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Numéro
Histoire Epistémologie Langage
Volume 41, Numéro 1, 2019
La linguistique chinoise : influences étrangères entre XIXe et XXe siècles
Page(s) 159 - 177
Section Varia
DOI https://doi.org/10.1051/hel/2019008
Publié en ligne 10 juin 2019

© SHESL/EDP Sciences

1 Les défis du « mind-body problem » et du langage intérieur

Au milieu du xxe siècle, le scepticisme envers le « ghost in the machine » (Ryle 1949) et la volonté de ramener les termes de la psychologie aux comportements observables (Carnap 1932) ont suscité la réaction de nombreux philosophes. Selon certains auteurs, l’existence de deux entités ontologiques différentes ne peut pas être déduite de la différence phénoménologique entre les états mentaux et les états cérébraux (Place 1956). D’autre part, un « explanatory gap » (Levine 1983) rend difficile une explication satisfaisante des interactions entre les états mentaux et le monde physique. Certains ont proposé des théories physicalistes alternatives, comme la « thèse de l’identité » de l’esprit et du cerveau (Place 1956, Smart 1959), la « théorie de l’état central » (Armstrong 1968), ou la « théorie causale de l’esprit » (Lewis 1966) ; tandis que d’autres ont critiqué le matérialisme (Kripke 1971, Nagel 1974), ou ont défendu la thèse fonctionnaliste de la « réalisabilité multiple » des états mentaux vis-à-vis des états cérébraux (Putnam 1967). Le défi majeur qui repose au cœur du débat, c’est le problème de ramener les états mentaux aux états cérébraux, ce que Chalmers (1996) appelle « the hard problem of consciousness ». Dans le travail qui suit, nous essayerons de comprendre dans quelle mesure cette donnée fondamentale de la conscience, qui est le langage intérieur, peut nous aider soit à résoudre certaines des difficultés nées sur le terrain du « mind-body problem », soit à rendre compte des spécificités de la cognition humaine.

Certes, la notion de langage intérieur est largement présente dans l’histoire de la philosophie (voir la bibliographie dans Puech 2001). La définition donnée par Platon de la pensée en tant que dialogue de l’âme avec elle-même (Théétète 189e) a inscrit la question du dialogue intérieur dans le cadre d’une théorie de la connaissance. Cela pose, néanmoins, le problème des limites du dialogue intérieur et de l’autonomie des activités cognitives vis-à-vis du langage intérieur. Notamment, un autre moment déterminant dans l’histoire de la notion a été la distinction stoïcienne entre logos endiathetos et logos prophorikos : les animaux n’auraient que le discours parlé (logos prophorikos), tandis que la possession du discours intérieur (logos endiathetos) peut être attribuée seulement à l’homme1. Cela pose le problème de la nature de ce discours intérieur, ainsi que de ses relations avec les langues historiques. La philosophie semble avoir considéré le langage intérieur soit comme la forme intériorisée du langage extérieur (du sermo interior d’Augustin, qui diffère du verbum cordis, jusqu’à Jakobson 1963, p. 32), soit comme la structure mentale de la pensée (de la tradition médiévale de la grammatica speculativa jusqu’à Fodor 19752). Au fil du temps s’est ainsi constituée une alternative entre deux approches : soit la pensée suppose un processus d’intériorisation des pratiques linguistiques, soit les pratiques linguistiques sont l’extériorisation des structures linguistiques internes de la pensée.

Une entreprise alternative est celle du philosophe français Victor Egger qui, en 1881, a inauguré le traitement expérimental du langage intérieur dans le domaine de la nouvelle psychologie scientifique du XIXe siècle (pour plus de détails voir Carroy 2001, Bergounioux 2001 et Puech 2001). En 1892, le psychologue français Georges Saint-Paul introduit le terme « endophasie », afin de donner un nouveau statut scientifique à la notion. À la même époque, la notion de « flux de conscience » était largement employée autant par le psychologue américain William James que par le philosophe français Henri Bergson, avec lesquels Egger était en contact étroit (Roni 2016). De son côté, Egger a insisté sur le fait que la question du langage intérieur devait gagner son autonomie. Pour cette raison, le langage intérieur ne pouvait pas être subordonné au langage extérieur et son étude ne devait pas concerner la question traditionnelle de la connaissance, mais plutôt l’expérience linguistique du locuteur.

À la lumière de ce débat, il semble que la principale difficulté qu’on rencontre dans l’étude du langage intérieur − et, en même temps, ce qui rend le sujet passionnant − réside dans le caractère contradictoire ou paradoxal du phénomène lui-même. Le langage intérieur se situe dans la confusion entre production et réception d’actes langagiers, entre le locuteur et le récepteur, où le discours muet évoque une voix qui n’a pas été émise et où la dimension sociale interagit avec l’intimité de la vie de la conscience. Depuis le début du siècle, le caractère paradoxal du phénomène a présenté un défi considérable pour les scientifiques, dans la mesure où il s’est soustrait pendant longtemps à l’enquête scientifique et aux critères behavioristes d’observation à une époque dominée par les préjugés antipsychologistes et anti-introspectionnistes3.

On peut observer un tout récent regain d’intérêt pour le sujet, grâce surtout aux progrès méthodologiques de plusieurs techniques d’élicitation et manipulation du phénomène et d’imagerie de ses substrats neuraux (Alderson-Day et Fernyhough 2015). Désormais les scientifiques n’oublient plus que le point de vue objectif en troisième personne ne peut donner qu’une idée très approximative du langage intérieur, puisqu’il s’agit d’une expérience qualitative dont l’étude doit faire appel à l’introspection. On constate aussi une multiplicité d’approches du langage intérieur, et celui-ci figure dans une variété de discours qui relèvent de disciplines parfois très différentes (neuroscientifiques, psychologiques et philosophiques), d’où la richesse sémantique de la notion (Fernyhough 2013). En fait, une pluralité de phénomènes sont appréhendés sous le nom de inner speech (ou covert speech ou covert self-talk, verbal thinking, internal monologue/dialogue, private speech, etc.) : auto-régulation de la cognition et du comportement, expression et régulation des émotions, planification des interactions communicatives, théorie de l’esprit, auto-discrimination, imagination, créativité, mémoire autobiographique, conscience de soi, compréhension de soi, métacognition, lecture, raisonnement logique, auto-motivation pendant les tâches compétitives, verbal self-guidance, réflexion sur l’avenir, raisonnement sur les autres, changement de tâche, etc.

À la lumière de ces difficultés, la définition d’un cadre théorique unitaire devient de plus en plus urgente. Cependant, il ne sera pas possible ici de rendre compte des enjeux théoriques, méthodologiques, historiques et épistémologiques du débat plurimillénaire sur le langage intérieur. Dans les pages qui suivent, nous nous limiterons à l’examen d’un discours particulier, le discours philosophique, et à une tradition particulière, la phénoménologie, en étudiant le cas d’un philosophe qui a reconnu au langage et à son intériorisation un statut central dans la formation de la conscience. Dans les pages qui suivent, nous présenterons au lecteur la réflexion philosophique de Tran Duc Thao (1917-1993) sur le langage intérieur dans ses Recherches sur l’origine du langage et de la conscience (1973).

2 Tran Duc Thao

Thao a été l’un des premiers à avoir contribué à la diffusion de la phénoménologie de Husserl dans la France de l’après-guerre (Neri 1966, Rovatti 1970, Picone 1972, Tomassini 1972, Nardi 1994, Herman 1997, Benoist 2013, Courtine 2013, Feron 2013, Melegari 2014, Melançon 2016)4. Il s’est intéressé également à plusieurs domaines : la psychologie du développement, l’origine du langage, la philosophie de l’histoire et la sémiologie (D’Alonzo 2017). Ses recherches visaient à formuler une théorie matérialiste et dialectique de la conscience qui ne réduise pas cette dernière à un simple produit mécanique du corps (Brouillet 1975). En devenant de plus en plus proche du marxisme-léninisme, son intérêt pour le langage, les activités pratiques de manipulation et la dialectique des relations sociales a augmenté au fil des années, ce qui en fait son point de départ pour mettre en place une théorie non idéaliste de la conscience (Drévillon 1973, François 1974, Trognon 1975, Pochtar 1976, Mininni 1977, Schmitz 1978, Baribeau 1986, Tochahi 2013, D’Alonzo 2016).

Né sur la côte de la Région du Centre septentrional du Vietnam5, en 1936, Thao obtient une bourse du gouverneur général indochinois pour un séjour d’études en France afin de participer au concours d’admission à l’ENS, où il est admis en septembre 19396. En 1940, Thao rencontre Jean Cavaillès, qui l’invite à s’occuper de la phénoménologie husserlienne pour la rédaction de son mémoire d’études supérieures, qui sera en fait consacré à la méthode phénoménologique de Husserl. En 1941, Thao rencontre Merleau-Ponty, alors agrégé préparateur à l’ENS, qui lui indiquera le chemin d’une synthèse entre Hegel, Marx et Husserl (Thao 1991, p. 6). Ensuite, pendant deux séjours de trois semaines entre le 20 janvier et le 10 avril 1944, il est à Louvain pour étudier les manuscrits inédits husserliens conservés auprès des Archives Husserl dirigées à l’époque par Herman van Breda7.

Dans son premier article, « Marxisme et phénoménologie » (1946a), Thao soutient que la notion husserlienne du monde de la vie (Lebenswelt), en tant que monde historique immédiat, constitue le lieu de rencontre entre la transformation des conditions d’existence socio-économique et la lutte idéologique. Une application politique de la tentative de synthèse entre marxisme et phénoménologie se trouve dans l’article « Sur l’Indochine » (1946b) ; d’ailleurs, cet article sera repris et développé dans deux autres articles parus également dans la même revue en 1947 (Thao 1947a et 1947b). En septembre 1948, Thao publie un article intitulé « ‘La phénoménologie de l’esprit’ et son contenu réel », dans lequel il prend un recul critique vis-à-vis des sympathisants de l’existentialisme. Le débat avec les existentialistes atteint son apogée à l’hiver 1949-1950 lorsque Merleau-Ponty organise cinq débats publics entre Sartre et Thao sur le rapport entre la phénoménologie et le marxisme (Thao 1991, p. 6).

À partir de 1947-1948, les efforts théoriques de Thao visent une conception de la genèse de la pensée, des idéalités, des superstructures, comme le résultat du mouvement de la matière qui devient consciente d’elle-même. Selon Thao, le marxisme n’est pas une philosophie de la praxis, un pragmatisme, ni un dévoilement phénoménologique de l’existence matérielle, mais une métaphysique ou une ontologie qui établit l’existence d’une substance unique, la matière, qui est toujours en mouvement, existant avant et indépendamment de tout sujet et dont le sujet est le produit déterminé. Le marxisme se présente donc comme une métaphysique capable de rendre compte du fondement ontologique sur lequel les analyses phénoménologiques de la subjectivité trouvent leur raison d’être. Tel est le contenu essentiel de Phénoménologie et matérialisme dialectique publié par Thao en 1951. De cette façon, Thao a proposé une sorte de tournant matérialiste et historique de la philosophie de la conscience de Husserl.

Dans Phénoménologie et matérialisme dialectique, le naturalisme de Thao a essayé d’interpréter l’origine, le développement et la fonction de la conscience à partir du comportement. Le but de Thao est, cependant, de s’éloigner à la fois du dualisme existentialiste et du physicalisme, c’est-à-dire d’une description purement mécanique du comportement, en réhabilitant la conscience en tant qu’objet d’étude, à la suite des résultats obtenus par les analyses phénoménologiques. Cette stratégie engendrait une double hérésie : une naturalisation de la notion husserlienne de conscience et une subjectivation de la notion de comportement. Pour ce qui concerne ce dernier point, il faut mentionner l’opération culturelle du marxiste Pierre Naville, l’un des premiers promoteurs de la psychologie behavioriste en France, qui, entre 1942 et 1946, publie une série d’ouvrages dans lesquels il cherche à présenter au public français les résultats et méthodes du psychologue américain John B. Watson. Selon cette approche, le domaine d’étude de la psychologie est réductible seulement aux mouvements et comportements observables. Tout ce qui est généralement considéré comme un produit de l’esprit doit être expliqué en termes d’actions et de réactions physiologiques. En d’autres termes, le matérialisme de Naville reprend à La Mettrie le physicalisme de la philosophie française du XVIIIe siècle : « l’homme est une machine biologique » (Naville 1963, p. 313). La conscience, en tant qu’état interne non observable, ne peut pas être objet de recherche scientifique ; ce qui sera confirmé par Henri Piéron dans le Vocabulaire de psychologie en 1951.

Au contraire, selon Thao, nous pouvons déjà observer une forme primordiale de la conscience parmi les organismes les plus simples. Car la conscience n’est rien d’autre que le résultat de l’inhibition d’un comportement donné par un comportement plus sophistiqué : la conscience n’est que l’expérience intérieure d’un acte inhibé8. L’inhibition d’un comportement permet de faire passer l’intention du plan de l’action à celui de l’expérience intérieure. D’ailleurs, selon Thao, la « fonction symbolique » serait un produit de l’inhibition et pourrait être considérée comme un moment important dans l’évolution de la conscience animale. L’intention de l’organisme n’est plus réalisée directement par une action ni simplement ressentie dans le flux interne de la conscience mais communiquée aux autres par le comportement. Thao établit que le langage humain est le résultat de deux conditions. Premièrement, c’est la forme la plus sophistiquée d’une fonction symbolique qui existe déjà chez certains mammifères. Deuxièmement, le langage humain dépend profondément des spécificités propres aux sociétés humaines.

Thao décide de prendre activement part à la lutte nationale contre le retour des troupes françaises au Vietnam et il se rend donc au Vietnam en 1952 (Aubert-Nguyen 2013, Papin 2013 et Thao 2013). En 1956, Thao publie un article en vietnamien consacré au « noyau rationnel » de la dialectique de Hegel, que, par la suite, il traduit en français et publie dans La pensée en 1965. Thao ne cherche plus à sauvegarder les résultats positifs de la phénoménologie husserlienne, comme il l’avait fait dans Phénoménologie et matérialisme dialectique, mais il utilise les concepts de la phénoménologie en leur attribuant un contenu complètement différent et nouveau. Ce projet se concrétisera dans les Recherches de 1973.

Dans les années 1960, il se consacre à la construction d’une sémiologie matérialiste et dialectique, en rupture avec la linguistique structuraliste qui se réclamait de Ferdinand de Saussure (Thao 1974 et 1975 ; voir aussi D’Alonzo 2017). Le « langage de la vie réelle » devient la notion clé du travail de Thao : il s’agit d’un ensemble de signes émanant directement de la vie pratique et de relations concrètes entre les individus et qui structure la conscience des individus, en se situant à l’origine des idéalités (D’Alonzo 2018). D’ailleurs, Thao applique les principes de sa philosophie de la conscience à un problème scientifique concret : l’origine phylogénétique du langage et de la pensée abstraite, à partir du geste de l’indication chez les hominidés, et du développement ontogénétique du langage et de la conscience chez l’enfant (Thao 1973).

3 Le problème de la « conscience » d’un côté à l’autre du rideau de fer

Aujourd’hui, une théorie de la conscience doit répondre à toute une série de questions concernant, entre autres, l’origine matérielle de la pensée, les substrats neuronaux de la conscience dans le cerveau humain, les interactions entre cerveau et esprit, les conditions de possibilité de l’expérience vécue et sa fonction, l’origine du pouvoir référentiel des états mentaux, qui est spécifique à la cognition et qui n’est pas observable dans le cas des objets physiques, la capacité de l’esprit à se référer aux états des choses, la nature des processus cérébraux et physiques et leur possibilité de produire des représentations, les relations causales entre la conscience et le cerveau. D’un point de vue plus général, il faudrait aussi ajouter toute une série de questions philosophiques, qui sous-tendent celle relative à la conscience (une liste exhaustive se trouve dans Velmans 2009, p. 3-4) et qui concernent, entre autres, le choix entre monisme et dualisme ontologique, réalisme ou idéalisme épistémologique, la différence entre connaissance objective et subjective, la possibilité de l’étude scientifique de la conscience.

Ces mêmes problèmes, bien que situés dans un horizon idéologique fort différent, se retrouvent à l’époque de Thao :

Vers la fin des années 50 s’ouvrit en Union soviétique une grande discussion générale, passionnante et passionnée, sur la nature de la conscience. […] Pour établir la méthodologie de la recherche en ce domaine, il serait nécessaire, semble-t-il, de préciser le concept de la conscience à partir des catégories les plus générales du matérialisme dialectique, à savoir la matière et le mouvement. […] La science de la conscience devrait donc, semble-t-il, définir celle-ci comme une certaine forme du mouvement de la matière : par-là elle prendrait place dans la classification générale des sciences, laquelle se confond avec la classification des différentes formes du mouvement de la matière. […] Il reste pourtant que la conscience présente un caractère incontestablement idéal, caractère qui fait justement l’intérêt de son étude, et l’on ne voit pas dans ces conditions comment il serait possible de la réduire à une simple « forme du mouvement de la matière », formule qu’Engels avait justement évitée. (Thao 1974, p. 38)

Il est remarquable que le débat soviétique sur la conscience, auquel Thao fait référence, avait déjà commencé dans les années 1920 (Graham 1987, p. 166). En Russie, le début du xxe siècle a été marqué par le développement rapide de la méthode de Pavlov, anticipée par son maitre Setchenov et ensuite poursuivie par Bechterev, fondé sur l’hypothèse que les phénomènes psychiques peuvent être compris sur la base de preuves rassemblées à l’extérieur du sujet. L’accent mis sur le comportement et le point de vue de la troisième personne impliquait un profond désaccord avec l’approche introspective de nombreuses enquêtes sur l’activité mentale au tournant du siècle (Fechner, Wundt et Titchener). Néanmoins, au début des années 1930, l’approche de Bechterev a peu à peu perdu sa popularité. En fait, les années 1930 sont marquées par les premières œuvres de Vygotsky, Luria, Leontʼev et Rubinštein. Ce groupe de psychologues a proposé une sorte de « nurturism » selon lequel la pensée humaine est principalement influencée par l’environnement social plutôt que par la physiologie.

En mai 1962, une « Conférence de l’Union sur les questions philosophiques relatives à l’activité nerveuse supérieure et à la psychologie » a eu lieu à Moscou (Graham 1987, p. 191). Les partisans de l’approche de Rubinštein ont expliqué que les réflexes pouvaient être compris soit comme mécanismes physiologiques soit comme phénomènes psychiques. Certains spécialistes, tel Fedor Fomich Kalsin, ont plaidé pour une réduction du psychique au physique. Pour d’autres, la pensée était perçue comme un mouvement de matière extrêmement complexe, mais néanmoins un mouvement de matière (N.V. Medvedev, B.M. Kedrov et A.N. Riakin). D’autres auteurs pensent plus radicalement que l’activité psychique elle-même est matérielle et que la conscience doit donc être considérée comme l’effet des processus nerveux (V.M. Arkhipov, I.G. Eroškin). D’autres chercheurs ont nié que l’activité réflexe puisse être identique à l’activité psychique. D’un côté, des scientifiques, tel Nikolai Bernštein et d’autres, ont fait valoir que les physiologistes devaient transcender la notion trop réductrice d’activité réflexe et rechercher d’autres mécanismes physiologiques susceptibles d’expliquer des phénomènes qui concernent l’expérience qualitative des individus. De l’autre côté, des savants tel V.V. Orlov ont affirmé que l’activité psychique en tant qu’activité idéale du cerveau est le sujet de la psychologie.

Si nous observons le débat occidental à la même époque sur les relations corps-esprit, on s’aperçoit que les savants soviétiques et américains partageaient les mêmes préoccupations. En fait, le tournant cognitif de la psychologie américaine, qui commence avec l’article de Miller The Magical Number Seven de 1956, le compte rendu de Verbal Behavior du comportementaliste américain Skinner rédigé par Chomsky en 1959 et le livre de Neisser sur la psychologie cognitive de 1967, est né de l’intention d’inaugurer un programme de recherche capable de décrire et d’expliquer le fonctionnement de l’esprit au-delà du behaviorisme9. Ces similitudes sont parfaitement compréhensibles dès lors que nous nous rappelons les caractéristiques de base qui caractérisent les questions entourant la conscience ainsi que le problème esprit-corps. À vrai dire, la plupart de ces questions ne différaient pas fondamentalement des problèmes posés pendant des siècles par les philosophes depuis la Grèce antique (voir Heinämaa, Lähteenmäki, Remes 2007). Mais il faut tout de même souligner le fait que les préoccupations philosophiques et scientifiques principales au milieu du xxe siècle concernent plutôt la possibilité d’une théorie scientifique de la conscience, d’une psychologie objective de la conscience, ou d’une théorie naturaliste de la conscience, le rôle des mécanismes physiologiques ou neuraux et le type d’organisation de la matière qui donne lieu à la pluralité de phénomènes que nous appelons conscience.

4 La théorie de Thao

Thao a proposé une vaste analyse, à la fois objective et subjective, de l’origine de la conscience. Tout d’abord, il a plaidé pour la dépendance de la conscience, en tant que facteur secondaire par rapport à la matière, qui est l’élément principal. Du point de vue de ce monisme matérialiste, l’esprit et le cerveau, la conscience et le corps partagent le même substrat et il n’y a donc aucune différence ontologique entre l’esprit / conscience et le cerveau. La conscience n’est rien d’autre qu’une capacité émergente du corps, ou une fonction du cerveau. Néanmoins, du point de vue phénoménologique, la conscience semble être quelque chose qui diffère de la matière. Même aujourd’hui, les spécialistes se demandent si la conscience pourrait être véritablement expliquée d’un point de vue matérialiste (Koch 2005). La principale préoccupation est de savoir comment le cerveau pourrait produire une expérience vécue qui semble transcender la matière. De la même manière, la perspective à la troisième personne habituellement utilisée pour décrire des phénomènes matériels tels que le fonctionnement du cerveau semble être inefficace pour décrire l’expérience vécue.

Afin de résoudre ce problème, Thao (1973, p. 13) introduit l’axiome de sa méthode de recherche : « la conscience doit être étudiée tout d’abord dans sa ‘réalité immédiate’ : le langage entendu naturellement en son sens général, comme langage gestuel et langage verbal ». Le langage est la manifestation visible et immédiate de la conscience. Toutefois, ce point soulève une question d’ordre logique et génétique :

La conscience suppose le langage et le langage la conscience. Il faut donc commencer par poser le problème à partir d’une signification absolument originaire, apparue objectivement dans le langage de la vie réelle antérieurement à toute conscience en général, et dont la subjectivation permet précisément de définir la conscience la plus originaire. (1973, p. 39)

Au niveau proprement humain de l’homme adulte, la conscience est déjà constituée et donc les significations dépendent de l’existence de cette dernière. Cependant, du point de vue génétique (au cours de la phylogenèse ainsi que de l’ontogénèse), il y a une signification originaire qui sera la condition préalable de la conscience. Comme on le verra bientôt, Thao va éclaircir cette signification absolument originaire à partir du geste de l’indication.

La conscience originaire n’est qu’un produit du langage qui la précède. Cependant, Thao a une vision tout à fait particulière de ce qu’est le langage. Il introduit la notion de « langage de la vie réelle » afin de définir le comportement matériel qui constitue l’expression immédiate de l’activité matérielle et des relations matérielles des hommes. Le langage de la vie réelle est constitué par des significations objectives et irréfléchies que les sujets communiquent entre eux. Tout d’abord, ceci veut dire que « le langage de la vie réelle est donc antérieur à la conscience » (1973, p. 35). Et, deuxièmement, la conscience n’est donc que le produit de l’appropriation d’un comportement d’origine sociale et partagée. D’où la conclusion de Thao (1973, p. 35) : « cette signification [la signification objective du langage de la vie réelle] devient subjective quand le sujet se l’exprime à lui-même, dans le langage intérieur ou la conscience ». La conscience coïncide donc avec le langage intérieur : elle est la subjectivation des pratiques langagières. En outre, les activités, ainsi que les contenus de la conscience sont le reflet des significations du langage de la vie réelle.

Or, l’objectif de Thao est de rendre compte de la naissance des contenus les plus élémentaires sur lesquels portent l’expérience subjective et la vie intérieure. Thao appelle l’expérience subjective ou vécue « conscience ». Selon Thao, la conscience présente deux caractéristiques distinctives : i) elle est consciente : l’expérience subjective ou vécue doit être considérée comme l’expérience intérieure de l’individu et doit être décrite du point de vue interne − ce que Descartes avait déjà suggéré dans ses Méditations ; ii) elle est intentionnelle : l’expérience vécue fait référence à un contenu donné (états et processus mentaux, choses, propriétés et états de choses, concepts, etc.) − comme cela avait déjà été affirmé par Brentano. Ainsi, simultanément, l’expérience vécue est conscience de l’objet et conscience de soi10.

Thao analyse la forme la plus élémentaire, mais aussi la plus fondamentale, de la conscience. Elle serait engendrée par le geste de l’indication : « ce n’est qu’à partir de la forme objective de l’indication déjà acquise que va se constituer la forme subjective, qui définit le premier rapport intentionnel du sujet à l’objet, comme conscience originaire de l’objet » (Thao 1973, p. 18). Pour rendre compte du caractère intentionnel des contenus de la conscience, Thao enracine la conscience dans le geste de l’indication en tant qu’activité intentionnelle qui saisit l’objet comme externe et digne d’intérêt. Thao montre ainsi que, d’un côté, l’acte intentionnel n’est rien d’autre que le corrélat psychique intériorisé (forme subjective) du geste de l’indication dans sa forme objective ; de l’autre, le contenu psychique (ou « image idéale ») correspond à la chose indiquée par le geste (ou « image tendancielle ») :

Au moment de la naissance de la conscience, l’idéalisation du geste signifiant constitue un progrès décisif qui permet de détacher la signification signifiée de la réalité matérielle de ce geste lui-même. Autrement dit, l’image tendancielle du mouvement vers l’objet, qui définit la signification tendancielle du geste réel de l’indication, devient image idéale, ou signification idéale, projetée par l’acte idéal ou acte intentionnel de l’indication vécue. (Thao 1973, p. 44)

Thao distingue donc une intentionnalité réelle (le geste de l’indication) et une intentionnalité idéale (intériorisation de la première). C’est ainsi que Thao critique le rapport « noético-noématique » qui est au cœur de la description husserlienne de l’intentionnalité (Husserl 1952, §§ 87-96). D’après Husserl, la noèse (ou morphé intentionnelle, l’acte intentionnel) est l’acte par lequel la conscience interprète les sensations (ou hylé sensible) comme des manifestations du même objet. En ce sens, l’objet est le noème (objet intentionné), une unité de sens, l’objet en tant que compris, résultant d’opérations constitutives de la conscience. Ce que Thao souligne, c’est que, pour Husserl, le noème ne serait pas l’image de l’objet réel qui existerait en dehors du sujet connaissant et avec lequel le sujet connaissant entrera dans une relation pratique avant toute expérience intentionnelle. Au contraire, Thao revendique le rapport réel du sujet à l’objet, qui existe en dehors de la conscience et qui est donné dans l’acte sémiotique de l’indication : « l’intentionnalité réelle de la conscience, atteint effectivement le monde extérieur lui-même comme réalité objective à travers son image sensible subjective, et non pas, comme le croit l’idéalisme, cette simple image subjective ou immanente » (Thao 1975, p. 25). Pour cette raison, « la réflexion intérieure de la conscience sur elle-même ne peut que fausser systématiquement, par sa propre démarche intrinsèque, l’expérience vécue de la conscience » (Thao 1975, p. 24).

Une fois que le sujet s’indique l’objet à lui-même surgit la conscience soit en tant que conscience de l’objet soit en tant que conscience de soi :

Or c’est cette dialectique même, où la réciprocité du signe s’absorbe dans la forme de l’identité [= le sujet qui s’indique l’objet à lui-même], qui engendre la structure du vécu où se constitue le rapport à soi comme conscience. La conscience se présente identiquement comme conscience de l’objet et conscience de soi. Comme conscience de l’objet, elle est image de l’objet posé comme extérieur à elle. Comme conscience de soi, elle est image de cette image ou image d’elle-même en elle-même. (Thao 1973, p. 25)

Or, la distinction entre forme subjective et forme objective du geste de l’indication permet à Thao d’introduire le langage intérieur afin d’expliquer comment la relation sémiotique à « la chose » s’intériorise, en produisant comme résultat la conscience et ses contenus idéaux. En effet, « la conscience doit donc se définir plus précisément comme la forme idéalisée du mouvement du langage intérieur » (Thao 1973, p. 56). Comme Thao avait le but (peut-être impossible à réaliser) de réconcilier les dimensions transcendantale et empirique de la cognition humaine, le geste de l’indication lui apparut comme un moyen efficace dont la fonction était de rendre compte de l’universalité de l’intentionnalité, et donc de la pensée, puisqu’il s’agit d’un signe qui existerait dans n’importe quelle langue, sans pour autant renoncer à reconnaître la diversité empirique des langues particulières, avec la matérialité de leur appareil sémiotique et leur histoire, comme condition de la pensée.

Or, la conscience est une forme particulière de comportement linguistique : il s’agit du langage intérieur, de l’intériorisation du « langage de la vie réelle » et des interactions linguistiques de la vie quotidienne. En fait, le passage de la signification objective à la signification subjective passe par le mouvement du dialogue intérieur en tant que forme intériorisée des interactions réelles avec autrui : le sujet « s’indique l’objet à lui-même à partir des autres avec lesquels il s’identifie » (Thao 1973, p. 25). Le langage intérieur devient donc la médiation entre la vie du corps et la vie de la conscience, entre la dimension objective et la subjectivité, entre la vie sociale et l’intimité de la conscience, les activités pratiques et la pensée.

Par ailleurs, c’est ainsi que Thao nous explique comment le langage de la vie réelle transforme la conscience en un fait social. Il ne faut pas oublier, en fait, que le geste de l’indication, comme toute forme de langage, a tout d’abord une fonction sociale, et dans le cas du geste de l’indication, il s’agit d’un acte de « guidage ». Cela veut dire que ce geste implique une structure sémiotique triangulaire composée de deux, voire plus, interlocuteurs et un objet. Pour cette raison, la performance du geste se place à l’intérieur de ce que Thao appelle « le rapport de réciprocité » : « les travailleurs s’appellent à l’objet du travail par le geste et la voix, et chacun se voit lui-même dans les autres comme dans un miroir et s’entend lui-même dans les autres comme dans un écho » (Thao 1973, p. 23)11. L’intériorisation du geste de l’indication ne produit pas seulement la subjectivation et l’idéalisation de la relation à l’objet, mais aussi la subjectivation de la relation à autrui :

Le sujet s’adresse à lui-même essentiellement à partir de l’image de son propre groupe social, mais il enveloppe en même temps les autres groupes, et il a l’écho de son langage intérieur sous des formes diverses dans l’image stylisée des divers groupes de son milieu social en général. Il se reconnaît lui-même dans l’image des autres sous une forme identifiée, modifiée, oppositionnelle ou antagoniste, selon qu’il s’agit de son propre groupe ou de groupes différents, amis ou ennemis. Le vécu se constitue ainsi comme une unité dialectique singulière de différences et de contradictions, qui traduisent dans la subjectivité de la conscience individuelle, évidemment avec diverses erreurs et confusions possibles, le mouvement réel des différenciations et contradictions sociales. (1973, p. 52)

Nous conceptualisons notre existence et prenons conscience de nous-même dans le langage intérieur. Or, ce dernier n’est que la forme intériorisée du langage de la vie réelle qui, en tant qu’expression immédiate de la vie pratique et des conditionnements historico-sociaux, véhicule les significations et les formes de pensée qui naissent en dehors et avant toute forme de conscience. C’est pourquoi notre conscience ne serait rien d’autre que la conscience des significations véhiculées par le langage de la vie réelle et notre propre expérience du monde et de nous-même sera orientée par la vie sociale. Autrement dit, le langage intérieur a un caractère public et la conscience elle-même n’est qu’un produit historico-social.

D’ailleurs, Thao est aussi soucieux d’expliquer l’origine de certaines pathologies du langage intimement liées au langage intérieur. Il admet le cas que « la confusion entre l’acte signifiant du sujet avec l’image d’autrui » peut atteindre un degré d’intensité tel qu’elle produit des hallucinations, « où le sujet croit entendre des voix ou voir des gestes qui lui seraient adressés par une autre personne » (1973, p. 43). Thao ajoute qu’on observe le même phénomène « chez l’enfant qui joue tout seul avec lui-même, et il est tout à fait normal chez l’adulte dans l’état de rêve » (1973, p. 43).

Thao n’oublie pas le rôle joué par le corps dans la formation de la conscience. Selon Thao (1973, p. 47-50), la conscience ne peut être séparée du mouvement matériel dont elle est issue, comme une figure émergeant d’un fond. « La composante matérielle reste toujours présente […] », nous dit Thao (1973, p. 32), puisque le signe dans sa matérialité avec tous les mouvements du corps qui servent sa production restent présent sous forme d’esquisse. Or, le signe linguistique n’unit plus, comme c’était le cas chez Saussure, un concept et une image acoustique, puisque la langue ne peut pas être placée sur le pur plan idéal de la conscience et donc séparée complètement de l’activité matérielle des hommes. Deuxièmement, « on ne peut pas séparer le langage intérieur, à titre de pure opération idéale, des mouvements réels plus ou moins esquissés, de la voix et du geste » (Thao 1975, p. 25).

Toutefois, il faudrait souligner qu’une description de l’activité neurale ne suffirait pas à rendre compte de l’origine de la conscience. La théorie matérialiste de la conscience de Thao nous conduit à penser la matérialité de la conscience non pas simplement comme son substrat neuronal, mais plutôt comme la matière du signe linguistique, ou « matière sociale », c’est-à-dire « l’ensemble des actes signifiants, gestes et voix, dans la structure de la réciprocité » (Thao 1973, p. 51). Par ailleurs, nous pouvons rendre compte de la spécificité phénoménologique de la conscience à partir de la matière linguistique et, notamment, de l’intériorisation de la structure dialogique du langage : la conscience n’est que la forme idéale du mouvement du langage intérieur, avec le système de gestes et de sons qui le soutient, l’image intériorisée des relations sociales et les significations objectives de la vie réelle. C’est ainsi que la conscience « se détache du mouvement matériel qui l’engendre » sans pour autant être séparée « de ce mouvement matériel » (Thao 1973, p. 53).

5 En guise de conclusion

Nous pouvons constater que le grand mérite de Thao fut de sémiotiser l’intentionnalité en rompant avec l’intellectualisme phénoménologique et en plaçant l’étude de la conscience dans la psychologie et la sociologie. Selon Thao, la caractéristique fondamentale de la conscience, c’est-à-dire l’intentionnalité, est liée à une spécificité du langage. Autrement dit, la nature référentielle ou sémantique des contenus conscients est une propriété dérivée enracinée dans la nature du langage. D’ailleurs, la proposition de Thao parvient à équilibrer la spécificité phénoménologique de l’expérience vécue avec un matérialisme non réductionniste. Pour cette raison, la proposition de Thao n’a rien perdu de sa valeur théorique et peut encore aujourd’hui servir d’inspiration à beaucoup de philosophes de l’esprit.

La question de l’origine matérielle de la conscience a été largement traitée dans l’œuvre de Marx et Engels (1962, p. 136 ; id., 1957, p. 32 et p. 354). En particulier, dans l’Idéologie allemande, Marx nous donne une définition de ce qu’est la conscience très utile à nos buts : le langage est la conscience réelle et pratique, le langage est aussi vieux que la conscience, la conscience est dès le début un produit social et le reste aussi longtemps que les hommes existent (1958, p. 30). Cette affirmation de Marx nous permet d’inscrire la théorie de Thao dans une constellation d’auteurs et dans une tradition linguistique dont la richesse est à notre avis encore à exploiter, notamment en philosophie de l’esprit12.

Dans cette constellation il faut mentionner la psychologie d’orientation sociologique de Vygotsky qui, dès les années 1930, attirait l’attention sur le rapport entre le langage et la pensée, ainsi que sur l’influence des relations sociales dans la formation de la conscience. La déclinaison sémiologique attribuée à l’approche culturaliste rend la position de Thao similaire aussi à celle proposée par Marxisme et philosophie du langage (1929) de Voloshinov ou, selon certains, de Bakhtine ou de son cercle13. Au-delà des différences entre les projets théoriques de Thao et celui de l’auteur de Marxisme et philosophie du langage, sur lesquelles nous ne pouvons pas nous attarder ici, les points de contact entre les deux sont nombreux14.

La théorie du langage intérieur proposée par Thao et les contributions de cette constellation d’auteurs (qui peut être enrichie) ouvrent une piste pour penser la façon dont le langage reconfigure la cognition humaine15. La pensée n’est donc pas le reflet de la cognition individuelle mais plutôt des conditionnements socio-historiques. Dans ce cadre théorique, le langage n’est pas un vêtement de la pensée mais une matrice ou une ressource cognitive qui permet la construction des connaissances ainsi que la coordination des activités humaines. De ce point de vue, le langage intérieur, en tant que mémorisation d’actions linguistiques, reconfigurerait la cognition selon deux fonctions du langage, celle qui nous permet une compréhension du monde (ou visée du réel) et celle qui nous permet de nous rapporter à autrui. D’un côté, l’intentionnalité des états mentaux serait dérivée par rapport à l’intentionnalité du langage ; et de l’autre, la fonction pragmatique serait indissociable de la fonction référentielle même dans l’intériorité de l’expérience vécue.

La valeur de Thao en philosophie de l’esprit est indéniable, étant donné le rôle joué par le langage de la vie réelle et par le langage intérieur dans sa théorie. Cependant, l’une des principales limites du projet de Thao est le fait que le langage intérieur est étudié dans les limites étroites d’une théorie de la connaissance. Si d’une part, le plus grand mérite de Thao semble avoir été de sémiotiser la conscience, d’autre part, la richesse de la connaissance humaine est réduite au langage intérieur et celui-ci à la pensée propositionnelle. De cette façon, nous perdons la richesse du langage intérieur qui a retenu l’attention des scientifiques ces dernières années et qui était au cœur de la psychologie française de la fin du XIXe siècle. En outre, le processus d’idéalisation du contenu de l’expérience vécue décrit par Thao n’est pas très clair, bien que suggestif, peut-être en raison d’une trop forte dépendance de Thao vis-à-vis d’une théorie de l’image. Ce dernier point mériterait une étude plus précise que nous ne pouvons malheureusement pas développer ici.

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1

Le texte le plus célèbre dans lequel cette distinction est introduite est Sextus Empiricus, Adversus Mathematicos 8.275.6 = SVF 2.223. La distinction était déjà présente dans Platon, Sophiste (263e3-8) et trouvera une large utilisation dans de nombreuses autres écoles de l’Antiquité : voir Panaccio 1999, p. 36-52 et Chiesa 1991, p. 314-320.

2

Voir Panaccio 1992.

3

Pour Watson (1930), la pensée n’est rien d’autre qu’une conversation avec nous-mêmes, car les habitudes musculaires apprises lors de la mise en œuvre du langage manifeste (overt speech) sont également responsables du langage intérieur ou implicite (pensée). Cependant, les études béhavioristes sur le langage intérieur se sont bornées à identifier les corrélats physiologiques du phénomène sans prendre en compte un aspect tout aussi important, à savoir l’expérience subjective.

4

Pour ce qui concerne le rôle joué par Thao parmi les philosophes français intéressés par la phénoménologie, voir Invitto 1985, Jarczyk et Labarrière 1990, van Breda 1962, de Warren 2009, Herrick 2005, Giovannangeli 2013, Moati 2013, Feron 2017.

5

Pour ce qui concerne la première période vietnamienne de Thao, voir Hémery 2013.

6

Pour ce qui concerne la carrière étudiante de Thao, voir les documents conservés auprès des Archives Nationales site Pierrefitte-sur-Seine : 61AJ/191.

7

Pour une liste des inédits consultés par Thao à Louvain, voir Tomassini 1970, p. 278-279.

8

Sur les notions de « fonction symbolique » et d’ « inhibition » dans la sémiologie de Thao à l’époque de Phénoménologie et matérialisme dialectique, voir D’Alonzo à par.

9

Une nouvelle perspective dans l’étude du comportement humain est apparue dans les années 1940 dans certains milieux scientifiques américains intéressés par la possibilité d’appliquer la théorie de l’information, par exemple les travaux de Shannon, et les concepts de la cybernétique aux phénomènes psychologiques. Dans la seconde moitié des années 50, certains psychologues ont commencé à travailler à ce programme de recherche (à cet égard, il faut mentionner le MIT Symposium on Information Theory en 1956). Aux États-Unis, la recherche de J.K. Bruner et G.A. Miller ouvrira la voie aux études cognitives, notamment par la création, en 1960, de la première unité de recherche sur les processus cognitifs, le Centre d’études cognitives de Harvard.

10

Cette distinction ne coïncide pas avec celle introduite par Block (1995) entre ce qu’il appelle la conscience « d’accès » et la conscience « phénoménale ». Il déclare que la conscience d’accès exerce une fonction de contrôle direct sur la pensée et l’action, alors que la conscience phénoménale concerne l’expérience subjective ou les sentiments. La distinction de Block est comparable à la distinction proposée par Thao entre « prise de conscience » et « rôle pratique de la conscience » (Thao 1973, p. 31).

11

Pour une analyse détaillée du « rapport de réciprocité » et de la relation de la théorie de Thao avec ses sources, voir D’Alonzo 2018, p. 52-53.

12

Voir Lecercle 2004.

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Pour plus de détails, voir D’Alonzo 2018, p. 53, 55-56. Dans un autre article en préparation, nous aurons l’occasion d’examiner la connaissance que Thao avait des textes marxistes en philosophie et en psychologie du langage pendant la rédaction des Recherches sur l’origine du langage et de la conscience et d’étudier avec précision les affinités et les différences entre la théorie du philosophe vietnamien et celles d’autres intellectuels marxistes. Pour le moment, nous pouvons dire qu’à notre connaissance, rien ne prouve que Thao ait lu directement les textes de Vygotsky, de Voloshinov et de Bakthine.

15

Dans les lignes suivantes, nous empruntons largement la terminologie utilisée par Nyckees (2003 et 2007) car, au-delà des différences, nous pensons qu’il s’agit d’une perspective théorique qui peut aider à développer les réflexions de Thao conformément aux recherches actuelles en philosophie du langage.