (j’écrivis), voire être envisagé « mentalement […] à partir de points de vue distribués sur l’échelle du temps » (p. 41) : « Christophe Colomb découvrira l’Amérique (à la fin du siècle) ; découvrait l’Amérique (dix ans plus tard) ; allait (bientôt) découvrir l’Amérique ; se trompe, (et) il découvre l’Amérique ». Tandis que l’avenir reste hypothétique, conditionnel, comme l’exprime la dénomination grammaticale d’un item linguistique oscillant entre représentation d’un temps et expression d’un mode, et qui n’est au fond qu’un improbable futur vu d’un passé régi par le présent de l’énonciateur. Il devient ainsi parfaitement justifié d’envisager le passé comme « le souvenir actuel du temps écoulé » (p. 45), le futur comme « l’attente actuelle du temps à venir » (id.), et le présent comme un simple mode d’être de la temporalité, indifféremment régressif ou progressif, ainsi qu’en témoigne l’interprétation du mot Rêve p. 46-47). Selon que celui-ci se situe dans le sommeil (transfiguration d’éléments du passé) ou dans l’état de veille (élaboration d’images « issues d’un passé reconstruit à partir d’éléments délocalisés et refinalisés »), le Rêve peut indifféremment prendre en charge un re-voir du passé fondé sur les éléments d’un vécu ou un pré-voir de l’avenir sans certitude de son actualisation.
Le dernier chapitre de cet ouvrage, que Bernard Pottier intitule sobrement Le « Figuratif » dans l’étude du langage, constitue une synthèse de ses analyses et de ses réflexions sur l’importance des représentations visuelles dans la compréhension des mécanismes universels mis en œuvre par les langues. L’exemple des pictogrammes en langue dongba de la minorité chinoise Naxi (p. 13 et 53) est à cet égard très suggestif. Portée par des illustrations plus « parlantes » que les mots des discours et des méta-discours, la conception géométrico-topologique de la linguistique que développe Bernard Pottier vise à démontrer la pertinence et la puissance de l’évidence : après avoir observé, regardé, le chercheur est à même de voir, enfin, et de donner à voir. Opposant les modes de raisonnement de mathématiciens tel que Laurent Schwartz – rétif à la « géométrie visuelle » – et René Thom – se reconnaissant, à l’inverse, comme « mathématicien topologue et philosophe catastrophique » (p. 67) –, Bernard Pottier conclut : « On a ou n’a pas le don de voyance » (p. 68). L’exemple des calligrammes illustre parfaitement les multiples problèmes liés en langue à la motivation des signes – que l’on dit pourtant par essence arbitraires. L’auteur remarque ainsi que les onomatopées comme les métaphores offrent dans les domaines phonique et lexico-sémantique des possibilités de figuration auditives (chuchoter, sussurer) ou visuelles (pont, papillon) qui facilitent l’accès à la représentation de leurs contenus. Cet aspect n’est ni négligeable ni négligé par un chercheur qui reconnaît que « le linguiste doit […] être aussi un être de vision et d’imagination » (p. 57), non que ces deux derniers termes ouvrent sans restriction la porte à la « folle du logis » permettant n’importe quelle fantaisie analytique et herméneutique, mais parce que la représentation visuelle des phénomènes linguistiques et les images géométrisées des processus qu’ils mettent en œuvre sont des auxiliaires précieux de compréhension de la polymorphie (p. 51) des mécanismes onomasiologiques et sémasiologiques du langage. Émetteurs et récepteurs de messages ne cessent de se livrer de part et d’autre à des transactions d’images mentales insaisissables – au sens le plus propre du terme – en dehors des possibilités d’expression offertes par les langues. Sur la base, et compte tenu des possibilités offertes par ces dernières, du sens peut être transmis, que régulent des principes logiques eux-mêmes soumis aux lois d’une adaptation permanente à la dynamique interprétative. Dans la perspective guillaumienne du temps opératif, Bernard Pottier introduit ici une distinction capitale entre les représentations géométriques du penser fondées sur le balisage d’un Espace, et celles qui y introduisent supplémentairement la variable Temps. La structure, en tant qu’entité autonome de dépendances internes (Hjelmslev), se referme sur elle-même et ne s’inscrit dans la temporalité que de manière élusive en réduisant cette dernière à l’opposition synchronie /vs/ diachronie : le schéma en tant que figuration (p. 54) est la représentation de cet espace adynamique, par exemple le carré sémiotique de Greimas. Envisager le penser comme un processus dont les langues sont capables de saisir les différentes étapes de développement (naître, vivre, mourir, ou embarquer, être dans une barque, débarquer), implique en revanche de passer à un autre type de figuration, en l’occurrence le schème (p. 55) qui prend en compte la variable Temps et la succession continue des phases qui le constituent. Bernard Pottier se rapproche ainsi des recherches de la linguistique cognitive telles que Langacker (p. 56) en donne l’illustration par l’analyse des verbes Entrer et Donner. Il rejoint aussi la position de Jean-Pierre Desclés qui voit « dans l’analyse formelle des langues naturelles » la pertinence de « l’alternance géométrique/topologique /algébrique-logique » propre aux raisonnements mathématiques (p. 58), tout en mettant pour son compte l’accent sur « l’option géométrique topologique […] car elle parle aux yeux et à l’esprit. » (p. 59). L’idée du trimorphe, introduite en 1979 comme forme simple de représentation des systèmes grammaticaux et des combinatoires lexicales (cf. « Sémantique et topologie » in Festschrift Kurt Baldinger zum 60. Geburtstag. Tübingen, p. 3-10), a été développée dans la série des publications ultérieures de Bernard Pottier, notamment dans Représentations mentales et catégorisations linguistiques (Bibliothèque de l’Information grammaticale, 47. Peeters, Louvain-Paris). Elle repose sur le constat que tout événement donne à voir trois phases de son actualisation : un avant, un pendant, et un après : entrer — être dans — quitter, apparaître — être — disparaître, etc. Ainsi le trimorphe est-il à même de représenter – désigner, dessiner – un schème mental d’expérience doté d’un développement continu ponctué de saillances verbales prototypiques qui introduisent les diverses formes de catastrophes du continu telles que René Thom les a définies (capter, capturer, avoir, tenir, retenir, transmettre, émettre, lâcher, etc.). Il résulte de cette représentation une conception du temps non plus cyclique – circulaire et en quelque sorte carcérale – mais sinusoïdale et dynamique (p. 65) particulièrement apte à rendre compte du déroulé d’événements dont la langue permet en discours de saisir les différentes phases : ne pas croire / se convertir / croire / douter / ne plus croire / retrouver la foi, ou ne pas vouloir / se décider / vouloir / se rétracter / ne plus vouloir / se raviser (p. 66).
La concision de la page ultime de ce chapitre (p. 72) peut aisément servir de conclusion à l’ensemble du volume. Les vingt-six lignes qui la composent récapitulent utilement les points essentiels de ce qui apparaît comme une nouvelle Présentation de la linguistique en ses moyens et ses objectifs généraux. Cinquante ans après un premier essai et le passage du XXe au XXIe siècle, prenant acte des limites et des faillites du modèle structuraliste, Bernard Pottier ose et propose dans ces pages une systématique linguistique novatrice qui substitue définitivement à l’idéologie du modèle structural un modèle de pensée structurelle du langage, gouverné par la puissance du principe d’energeia, dont, depuis Humboldt, la communauté linguistique cherche à délimiter et clarifier le contenu. Cette sémiologie repose sur l’observation de constantes universelles perceptibles autant dans les catégories grammaticales générales que dans les lexiques particuliers propres à chaque langue, lesquels s’avèrent tous assignables à des « modèles relationnels identifiables ». Le trimorphe permet ainsi de visualiser les processus dynamiques conditionnant l’organisation des « mouvements de pensée », et d’envisager à côté des figures de discours, bien connues, et directement observables, des figures de langue sous-jacentes « à vocation universelle » qu’il est loisible d’identifier. La densité d’un tel ouvrage rend difficile d’en exposer toute la richesse immédiate et potentielle, et improbable la perspective d’en épuiser le contenu. En ré-instituant au cœur de la linguistique une sémiologie fondée sur l’expérience des usagers du langage et sur l’observation des dynamiques activant de manière universelle l’acte de penser, Bernard Pottier réconcilie aujourd’hui l’esprit de finesse invoqué par la tradition littéraire et l’esprit de géométrie revendiqué par la tradition scientifique. C’est ainsi que ces deux leurres culturels, trop longtemps opposés par l’humanisme occidental classique, trouvent l’opportunité de nouvelles noces dans cet objet si essentiellement problématique qu’est le langage. Le condominium des sciences du langage, par une telle démonstration, ne peut que mieux s’en porter. Il fallait pour cela une culture profondément nourrie de philosophie, de science, de littérature et d’expérience.
Jacques-Philippe Saint-Gérand
Université de Limoges
SAUSSURE Ferdinand de, Choquant d’harmonie. Dossier du cours de versification française, BGE Ms. fr. 3970/f, donné à l’Université de Genève de 1900 à 1909, et Archives de Saussure, « Cahier Parny », 379/9 – Textes établis et commentés par Francis GANDON, Limoges : Lambert-Lucas, 2017, 376 p. ISBN/EAN 978-2-35935-201-6
« Choquant d’harmonie », sous ce titre paradoxal F. Gandon livre une édition et un commentaire d’un ensemble d’écrits manuscrits de F. de Saussure relatifs à la versification française. Il s’agit en fait de deux ensembles : un dossier d’une soixantaine de feuillets appartenant à l’ancien fonds de manuscrits de F. de Saussure (déposés à la Bibliothèque de Genève dans les années 1950) et un cahier d’une dizaine de feuillets écrits appartenant au nouveau fonds (découvert à la fin des années 1990). F. Gandon a eu raison de réunir ces deux lots de manuscrits. Si l’histoire de leur transmission diverge, ils sont tous deux liés à un cours de versification française que Saussure dispense à l’Université de Genève entre 1900 et 1909 et ils forment l’essentiel des documents relatifs à cette activité qui nous soient parvenus.
Disons-le d’emblée pour prévenir l’éventuelle déception des lecteurs : l’intérêt scientifique de ces documents est limité. F. Gandon admet lui-même le caractère « scolaire » de ces écrits : ils sont liés à un enseignement de versification dont Saussure n’a visiblement pas déterminé le programme et qui ne semble pas avoir suscité chez lui un grand enthousiasme. De fait, l’essentiel des manuscrits consiste en un relevé de vers pour illustrer les différents points de prosodie au programme de son enseignement : les rimes, les diérèses, le e caduc, les hiatus, les inversions… Les parties rédigées sont peu nombreuses et les développements théoriques encore plus rares. Signalons également le caractère hybride et hétérogène des écrits : hybride car ce ne sont pas à proprement parler des notes de cours – les notes dont le professeur se servait pour son enseignement – mais plutôt les notes de recherche préalables à la construction de son cours ; hétérogène car certains développements ne sont pas directement liés à son enseignement : c’est ainsi le cas des diatribes contre certains écrivains et critiques (Bossuet, Pascal, Brunetière). En dépit de leur caractère fragmentaire et composite, ces notes sont, parmi les travaux « de poétique » de Saussure, ceux qui ont suscité le plus intérêt, si on excepte bien sûr les cahiers d’anagrammes. De nombreuses études leur ont déjà été consacrées – F. Gandon en cite quelques-unes p. 23. Choquant d’harmonie, qui s’inscrit à leur suite, est l’étude la plus complète et la plus systématique de ces manuscrits car F. Gandon a pris la peine de transcrire et d’examiner de façon exhaustive l’ensemble du dossier.
Le volume se compose de quatre grandes parties : 1) une édition des textes de Saussure (p. 20-160) ; 2) le commentaire de ces textes par F. Gandon (p. 163-215) ; 3) la reproduction en fac-similé des manuscrits édités (p. 219-318) ; 4) la reproduction fac-similé de trois documents mobilisés dans le commentaire (p. 321-356).
L’édition critique proposée s’appuie sur les principes adoptés par René Amacker, en 2011, pour l’édition des manuscrits dits De l’essence double. La différence est que F. Gandon ne se contente pas de résoudre les abréviations ou de corriger des lapsus calami, il intervient également sur le texte saussurien pour compenser le caractère notationnel des écrits, remplaçant ici un signe d’égalité par un verbe copule, ajoutant là des déterminants omis ou insérant des chevilles verbales pour expliciter la logique qui préside à la topographie des segments écrits : « Ainsi n’a-t-on », « pas plus », « pourtant » (p. 43-44) « voici quelques exemples » (p. 44), « soit » (p. 47)… La présence des fac-similés à fin du volume qui semblait à priori redondante avec l’édition – d’autant plus que les images ne sont pas toujours lisibles – se justifie alors : ils permettent de contrôler ces interventions et d’accéder au texte saussurien sans les insertions de l’éditeur destinées à le normer et à le linéariser. Le texte est accompagné d’un appareil de notes (p. 145-160) qui permettent, entre autres, d’identifier la référence des vers cités par Saussure. L’édition, entre le renvoi à l’apparat critique en bas de page, le renvoi de notes de commentaire après le texte et la confrontation aux fac-similés rejetés à la fin du volume, n’est pas d’un maniement aisé, mais elle rendra des services aux spécialistes. L’index nominum et l’index rerum, en particulier, sont très utiles.
Le commentaire des notes de versification française occupe une cinquantaine de pages. F. Gandon commence par recenser les différents points abordés dans les manuscrits : l’alternance des rimes féminines et masculines, la césure, les diérèses, l’hiatus... Il note que cet enseignement correspond aux éléments attendus d’un cours de versification française, qui figurent comme tels dans les manuels de l’époque. L’intérêt que Saussure porte aux exceptions peut toutefois être vu comme une voie pour échapper au programme normatif qui lui est imposé. Seul point d’originalité, l’attention portée à la question de l’ictus qui ne fait pas partie des notions traditionnelles de versification française. L’expression « théorie de l’ictus » ou « théorie des ictus » qui revient deux fois dans les manuscrits (p. 40 et p. 132) ne doit pas faire illusion : Saussure ne propose pas, à proprement parler, une théorie de l’ictus mais il réfléchit aux tensions entre accent tonique et accent métrique dans le vers français, et spécifiquement les cas où l’accent métrique, qu’il appelle l’ictus, ne correspond pas à la fin de mot. Cette réflexion est menée sur quelques pages à partir de vers français mais aussi allemands. Saussure observe comment la distribution des mots dans le vers permet de déplacer leur accent tonique. Au sujet de cette démarche, F. Gandon propose un rapprochement intéressant avec les travaux contemporains de l’école de Solesmes pour réformer le chant grégorien ou, plus lointainement, avec les tentatives de vers mesurés développés à la Renaissance par Baïf ou Jodelle – et, ajoutons, prolongés à l’époque contemporaine par les essais d’André Markowicz ou de Philippe Brunet dans la traduction de textes antiques. De fait, ce que confirment ces développements sur l’ictus – et spécifiquement la note « Métrique est un compte en partie double » (p. 47) qui, depuis Jules Ronjat, a retenu, à juste titre, l’attention des lecteurs – c’est l’intérêt porté aux questions de métrique verbale qui caractérise tous les travaux de Saussure sur les textes poétiques. Les développements sur l’ictus dans la poésie française se concentrent sur les cas de non-coïncidence entre accent métrique et fin de mots. Ils font échos aux travaux que le linguiste a menés sur la fin de mot chez Homère (qui, en principe, n’y joue aucun rôle métrique) ou aux explications par le « schéma verbal » proposées pour expliquer le vers saturnien (c’est-à-dire à la distribution des unités lexicales, là encore, indifférente, en principe, aux explications quantitatives ou accentuelles généralement avancées pour ce vers). À chaque fois, Saussure observe comment la distribution des mots dans un vers peut entrer en tension avec le principe métrique – qu’il soit quantitatif, accentuel ou syllabique – et y introduire du jeu, ou autrement dit, du rythme.
F. Gandon se penche ensuite sur les jugements esthétiques qui se dégagent des notes : l’éloge du décasyllabe, le mépris pour la rime, le goût pour l’asyndète qui caractérise la poétique de Parny. Il remarque également que Saussure fait l’impasse sur deux courants poétiques : celui des Grands Rhétoriqueurs et celui, qui lui est contemporain, du symbolisme. La dernière partie du commentaire de F. Gandon porte sur la relation des notes de versification avec les recherches menées de façon contemporaine par Saussure : le travail sur les légendes, sur les anagrammes, et l’enseignement de linguistique générale. Remarquant, après d’autres, que les échos et les renvois directs entre ces différents travaux sont très peu nombreux, il conclut à la « stratégie d’évitement » entre ces différentes recherches. En réalité, les notes sur la versification française ne sont pas tellement isolées dès lors que l’on prend en compte les notes sur la comparaison des systèmes de versification qui accompagnent la genèse des anagrammes. Ainsi « le compte en partie double » de la métrique entre « schéma abstrait » et « schéma concret » résonne avec la distinction entre « schéma métrique » et « schéma verbal » qu’on trouve dans les notes sur le saturnien. C’est là que la démarche de Choquant d’harmonie, malgré toute son érudition, touche ses limites : en se concentrant sur les notes de versification française conçues comme un « module », F. Gandon épuise au bout de cinquante pages, et avec des redites (qu’il revendique en préambule), l’intérêt de ces manuscrits. Concluant au caractère effectivement scolaire et normatif de ces notes, il ne peut que regretter que les quelques « échappées théoriques » qu’il a relevées soient à peine esquissées. Mettre en résonnance ces échappées avec les principes épistémologiques développés dans les autres manuscrits sur la versification permet de comprendre la spécificité du regard que Saussure porte sur le vers et dont découle, à sa façon, l’hypothèse des anagrammes.
Pierre-Yves Testenoire
Sorbonne Université – HTL
STANCATI Claudia, Linguistica e classificazione delle scienze, Turin : L’Harmattan Italia, 2018, Logiche sociali. 208 p. ISBN-13 : 9788878923416
Quelle est la place occupée par les savoirs sur le langage et en particulier par la linguistique dans le cadre général des sciences et des sciences humaines ? Comment cette disposition change-t-elle au fil du temps ? Ces questions constituent l’arrière-plan du livre de Claudia Stancati intitulé Linguistica e classificazione delle scienze. L’ouvrage découle des intérêts théoriques de l’auteure pour le statut épistémologique de la réflexion sur le langage. Stancati suit l’évolution de la linguistique pour ce qui concerne sa constitution en tant que discipline autonome, dans le cadre plus général de la classification des sciences. Au début de l’ouvrage, Stancati propose que l’analyse de la structure topologique des sciences offre la possibilité d’identifier les relations entre les zones frontalières, les zones voisines, auxquelles peuvent correspondre des contextes théoriques et méthodologiques communs. La disposition des savoirs sur le langage, et son développement diachronique au sein de la classe plus générale des sciences, permettent ainsi de mettre en lumière les grands thèmes qui ont caractérisé l’histoire des idées linguistiques. Parmi ces thèmes, Stancati donne en exemple les relations entre nature et culture, entre individuel et social, entre oralité et écriture.
Lungi dall’essere un esercizio estrinseco, il disegno architettonico dei rapporti e delle divisioni tra le scienze esprime divergenze teoriche di capitale importanza sul piano epistemologico ed ontologico (p. 12)
L’auteure s’occupe de la période allant du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, qui s’achève avec les travaux de Ferdinand de Saussure et de l’école linguistique de Genève (Charles Bally, Henri Frei et Albert Sechehaye). Le choix de la coupure temporelle a une raison claire : à partir du XVIIIe siècle, il y a en fait une institutionnalisation de la connaissance, la compilation de grandes œuvres encyclopédiques et la diffusion du terme linguistique dans de nombreuses langues. C’est le cas de l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éditée par Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert entre 1751 et 1772, et de l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke (chapitre 1). La connaissance linguistique est toujours décrite d’un point de vue général : elle n’a pas de correspondance lexicale ni de disposition topologique précise. La division entre sciences naturelles et sciences humaines et sociales n’y apparaît pas encore. Entre la deuxième moitié du XVIIIe et le début du XIXe siècle, le terme linguistique se répand (chapitre 2) avec un changement progressif des espaces et des relations internes dans le domaine de la connaissance. La naissance des sciences nouvelles détermine une reconfiguration des frontières entre les disciplines, entraînant un changement de l’espace topologique dans lequel la connaissance est articulée. La linguistique tend à se séparer de la philosophie et de la philologie qui, en Allemagne, avaient assumé le rôle de « science pilote ».
En Allemagne, les études linguistiques se développent dans un horizon historique et philosophique (Wilhelm von Humboldt, Franz Bopp), tandis qu’en Grande-Bretagne, elles relèvent des sciences de la nature (Friedrich Max Müller).
Au XIXe siècle, le thème de la classification scientifique continue d’influencer le débat européen. La linguistique n’a pas trouvé d’espace d’autonomie chez Auguste Comte : ses études sur le langage remontent à la philologie, bien qu’on assiste à l’ouverture d’une enquête positive sur le langage, vu comme institution sociale, entre animalité et humanité, émotion et raison, individualité et socialité (p. 41).
L’intérêt pour la classification des sciences, pour la délimitation des connaissances et des domaines disciplinaires respectifs, se traduit notamment en France par la naissance des instituts de culture et de formation. Ces nouvelles institutions sont encadrées par les universités, même si leurs caractéristiques sont différentes. Au cours du XIXe siècle, apparaîtront d’autres associations culturelles, des sociétés scientifiques, de nouvelles revues et d’importantes institutions d’enseignement supérieur, telles que l’EPHE.
Le XIXe siècle se caractérise également par l’émergence d’une perspective épistémologique et par la consolidation des sciences humaines et sociales (chapitre 3). Pour cette période, Stancati résume les positions d’Antoine Augustin Cournot, d’Edmond Goblot, de Raoul de La Grasserie et d’Henri-Adrien Naville. À partir de l’examen des différentes classifications, la linguistique et son environnement, constitués de disciplines s’intéressant au langage, sont configurés comme « une galaxie d’éléments multiformes et d’hétéroclite ».
Emergono in controluce, proprio dalla loro difficile collocazione, quei problemi che la linguistica come scienza teorica si troverà ad affrontare: il problema del rapporto con la filologia e il nodo di oralità e scrittura, il problema del rapporto tra i fondamenti biologici, quelli psicologici del linguaggio e gli aspetti storico-sociali delle lingue, il problema del rapporto con la stessa sociologia come scienza generale (p. 85).
L’auteure aborde cette complexité, qui caractérise le panorama plus large des sciences sociales, à travers la notion clé de « point de vue », relative à l’ordre de pertinence avec lequel il est possible de constituer l’objet de la recherche scientifique.
Avec William Dwight Whitney et Michel Bréal (chapitre IV), la linguistique se définit comme un champ de connaissances autonomes dans le cadre, plus large, de la classification des sciences. Ainsi devient centrale l’idée de la langue en tant qu’institution, et donc de la langue en tant que produit de la praxis sociale. L’institutionnalisme marque le rejet du naturalisme : la conception de la langue en tant qu’organisme attribue aux langues une existence absolue, indépendante de la volonté humaine. Le caractère arbitraire et conventionnel du signe sera donc un élément de soutien de la vision culturaliste. En effet, la conception héréditaire des langues, leur potentiel et leur infinie mutabilité, leur caractère historique se fondent sur l’arbitraire. La théorie des institutions enracine la linguistique dans les sciences sociales, ainsi que l’économie et la sociologie. Avec ces auteurs, la linguistique partage des nœuds théoriques fondamentaux : la relation entre l’individu et la société, la constitution de l’objet d’investigation. C’est dans l’horizon philosophique et épistémologique que Stancati situe Ferdinand de Saussure :
[…] lungi dallo smarcarsi da ogni filosofia, è proprio nella filosofia delle scienze che Saussure trova alcune delle sue idee portanti, come quella di un tipo di conoscenza in cui è il punto di vista a determinare l’oggetto (p. 116)
En suivant la perspective philosophique, il est possible d’observer de manière innovante certains des principes cardinaux du saussurisme, tels que l’arbitraire du signe linguistique. Souvent réduit au problème de la dénomination, et donc de la relation conventionnelle entre signe et objet, l’arbitraire radical rend avant tout compte de la condition des sciences sémiologiques : l’absence d’un plan ontologique sur lequel fonder la relation théorie / objet. Cette position anti-substantialiste est à la base du problème fondamental qui accompagne Saussure dans ses réflexions sur la linguistique générale : la détermination des unités et des identités linguistiques, le caractère essentiellement duel du langage, la construction d’une méthode sur laquelle fonder l’objectivité du travail scientifique, la délimitation du champ de pertinence de la linguistique en sémiologie et de celle-ci par rapport aux autres sciences. La notion de valeur, ou de concept mathématique équivalent du quaternion, est au centre de cette idée, que Saussure emprunte au débat économique et sociologique. L’arbitraire radical est le principe par lequel il est possible de rendre compte du dynamisme de systèmes sémiologiques : le langage en est considéré comme le modèle, exposé au changement inconditionnellement sous l’action du temps.
De l’héritage de l’esprit épistémologique saussurien, Stancati présente la seule école de Genève (Bally, Frei et Sechehaye) même si, dans cette perspective, les réflexions de Hjelmslev et de Prieto auraient également trouvé leur place. En fait ils sont, parmi les post-saussuriens, les meilleurs interprètes du problème sémiologique.
Le texte se termine sur le temps présent et précisément sur le débat interne aux sciences cognitives, dans lequel on assiste à une réflexion sur le rôle de la communication (William Croft), de l’intentionnalité collective, en synthèse de la composante culturelle et sociale de la langue.
Malgré sa concision, le texte nous permet d’évaluer les tensions internes aux sciences du langage d’un point de vue épistémologique. Avec son œuvre, Stancati invite le lecteur à approfondir l’histoire des idées linguistiques dans le cadre plus général des sciences.
Matteo Servilio
Laboratorio di Storia delle Idee Linguistiche
Sapienza Università di Roma
COSERIU Eugenio, Introduction à la linguistique, Traduction Xavier Perret, Limoges : Lambert-Lucas, 2018, 136 p. ISBN/EAN 978-2-35935-232-0
Depuis quelques années, l’œuvre d’Eugenio Coseriu suscite un regain d’intérêt en France4, ce dont témoigne précisément la traduction de cet ouvrage, Introduction à la linguistique. Il s’agit d’un ouvrage qui, comme le rappelle le traducteur, X. Perret, a d’abord eu vocation à être un support de cours à destination de ses étudiants. Distribué sous forme ronéotée à partir de 1951, il a été publié au Mexique une première fois en 1981, puis, sous une forme révisée par l’auteur, en Espagne, en 19865, édition de référence utilisée pour la présente traduction. Comme le rappelle en outre l’éditeur espagnol de l’édition traduite, José Pollo, cet ouvrage est également à concevoir comme une introduction aux Leçons de linguistique générale, publiées en 19816, mais non traduites en français à ce jour. En effet, pour être également un ouvrage d’initiation, les Leçons constituent un texte plus dense et plus complexe. L’Introduction, en revanche, bien plus condensée et bien plus directement accessible, n’est pas à proprement parler un « manuel », ainsi que le rappelle le traducteur, mais bien une « présentation-discussion » de l’objet de la linguistique et de ses différentes dimensions. Elle témoigne ainsi de la façon même dont E. Coseriu envisageait l’objet de la linguistique, à savoir l’activité de parler, resituée dans ses dimensions humaines et socio-culturelles. De ce point de vue, cet ouvrage n’est pas seulement une introduction à la linguistique, mais également, et peut-être surtout, une introduction à la pensée d’E. Coseriu, et il possède donc de fait un intérêt historiographique, dans la mesure où se présentent en germes nombre de concepts qui seront développés ensuite par l’auteur.
L’on pourra alors regretter, précisément pour cette raison, que le traducteur n’ait pas livré une édition véritablement critique de l’ouvrage, développant les considérations succinctes tenues dans l’introduction, et qui aurait, par exemple, pu montrer les germes de l’ouvrage Synchronie, diachronie et histoire, le problème du changement linguistique dans le chapitre 7, « Synchronie et diachronie », ou bien montrer en quoi est préfigurée, en divers endroits, l’opposition du système, de la norme et de la parole, fondamentale dans l’œuvre ultérieure de Coseriu et publiée dès l’année suivant la première version de cette introduction, en 19527.
Par exemple, et illustrant la méthode avec laquelle E. Coseriu procèdera tout au long de l’élaboration de son œuvre, on peut évoquer le cas de la notion de diffusion. E. Coseriu discute d’abord une affirmation d’A. Meillet concernant l’émergence de changement qui surgirait spontanément dans le cadre d’une génération entière (p. 78) et introduit alors les notions d’innovation et de diffusion, celle-là relevant d’un individu particulier et ne conduisant pas encore à un changement linguistique, celle-ci correspondant à un acte finaliste et libre d’adoption, réalisé par d’autres individus parlants. De fait, cette notion de diffusion, définie plus tard comme une série d’adoptions successives, deviendra, à ce titre, centrale dans sa théorie du changement linguistique qui place au premier plan la liberté linguistique de l’individu parlant8. Sans doute cette attention portée à la complexité et à la stratification de la diffusion d’un changement linguistique est-elle due à la discussion plus fondamentale de l’opposition saussurienne langue/parole, et au développement d’une linguistique de la parole9. Plus généralement, une large part de ce chapitre est consacrée à un examen critique des théories ayant vocation à expliquer le changement linguistique et à poser les prémisses de ce qui deviendra sa propre théorie du changement linguistique. En cela, il illustre également la nécessité de resituer toujours l’activité linguistique dans sa réalité ainsi qu’au sein de la communauté linguistique et des paramètres qui la déterminent.
Les choix de traductions, quant à eux, et notamment de ce qui peut correspondre à la terminologie cosérienne, sont globalement en accord avec ce que l’on peut légitimement tenir pour les références, savoir l’ensemble des textes traduits dans le volume L’Homme et son langage (2001), dans la mesure où les traductions ont été revues par l’auteur, ainsi que l’ouvrage de C. Laplace, Théorie du langage et théorie de la traduction, qui propose un « lexique de la terminologie de Coseriu » (1994, p. 261-270)10, lexique avalisé par l’auteur qui était présent au jury de thèse. Peut-être pourrait-on seulement discuter le choix de traduire « acto lingüístico » par « acte de langage », susceptible de générer une certaine ambiguïté en raison du sens spécifique que la pragmatique a donné à cette expression. « Activité linguistique » ou « activité de parler » pouvaient convenir et semblaient peut-être plus en adéquation avec les choix de traduction opérés ailleurs, et notamment dans L’Homme et son langage, mais, dans la mesure où l’un des chapitres s’intitule ainsi et en expose le sens spécifique, cela n’est que mineur.
En l’état, et moyennant ce regret d’une véritable édition critique, l’on ne peut que saluer le travail de traduction accompli et se réjouir de voir ainsi mieux diffusée en langue française l’œuvre de ce linguiste singulier et important pour le XXe siècle que fut E. Coseriu.
Thomas Verjans
Université Toulouse 2-Jean Jaurès
OUVRAGES DE COLLABORATEURS / PUBLICATIONS BY ASSOCIATES*
CANDEL Danielle et NARCY-COMBES Jean-Paul (éd.). Complémentarité des disciplines en linguistique appliquée. Paris : Klincksieck, 2018. ELA, Etudes de linguistique appliquée, n°190, avril-juin 2018. 128 p. EAN13 : 9782252041659
Les présents articles émanent de l’atelier « Complémentarité des disciplines en linguistique appliquée » qui s’est déroulé les 30 et 31 août 2017 au sein du colloque ICHoLS XIV, 28/08 – 1/09/2017, « International Conference on the History of the Language Sciences » (SHESL, Société d’histoire et d’épistémologie des sciences du langage, et HTL, laboratoire CNRS-Université Paris Diderot, avec le soutien des universités Paris Diderot et Paris Sorbonne Nouvelle, du CNRS et du LabEx EFL).
CANDEL Danielle et KIBBEE Douglas (éd.). « La prescription linguistique : applications et réactions ». Paris : Klincksieck, 2018. ELA, Études de linguistique appliquée, n°191, juillet-septembre 2018. 128 p. EAN13 : 9782252041666
La question des « prescriptions », qui rejoint celle des « normes », est un sujet récurrent parmi les préoccupations des linguistes, comme nous avions eu l’occasion de le mentionner dans l’introduction à « Normes linguistiques et terminologiques : conflits d’usages » (Cahiers de lexicologie, Candel & Ledouble éd., 2017) faisant suite au colloque « Normes linguistiques et textuelles : émergence, variations, conflits » (Michèle Monte éd., Toulon, 2015). Nous y rappelions notamment les ouvrages Prescription and Tradition in Language (Tieken-Boon van Ostade & Percy eds., 2017), La représentation de la norme dans les pratiques terminologiques et lexicographiques (Bouchard & Cormier éd., 2002), ou encore Language Legislation and Linguistic Rights (Kibbee ed., 1998), et La qualité de la langue ? Le cas du français (Eloy éd., 1995).
Il se trouve qu’un colloque international fut dédié tout particulièrement au sujet des « prescriptions » les 15 et 16 novembre 2007, organisé par Danielle Candel (HTL, CNRS, UMR 7597), et Douglas Kibbee (University of Illinois at Urbana-Champaign, USA).
Le présent numéro des ELA rassemble une première sélection d’écrits issus de ce colloque « Prescriptions en langue (histoire, succès, limites) ».
BANFIELD Ann. Nouvelles phrases sans parole. Décrire l’inobservé et autres essais. Textes rassemblés, édités et présentés par PATRON Sylvie. Traductions de LALLOT Nicole, MARANDIN Jean-Marie et PATRON Sylvie. Vincennes : Presses universitaires de Vincennes, 2019. Sciences du langage. 304 p. IBSN : 9782842928414
L’ouvrage porte sur ce qu’Ann Banfield appelle les « phrases sans parole » du récit de fiction, au premier rang d’entre elles, les phrases du style indirect libre (phrases qui ne sont dites par aucun locuteur).
Les sept essais rassemblés dans l’ouvrage ont été écrits et/ou publiés après la publication de Unspeakable Sentences : Narration and Representation in the Language of Fictionem (1982), traduit en français sous le titre Phrases sans parole en 1995 (Éditions du Seuil). Ils en reprennent les cadres théoriques et en prolongent les analyses dans d’autres contextes, où elles acquièrent d’autres usages, d’autres fonctions et d’autres valeurs.
JOSEPH John et VELMEZOVA Ekaterina (éd.). Cahiers de l’ILSL, N°57 : Le Cours de linguistique générale : réception, diffusion, traduction, Lausanne : décembre 2018.
Dans ce recueil sont publiées plusieurs contributions présentées lors de deux colloques organisés en 2016 et en 2017, à Lausanne et à Genève, pour le centenaire de la sortie du livre qui a considérablement marqué l’histoire des sciences humaines durant le XXe siècle et dont l’influence reste toujours très importante pour les spécialistes des sciences humaines dans de nombreux pays. Il s’agit du Cours de linguistique générale, publié en 1916 sous le nom de F. de Saussure. Dans le cadre du colloque genevois, une session fut organisée autour des traductions du Cours ; le recueil contient plusieurs contributions présentées lors de ce colloque et traitant des traductions de ce livre en japonais, allemand, anglais, italien, turc, chinois… Le colloque lausannois a réuni des chercheurs qui ont réfléchi à la réception du Cours en Europe orientale ; cela leur a permis de repenser les modèles de la réception d’un ouvrage académique en tant que telle – ce à quoi la deuxième partie du livre est consacrée.
FARINA Margherita (éd.). Les auteurs syriaques et leur langue. Paris : Geuthner, 2018. Études syriaques, 15. 264 p. SBN 10 : 2705340094
La langue et l’écriture syriaques constituent les marques identitaires les plus fortes, par lesquelles ces diverses communautés se définissent et autour desquelles elles se rassemblent. En même temps, la façon dont la langue syriaque est perçue et traitée au fil du temps et chez les différents auteurs est complexe et variable et nécessite une réflexion. Si certains la décrivent comme « la langue du Paradis », en l’identifiant avec la langue du premier homme, d’autres en soulignent le lien avec le grec, qui était dans l’Antiquité classique et tardive la langue de la culture et du savoir scientifique. C’est sur le modèle de la grammaire, de la rhétorique et de la logique grecques que se fondent les premières œuvres linguistiques syriaques, entre VIe et VIe siècle, et l’influence de ce premier modèle perdura jusqu’au XIIIe siècle.
De fait, l’influence grecque en syriaque dépasse les limites de l’imitation littéraire et concerne à la fois l’orthographe et la structure du lexique et de la syntaxe. Elle se révèle même dans la perception que certains auteurs syriaques avaient de leur langue. Nous avons là un domaine de recherche relativement récent, où l’épigraphie et les études sur le contact linguistique nous offrent des perspectives tout à fait stimulantes.
Avec la conquête islamique, les populations de langue syriaque sont confrontées aussi à la diffusion officielle de la langue arabe. Cette rencontre influe aussi sur la conception par les auteurs syriaques de la grammaire et, à partir du XIe siècle, plusieurs d’entre eux s’inspirent de la théorie linguistique arabe pour structurer leurs traités, tandis que d’autres organisent la résistance. Si, dans le domaine de la syntaxe, l’arabe propose une approche et des catégories qui ont finalement été, au moins partiellement, assimilées par le syriaque, sur d’autres questions fondamentales le syriaque garda plus solidement son identité. Il suffit de rappeler qu’aucun des plus grands grammairiens syriaques du Moyen Âge n’utilise la notion de la racine trilitère dans la description de la conjugaison verbale, ni celle de la dérivation nominale ou verbale.
En dépit de l’importance du sujet pour l’appréhension de la culture syriaque, les études consacrées à l’histoire des sciences du langage sont relativement peu nombreuses. Ce volume se présente comme une première invitation à une approche interdisciplinaire de ce thème majeur, rassemblant les contributions de spécialistes de théorie grammaticale, de rhétorique, de logique, mais aussi de littérature, de linguistique comparée etc.
CISLARU Georgeta et NYCKEES Vincent (dir.). Le partage du sens : approches linguistiques du sens commun. Londres : ISTE éditions, 2019. Les concepts fondateurs de la philosophie du langage. 326 p. ISBN 9781784055417
Parler, écrire, échanger, c’est faire l’expérience d’un partage du sens plus ou moins réussi, mais toujours attendu, sur le fond d’un monde de représentations et de perceptions présumées communes.
Fondées sur des faits linguistiques empiriques circonscrits et des problématiques clairement définies, les études ici rassemblées analysent les mécanismes, régularités, stratégies qui sous-tendent ou affectent une telle expérience. En examinant des données issues de champs divers (interaction, discours, variation, etc.) dans leur relation avec la notion complexe de sens commun, l’ouvrage montre combien la question du partage du sens renouvelle le regard porté sur l’intercompréhension linguistique. Celle-ci n’est plus considérée dans cette perspective comme un postulat soustrait à tout questionnement, mais comme le produit d’une dynamique entre interlocuteurs mobilisant un commun plus ou moins stabilisé, voire parfois problématique.
Le partage du sens apporte ainsi sa contribution à une modélisation opératoire de l’intercompréhension dans les langues.
LAHAUSSOIS Aimée et VUILLERMET Marine (eds). Methodological Tools for Linguistic Description and Typology. Honolulu : University of Hawai’i Press, 2019. Language Documentation & Conservation Special Publication, 16.196 p. ISBN 978-0-9973295-5-1
This volume is an outcome of a collaborative multi-year research project on Questionnaires for linguistic description and typology. For the purposes of the project, we use Questionnaire (with a capital Q) as a general term to cover any kind of methodological tool designed to elicit linguistic expressions, including word lists, visual stimuli, descriptive templates, field manuals, and the like. This volume thus brings together articles about written questionnaires and visual stimuli, which due to their epistemological differences are rarely considered together, and treats them as sub-types of the large category of methodological tools that help linguists carry out descriptive and comparative work.
FOURNIER Jean-Marie, LAHAUSSOIS Aimée et RABY Valérie (eds). Grammaticalia. Hommage à Bernard Colombat. Lyon : ENS Éditions, 2019. Langage, 320 p. ISBN-13 : 979-10-362-0085-4
Cet ouvrage présente une collection d’études en histoire de la linguistique en hommage à Bernard Colombat, spécialiste internationalement reconnu des traditions grammaticales latine et française, et maître d’œuvre de nombreux projets numériques et éditoriaux, collectifs et individuels.
Les contributions reflètent les intérêts très divers de Bernard Colombat et sont articulées en quatre grandes thématiques : la catégorisation des mots, les auteurs et œuvres remarquables dans l’histoire de la linguistique, les outils linguistiques (corpus, dictionnaires, bases de données), enfin des études correspondant à des perspectives transversales. Les sources analysées couvrent un empan temporel très large de l’histoire de la linguistique, allant de sources sanskrites, grecques, et latines aux grammaires descriptives modernes, en passant par les traités arabes, les manuscrits médiévaux, et les grammaires de la Renaissance.
Cette grande diversité de thèmes et de sources fait de l’ouvrage une ressource précieuse pour les linguistes non historiens, pour les étudiants abordant pour la première fois ce vaste domaine, et pour un lecteur généraliste : les articles rassemblés témoignent de l’ampleur de la carrière scientifique de Bernard Colombat, et de sa capacité à fédérer des recherches très diverses pour offrir une vision riche et nuancée de la réflexion linguistique à travers les âges.
Outre les traductions suivantes :
E. Coseriu, L’Homme et son langage, Textes réunis par H. Dupuy-Engelhardt, J.-P. Durafour & F. Rastier, Louvain-Paris : Peeters « Bibliothèque de l’Information Grammaticale, n°46, 2001,
E. Coseriu, Sincronía, diacronía e historia. El problema del cambio lingüístico, Madrid, Gredos « Biblíoteca románica hispánica » 1958 (1973), (tr. fr. T. Verjans, Texto ! [en ligne] – 2007),
E. Coseriu, « Vom Primat der Geschichte », Sprachwissenschaft 5 [1980], p. 125-145, trad. fr. S. Verleyen, « Du Primat de l’Histoire », Texto ! [en ligne], vol. xii, n°2 (avril 2007),
on ajoutera notamment le colloque tenu à Aix-en-Provence : Gérard, Gérard & Régis Missire (éds), Eugenio Coseriu aujourd’hui. Linguistique et philosophie du langage, actes du colloque international de 2007, Limoges : Lambert Lucas, 2015.
Les collaborateurs d’HEL sont les membres du laboratoire HTL ainsi que les membres du bureau de la SHESL. Leurs ouvrages ne peuvent donner lieu à compte rendu dans HEL. / Members of the HTL research team and the SHESL board are considered as associates of HEL. Their publications may not be reviewed.
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