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Histoire Épistémologie Langage
Volume 42, Numéro 2, 2020
Genèse, origine, récapitulation. Trần Đức Thảo face aux sciences du langage
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Page(s) | 3 - 5 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/hel/2020024 | |
Publié en ligne | 16 mars 2021 |
Hommage
Andrée Tabouret-Keller
Ce dimanche 20 septembre 2020, Andrée Tabouret-Keller nous a quittés. Née à Mulhouse, le 26 août 1929, elle fait des études en psychologie et biologie, entre comme stagiaire au CNRS en 1958 sur un projet concernant la psychologie du bilinguisme. Psychanalyste en 1964, elle soutiendra en 1969 une thèse d’État, Le bilinguisme de l’enfant avant six ans : étude en milieu alsacien, sous la direction d’André Martinet. Devenue professeur de psychologie à l’université de Strasbourg où elle développera ses activités au Laboratoire de recherches sur les dimensions sociales et les incidences subjectives du langage (LADISIS), créé en 1981. Une unité de recherche dont elle assurera la direction en 1985-1987 et qui, en 1994, sur le thème « Language, the Subject, the Social Link » vs « Langage, sujet, lien social », lui rendra un double hommage dans International Journal of the Sociology of Language (109) et La Linguistique 30 (2).
Elle publiera, dans Enfance, de nombreux travaux sur le développement du langage chez l’enfant en situation de bilinguisme, élargissant vite son horizon vers l’analyse du contact des langues saisi dans toute sa complexité ; privilégiant toujours la recherche sur les incidences psychologiques et sociales comme en témoigne Acts of Identity, ouvrage internationalement reconnu où, en regard de l’étude d’une situation créole, seront présentés ses concepts de projection, focussing et diffusion, montrant ainsi comment et combien l’individu peut être acteur de la construction de sa propre image et de l’élaboration de ses propres normes : « we see speech acts as acts of projection: the speaker is projecting his inner universe, implicitly with the invitation to others to share it, at least insofar as they recognize his language as an accurate symbolization of the world, and to share his attitude towards it ». Des analyses qui préparaient bien des aspects des approches actuelles sur les dynamiques linguistiques et langagières.
Tout ce qui atteste de la vie des langues – et de ceux qui les parlent –, que ce soit au travers d’un groupe ou dans la saisie de la singularité des sujets parlants, sera au centre de ses intérêts : questions sociolinguistiques, constructions identitaires, appréhendées dans le concret et le vécu des individus et des populations. Corrélativement, elle dénoncera les idéologies qui retiennent l’idée de la nocivité du bilinguisme, ce qu’elle illustrera dans Le bilinguisme en procès (1840-1940).
Présidente de la Société internationale de linguistique fonctionnelle (SILF) en 1987, elle succède en 1993 à André Martinet à la présidence du Centre mondial d’information sur l’éducation bilingue (CMIEB) et participe activement à de nombreux comités de lecture de revues : Langage et société, Journal of Language Contact, Éducation et sociétés plurilingues, revue qu’elle a fondée en 1996. Dans le même temps, elle s’impliquera fortement dans des projets d’édition concernant la publication de travaux de Schuchardt dont elle connaissait l’importance et l’originalité de la réflexion sur les langues mixtes et les situations de contact.
De 1998 jusqu’en 2015, elle sera responsable du séminaire « Épistémologie critique et comparative » dans le cadre de la Fondation MSH. Un séminaire qui, partant du constat que « L’homme des sciences de l’homme résulte d’une construction discursive dynamique au sein de laquelle ne manquent ni les inerties, ni les bouleversements », développera une approche pluridisciplinaire (sociologie, anthropologie, histoire…) pour en « préciser à la fois les ancrages théoriques et les points de rupture ».
Andrée Tabouret-Keller aura été non seulement une linguiste internationalement reconnue, mais aussi l’une « des pionnières de la sociolinguistique » en France, défendant infatigablement « la cause des langues et du bi/plurilinguisme dans le monde entier » et, finalement, un exemple d’exigence intellectuelle et de rigueur morale. Ce qu’elle a su exprimer en contrepoint de son activité scientifique, en s’impliquant avec constance dans les combats sociaux et politiques de son siècle. Robert Nicolaï
Quelques références
1969. Le bilinguisme de l’enfant avant six ans : étude en milieu alsacien. Thèse de doctorat d’État. Université de Strasbourg, Strasbourg.
1985 (avec R. B. Le Page). Acts of identity: Creole-based approaches to language and ethnicity. Cambridge : Cambridge Univ. Press (compte rendu par Gabrielle Varro. Langage et société 46, 1988 : 81-86).
1988. Contacts de langues : deux modèles du xixe siècle et leurs rejetons aujourd’hui. Langage et société 43 : 9-22.
1997 (dir.). Le nom des langues I, les enjeux de la nomination des langues. Louvain-la-Neuve : Peeters (compte rendu par Émilie Aussant. HEL 31.2, 2009 : 175-190).
1997 (dir.). La maison du langage : questions de sociolinguistique et de psychologie du langage. Montpellier : Université Paul-Valéry Montpellier III.
2000 (dir.). La maison du langage II, Questions de psychanalyse et de psychologie du langage. Montpellier : Université Paul-Valéry Montpellier III.
2011 Le bilinguisme en procès, cent ans d’errance, 1840-1940. Limoges : Lambert-Lucas.
2011 (avec R. Nicolaï). Hugo Schuchardt. Textes théoriques et de réflexion, 1885-1925. Éd. bilingue. Limoges : Lambert-Lucas (compte rendu par Didier Samain. HEL 35.2, 2013 : 153-157).
Pages web utiles
https://halshs.archives-ouvertes.fr/medihal-01379055 : entretien avec Andrée Tabouret-Keller, 8 juin 2006, Fondation Maison des sciences de l’homme.
https://maitron.fr/spip.php?article172601, notice TABOURET-KELLER Andrée [née KELLER Andrée] par Françoise Olivier-Utard, version mise en ligne le 15 mai 2015, dernière modification le 17 juin 2015.
https://www.idref.fr/034571892 : notice Tabouret-Keller Andrée, dernière modi-fication : 22 septembre 2020.
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