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Histoire Epistémologie Langage
Volume 40, Numéro 2, 2018
La tradition linguistique arabe et l’apport des grammairiens arabo-andalous
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Page(s) | 153 - 168 | |
Section | Lectures & critiques | |
DOI | https://doi.org/10.1051/hel/2018021 | |
Publié en ligne | 22 janvier 2019 |
Lectures & critiques
MAZON André & JAKOBSON Roman, La langue russe, la guerre et la révolution, sous la direction de Sylvie Archaimbault et Catherine Depretto. Paris : Eur’Orbem Éditions, 2017, 192 p., ISBN 9-10-96982-02-8.
L’année 2017 marquait le centième anniversaire de la révolution d’octobre, ces Dix jours qui ébranlèrent le monde, pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de John Reed (1919). Ce fut l’occasion de diverses manifestations commémoratives, parmi lesquelles des colloques, des ouvrages ou des numéros spéciaux. On mentionnera ici à titre d’exemple le numéro spécial de la Revue des études slaves (n° 88, fasc. 1-2 : 1917 en Russie – La philologie à l’épreuve de la Révolution) et celui de la revue italienne Studi slavistici (XIV/2017 : 1917-2017. One Hundred Years of Graphic (R)evolution in the Soviet Space). C’est aussi dans cette veine commémorative et jubilaire que s’inscrit l’ouvrage dirigé par Sylvie Archaimbault et Catherine Depretto.
Ces dix jours ne firent pas qu’ébranler le monde, ils ébranlèrent aussi la langue russe. C’est du moins ce que constataient certains contemporains, témoins des événements et observateurs attentifs. Cette question de savoir si la révolution d’octobre avait aussi touché la langue, et notamment la langue russe, fut au centre de nombreuses publications durant les années 1920, au point que le linguiste Pavel Jakovlevič Černyx put écrire en 1929 qu’il ne se passa pas une année depuis 1919 qui ne vît la publication d’ouvrages ou d’articles « consacrés aux changements dans la langue russe à l’époque de la guerre et de la révolution » (Černyx 1929, p. 40). Pour la linguiste moscovite Rozalija Osipovna Šor, ce problème de l’« influence de la révolution sur la langue » était même « l’un des domaines les plus intéressants de la sociologie du langage » (Šor 1929, p. 149). Quant à Afanasij Matveevič Seliščev, auteur d’un ouvrage sur La langue de l’époque révolutionnaire (Seliščev 1928/1974), il était d’avis que, puisque la langue évoluait constamment, un « phénomène social, comme une révolution ou des mesures révolutionnaires, devait se refléter fortement sur les divers côtés de la vie langagière d’une société » (Seliščev 1925/1968, p. 141). D’autres auteurs encore s’intéressèrent à cette question de la « révolution dans la langue », comme Sergej Osipovič Karcevskij (Serge Karcevski) (1923) ou Edmond Mendras (1925). Mais comme l’indique C. Depretto dans l’ouvrage recensé (p. 5), on doit « le premier travail publié sur ce sujet » au slaviste français André Mazon, auteur en 1920 d’un Lexique de la guerre et de la révolution en Russie (1914-1918) (Paris : Champion), auquel Roman Jakobson répondit en 1920-1921 par un long article en tchèque (« Vliv revoluce na ruský jazyk [Poznamky ke knize André Mazon, Lexique de la guerre et de la révolution en Russie] »1) publié en plusieurs parties dans la revue pragoise Nové Atheneum. Ce sont ces deux derniers textes – qu’une filiation réunit donc – que S. Archaimbault et C. Depretto proposent de redécouvrir et de mettre en contexte. Signalons que l’article de Jakobson n’existait jusqu’alors qu’en tchèque (voir p. 23, n. 1) et qu’il est donc traduit en français pour la première fois (par Stéphanie Cirac), le rendant ainsi accessible à un cercle beaucoup plus large de chercheurs.
L’ouvrage est le premier volume de la série Sources de la collection Texte/s des éditions Eur’Orbem, rattachées à l’UMR 8224 qui se consacre à l’étude des langues, des cultures et des sociétés de l’Europe centrale, orientale et balkanique. Cette série Sources vise à rééditer des textes fondateurs des sciences humaines et sociales de pays d’Europe centrale et orientale.
L’ouvrage s’ouvre par deux articles introducteurs (« La langue et la révolution : le Lexique d’André Mazon et sa réception » par C. Depretto [p. 5-22] et « André Mazon et Roman Jakobson: deux générations de linguistes » par S. Archaimbault [p. 23-45]). Suivent ensuite le texte de Mazon (p. 47-11), celui de Jakobson (p. 113-172) et enfin, en annexe, deux lettres issues du Fonds Mazon de l’Institut d’études slaves de Paris (une de Jakobson à Mazon [p. 173-174] et une de Vladimir Šklovskij à Mazon [p. 175-177]), auxquelles font référence les deux articles introducteurs. L’ouvrage se termine par deux index utiles (mais pas toujours précis) : un « Index lexical et phraséologique » des termes russes mentionnés dans les études de Mazon et Jakobson (p. 179-188), et un pour les « Expressions complexes » analysées (p. 189-190).
Les deux articles de présentation que l’on doit aux deux directrices de l’ouvrage s’avèrent très utiles pour la mise en contexte des deux textes republiés ; et surtout, ils sont complémentaires l’un de l’autre. Ainsi, C. Depretto s’attelle-t-elle à une présentation historique et historiographique du texte de Mazon : après avoir rappelé dans les grandes lignes la vie et l’œuvre de Mazon (p. 6-7), elle émet l’hypothèse que son « séjour involontaire dans les prisons bolcheviques [entre septembre et décembre 1918] a sans doute contribué à nourrir sa collecte des innovations linguistiques » (p. 7) dues à la révolution. Surtout, elle rappelle que « [l]a question des modifications linguistiques induites par la guerre et la révolution » (p. 16-17) était largement discutée (notamment par l’Opojaz et le Cercle linguistique de Moscou [p. 17-18]), mais que ces « nouveautés linguistiques [étaient] diversement appréciées à l’époque » (p. 9), comme le montre son historique de la réception de l’ouvrage de Mazon, dont elle a recensé jusqu’à présent quatre recenseurs : Serge Karcevski (avec deux comptes rendus), Grigorij Lozinskij, Grigorij Vinokur et, donc, Jakobson. Le contenu de ces différents comptes rendus est présenté, ainsi que les liens que Mazon entretenait avec chacun de ces auteurs.
De son côté, S. Archaimbault propose, dans son article introducteur, une approche d’historienne des idées linguistiques, mettant face à face Mazon et Jakobson (et leurs textes respectifs) comme appartenant à « deux générations » (voir le titre de son article) différentes. Selon elle, Mazon et Jakobson ont une façon tout à fait différente d’aborder les modifications linguistiques apportées par la guerre et la révolution. Alors que Jakobson, dans ses propos, paraît « nettement marqué de psychologisme » (p. 36) et souhaite que l’on prenne en compte, dans les modifications linguistiques de l’époque révolutionnaire, la place et la part du sujet parlant, Mazon appréhende, lui, les expressions et mots nouveaux comme « des entités qui [...] seraient fixes, comme réifiées » (p. 37). Ainsi, « [c]’est la dimension du sujet, tant dans son unité que dans son rapport au groupe, le sujet psychologique et sociologique, usant de la langue et y imprimant son humeur, qui marque la différence entre les deux auteurs » (p. 37), différence que S. Archaimbault attribue à la différence générationnelle existant entre les deux auteurs : Mazon comme le « serviteur de la philologie slave » (p. 24), discipline qui disparaissait petit à petit face aux considérations de l’époque pour la constitution d’une « discipline [linguistique] à la fois une et plurielle, en une démarche que l’on peut qualifier de pluridisciplinaire, en cohérence avec la complexité de son objet » (p. 40) et dont Jakobson serait un des représentants.
Selon Mazon, son Lexique vise à documenter les « accroissements appréciables » du « fonds verbal » russe et les « acquisitions nouvelles du vocabulaire » (p. 47) qui caractérisent la langue russe depuis la guerre et la révolution. L’auteur, « au hasard des lectures et des conversations quotidiennes » (p. 47), « au marché » par exemple (p. 90), propose « d’esquisser les lignes essentielles du développement verbal » du russe à l’époque de la guerre et de la révolution. Il commence par relever ce qu’il appelle les « bases nouvelles » (p. 52) qui caractérisent, selon lui, la nouveauté verbale de l’époque. Il en dénombre trois : 1. les abréviations (p. 52-66), qu’il classe selon leur système de formation (a. abréviations littérales [p. 53-55], qui présentent « simplement jointes bout à bout les dénominations des lettres initiales des mots formant groupe » [p. 53] ; b. abréviations syllabiques [p. 55-65], qui créent « des mots artificiels comprenant soit la syllabe initiale d’un mot isolé, soit, réunies en bloc, les syllabes initiales de plusieurs mots formant groupe » [p. 55] ; c. abréviations mixtes [p. 65-66], qui combinent les deux premiers procédés d’abréviation); 2. les mots étrangers que la révolution a répandus, sous une forme russifiée, à travers une large portion de la population (p. 66-73) ; 3. les noms propres (p. 73-75) « d’acteurs de quelque importance de la révolution russe » qui sont « employé[s] avec une valeur “typique”, comme une sorte de nom commun » (p. 73). Dans une deuxième partie intitulée « La dérivation » (p. 75-92), Mazon énumère les différents suffixes nominaux et adjectivaux qui servent à former des noms de personnes (p. 76-84) et des noms de choses et de substantifs abstraits (p. 84-90). La partie suivante (p. 92-98) est consacrée aux « Mots composés » dont « la formation [...] a pris, durant la guerre et la révolution, une extension aussi grande que les abréviations et que la dérivation nominale et adjective » (p. 92). Enfin, le Lexique se termine par une partie consacrée à l’« Emploi des mots », aux questions de sémantique et de stylistique (p. 98-110). Mazon y aborde le « rajeunissement de certains mots » (p. 98), la disparition d’autres (p. 100-101), l’emploi abondant de périphrases (p.103-105), l’apparition de clichés (p. 106-110) et les « faits de prononciation » (p. 105-106).
Le texte de Jakobson apparaît plus comme un complément (« L’étude [de Mazon] peut sembler incomplète, cela est dû au fait que Mazon a limité son observation à 1918 » [p. 113]) – voire, comme l’écrit C. Depretto (p. 13), comme « une étude propre de la question » – que comme un simple compte rendu du Lexique de Mazon. Jakobson relève ainsi à quelques reprises ce qu’il considère comme des erreurs de Mazon (p. ex. p. 121, 125, 137, 149), mais il va surtout compléter le Lexique avec toute une série de mots ou d’expressions non pris en compte par ou connus de Mazon, en intégrant notamment dans ses considérations la langue « révolutionnaire » de la poésie (p. 134-136), mais aussi le « processus » (p. 114) qui conduit à l’apparition de ces nouveaux mots (voir l’article introducteur de S. Archaimbault).
Concernant la qualité formelle de l’ouvrage, il convient de signaler deux choses ; d’abord un nombre assez élevé de coquilles et de problèmes typographiques, et surtout un oubli assez regrettable : la plupart du temps quand Mazon renvoie son lecteur à d’autres passages de son propre texte, ou quand Jakobson fait référence à certaines pages du Lexique de Mazon, les numéros des pages mentionnés dans les textes d’origine n’ont pas été adaptés à la pagination de cette réédition, ce qui complique la lecture et rend malaisée l’utilisation de cet ouvrage2.
Comme le dit Mazon à la fin de son Lexique (p. 110), ces expressions et ces mots nouveaux surgis de la guerre et de la révolution, tant ceux que lui-même mentionne que ceux ajoutés par Jakobson, « donnent la couleur d’une époque et d’une société » aujourd’hui disparues. Les textes republiés resteront donc des outils plus qu’utiles pour ceux qui seront amenés à lire des textes soviétiques des premières années révolutionnaires et qui tomberont sur des mots, des expressions ou des abréviations désormais obscurs et tombés dans l’oubli.
Références
ČERNYX Pavel Jakovlevič (1929). I. Sovremennye tečenija v lingvistike. II. Russkij jazyk i revoljucija, Irkutsk: Vlast’ truda.
KARCEVSKIJ Sergej Osipovič (1923). Jazyk, vojna i revoljucija, Berlin.
MENDRAS Edmond (1925). « Remarques sur le vocabulaire de la révolution russe », Mélanges publiés en l’honneur de Paul Boyer, Paris : Champion, 257-269.
REED John (1919). Ten Days that Shook the World, New York: Boni & Liveright.
SELIŠČEV Afanasij Matveevič (1925/1968). « Revoljucija i jazyk », Seliščev A.M., Izbrannye trudy, Moskva: Prosveščenie, 1968, 141-146.
SELIŠČEV Afanasij Matveevič (1928/1974). Jazyk revoljucionnoj èpoxi: iz nabljudenij nad russkim jazykom poslednix let 1917-1926, Leipzig: Zentralantiquariat der DDR, 1974.
ŠOR Rozalija Osipovna (1929). « Recenzija na : V. Vološinov, Marksizm i filosofija jazyka. Osnovnye problemy sociologičeskogo metoda v nauke o jazyke, Leningrad: Priboj, 1929 », Russkij jazyk v sovetskoj škole 3, 149-154.
Sébastien Moret
Université de Lausanne
KERTÉSZ András, The Historiography of Generative Linguistics, Tübingen : Narr Francke Attempto Verlag, 2017, 212 p., ISBN 978-3-8233-9156-2.
Dans cet ouvrage András Kertész effectue une analyse critique systématique des approches de l’historiographie de la grammaire générative et présente son propre modèle visant à une historiographie scientifique « non exclusive ».
L’ouvrage est organisé en deux parties et sept chapitres. Un premier chapitre introductif expose le cadre théorique de référence. Suivant Lakatos, l’auteur opte pour une conception de l’histoire des sciences indissociable de la philosophie des sciences. Il définit ce qu’il nomme le problème (P) : « What historiographical framework, central hypothesis and basic terms can account for the history of generative linguistics? » qui servira de cadre à l’ensemble de l’analyse.
La première partie, composée de deux chapitres, est consacrée à l’évaluation des 22 « solutions » du problème (P) établies à partir de l’examen des approches historiographiques. Le premier chapitre intitulé « From “scientific revolution” to “unscientific revolution” » examine les arguments avancés pour caractériser les étapes du développement de la linguistique générative (désormais LG) comme révolutionnaires ou non (au sens kuhnien). Les ouvrages étudiés sont ceux communément admis comme jalonnant le développement de la grammaire générative : Syntactic Structures (1957), Aspects of the Theory of Syntax (1965), Sound Pattern of English (1968), The Theory of Government and Binding (1981) suivi de The Theory of Principles and Parameters (1993), enfin The Minimalist Program (1995). Le second chapitre est consacré à l’évaluation de ces approches historiographiques.
La seconde partie est consacrée à l’approche historiographique proposée par András Kertész, qui la présente comme la 23e solution possible au problème (P), dénommée SP23 (chapitre 4). Une étude de cas est développée dans le chapitre 5 à l’aide de trois exemples. Le chapitre 6 aborde un certain nombre de questions ouvertes, concernant notamment les éléments restés constants tout au long du développement de la LG (cognitivisme, formalisme ou épistémologie dénommée “metatheory”), et sur les relations de la LG avec ses rivales, qui en sont d’ailleurs issues, LFG, HPSG, GPSG, PSG.
Enfin le chapitre 7 conclut l’ouvrage en s’interrogeant sur les apports de SP23 à l’historiographie linguistique et à la linguistique en général. L’ouvrage comprend, en plus de la bibliographie, les index des noms, des sujets, des schémas et des tableaux.
Les travaux historiographiques étudiés sont essentiellement des ouvrages : ceux de Aarsleff, Jäger, Koerner, Newmeyer, Allan, Ten Hacken, Hymes & Fought, P. Matthews, Murray, R.A. Harris, R. Lakoff, Seuren, Grewendorf... Des articles sont parfois cités comme ceux de N. Riemer ainsi que des ouvrages collectifs, comme celui dirigé par D. Kibbee, mais ils ne sont pas analysés. La bibliographie, très complète, semble compenser ces manques ; toutefois on notera l’absence totale d’ouvrages publiés en langues autres que l’anglais. On remarquera ainsi l’absence de mention de l’ouvrage récent d’A. Rouveret Arguments minimalistes paru en 20153 – pourtant au cœur de la thématique traitée par Kertész, et, en général, de toute référence aux travaux français en histoire et épistémologie des sciences du langage.
L’auteur part du constat que les approches historiographiques de la LG sont d’une très grande diversité : diversité des points de vue (sociologie, philosophie des sciences, etc.), diversité des définitions de ce qu’est une « révolution scientifique », terme abondamment utilisé dans ces études, diversité des étapes estimées révolutionnaires dans le développement de la LG.
La révolution au sens kuhnien est évoquée pour ce qui concerne Structures syntaxiques, premier ouvrage publié de Chomsky, afin de déterminer si cet ouvrage constitue un nouveau « paradigme » ou bien s’inscrit dans la continuité des travaux néo-bloomfieldiens qui le précèdent. Pour les ouvrages ultérieurs de Chomsky, elle est convoquée pour qualifier les changements internes à la LG (notamment le programme minimaliste). Certains parlent également de révolution kuhnienne pour situer la LG (notamment The Theory of Principles and Parameters) par rapport à un courant externe comme les grammaires de construction.
Cette diversité masque souvent des incohérences, un cadre historiographique inexistant et des méthodes d’investigation peu rigoureuses. Ce que reproche principalement Kertész à ces analyses, c’est qu’elles sont pour la plupart biaisées. Certains auteurs sont de fervents adeptes de Chomsky et de la LG, d’autres au contraire y sont hostiles a priori. En fonction de leurs orientations, ils ne conservent que les faits qui confortent leur position et négligent les autres. Certains s’appuient même sur des souvenirs personnels ou des interviews qui ne peuvent être considérés comme des sources sérieuses et fiables. Il arrive même que les auteurs se décrédibilisent mutuellement et réciproquement avec des arguments ad hominem (Koerner et Newmeyer par exemple). Seuls quelques-uns ont des points de vue équilibrés.
La solution SP23 exposée par Kertész est une extension du « p-model » proposant de considérer les théories linguistiques comme des processus dynamiques d’argumentation plausible4. Cette solution, affirme l’auteur, ne prétend pas être meilleure mais a le mérite de mettre en avant un critère d’évaluation non pris en compte par les autres, celui de l’argumentation plausible, que l’auteur explicite en s’appuyant sur ce qu’affirme Chomsky lui-même dans SS ; à savoir qu’une grammaire n’est jamais fixée pour toujours, qu’elle peut être révisée par la mise au jour de faits nouveaux ou de nouveaux modèles ; toutefois, à n’importe quelle étape, la théorie peut être formulée avec précision et les grammaires associées remplir les conditions empiriques externes d’adéquation. La construction d’une grammaire n’est donc pas linéaire mais cyclique et rétrospective. Elle est également prismatique, variant selon les différentes perspectives adoptées, et faisant l’objet de feedbacks et de réévaluations continues. Suivant ces préceptes, Kertész avance que les hypothèses d’une grammaire ne sont pas « vraies » au sens strict mais que ce sont des énoncés plausibles, et que la révision d’une grammaire est fondée sur la réévaluation rétrospective et cyclique du savoir précédemment acquis. Autant d’éléments qui caractérisent l’argumentation plausible.
Le p-model n’est pas un système formel. Il ne recherche pas la structure logique d’une théorie mais sa structure argumentative. Les théories linguistiques ne sont pas des constructions statiques réduites à une structure logique mais des processus dynamiques d’argumentation plausible, capables de traiter les incohérences. L’auteur conclut en prônant le pluralisme des théories linguistiques. Quant à SP23, elle ne s’intéresse qu’à l’histoire interne (au sens de Lakatos) ne prenant pas en compte les aspects sociologiques (externes). Son intérêt réside dans sa capacité à décrire les relations dynamiques des stratégies de résolution de problèmes aux différentes étapes du développement de la LG plutôt que de se focaliser sur les termes discrédités de « révolution scientifique » et de « paradigme » qui simplifient à outrance et distordent les processus historiques. Pour illustrer son propos, Kertész propose une étude de cas limitée aux relations entre Structures syntaxiques et les travaux des néo-bloomfieldiens à partir de trois exemples : (i) le terme « language » ; (ii) la reconstruction de l’argumentation plausible par laquelle Chomsky décide quel type de grammaire est capable de générer toutes les phrases grammaticales de l’anglais et seulement celles-ci (grammaires à états finis, syntagmatiques ou transformationnelles) ; (iii) procédure d’évaluation.
Pour Kertész, il n’y a pas de révolution dans Structures syntaxiques (rappelant d’ailleurs que Chomsky en 2011 déclare qu’aucune des étapes de la LG ne peut être considérée comme une révolution kuhnienne, la linguistique n’en étant tout juste qu’à une étape pré-galiléenne5). Kertész tient les algorithmes de Post comme les seuls éléments novateurs de Structures syntaxiques par rapport aux néo-bloomfieldiens. On peut d’ailleurs ici regretter que les exemples retenus dans son étude de cas ne permettent pas de rendre compte de l’importance pour Chomsky de Bar-Hillel – notamment la récursivité – de Quine et de Goodman (mentionnés seulement à propos des travaux de Tomalin).
En conclusion l’auteur examine en quoi son modèle contribue à l’histoire de la linguistique, et à la linguistique elle-même. Il conclut que la complexité de la LG autorise à ne se focaliser que sur un aspect historiographique (argumentationnel en ce qui le concerne) de façon à trouver sa place dans l’ensemble des historiographies possibles sans prétendre constituer l’unique et ultime historiographie du domaine.
Cette étude constitue une synthèse intelligente et ordonnée des différentes approches de l’historiographie de la LG. Même si nombre des 22 solutions mises au jour par Kertész sont bien connues – chaque auteur qui s’engage dans une étude critique de la LG étant quasiment obligé de faire référence à ses prédécesseurs – et même s’il n’est pas assuré que la présentation très systématisée, à grand renfort de formulations, tableaux et schémas, rende le propos plus explicite, risquant même de rebuter le lecteur qui pourrait considérer que cette quête « d’intelligibilité » absolue est contradictoire avec la position pluraliste revendiquée par l’auteur, cette étude a le mérite de mettre à plat la validité des arguments avancés par les uns et les autres pour établir la nouveauté de la LG, et contribue de façon éclairée et documentée à l’histoire et l’épistémologie du programme chomskyen.
Jacqueline Léon
UMR 7597 − HTL
STEUCKARDT Agnès & THOREL Mathilde, Le jugement de l’oreille (XVIe-XVIe siècles), Paris : Champion, coll. Linguistique historique, 2017, 256 p., ISBN 978-2-7453-3549-4.
L’ouvrage dirigé par Mathilde Thorel et Agnès Steuckardt rassemble une série d’études sur le « jugement de l’oreille », entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Il s’agit par cette enquête de retracer l’histoire d’un concept évincé, de suivre son émergence, sa diffusion et son déclin. Le livre propose un parcours chronologique, organisé en deux parties : « Fabrique d’un concept », (XVIe et XVIIe siècles) et « Diffractions » (XVIIIe siècle). L’ensemble est encadré par un prologue et un épilogue, utiles étapes de problématisation et de conclusion qui, au-delà de la succession des articles, tissent les liens et donnent les moyens de s’orienter dans le foisonnement et l’hétérogénéité des discours. L’oreille en effet est accueillante, permettant d’exprimer des jugements de natures diverses (perceptif, esthétique, normatif), et d’aborder la langue à différentes échelles (du son au discours, de l’individuel au collectif).
Mathilde Thorel (« Y a-t-il une oreille française à la Renaissance ? ») étudie l’émergence du concept d’oreille à la Renaissance. Prise en charge par les arts poétiques et la rhétorique dans une perspective esthétique et savante, l’oreille remplit plusieurs fonctions : elle permet de définir la perfection des langues, la rime, le nombre oratoire ; c’est elle aussi qui discrimine les bons et mauvais usages, les formes recevables ou condamnables. Malgré son caractère flou et subjectif, l’oreille a un rôle régulateur : oscillant entre la raison de la langue et l’arbitraire, autonome par rapport à l’usage, apte à fonder des règles, elle se suffit à elle-même. L’oreille s’inscrit dans le discours grammatical autour de 1550, avec Louis Meigret dont le Tretté constitue dans ce parcours une étape intermédiaire (Odile Leclerc, « La “bonne oreille” dans le Tretté de la grammere françoeze »6). Associée à un vocabulaire axiologique, l’oreille figure dans des contextes proches de ceux que l’on trouve chez les poètes et les rhétoriciens. Elle a néanmoins un rôle linguistique. Odile Leclerc souligne le lien établi entre le jugement de l’oreille et la perspective synchronique. Comme légitimation des formes linguistiques, l’oreille se dresse ainsi face à l’autorité du passé littéraire. L’idée d’une « oreille française », supposant l’existence d’une oreille commune, constitue un passage obligé pour la grammatisation du français (p. 70). Elle contribue à l’expression de la grammaticalité, impose l’idée d’une forme commune propre à la langue vulgaire (p. 73). Chez Meigret, l’oreille est proche de la notion d’usage mais elle ne se confond pas avec lui, car elle peut être « convoquée lorsque la règle fait défaut » (p. 73), sans entrer en conflit ni avec la raison, ni avec la grammaire (p. 75). Bien que reposant sur un rapport intuitif à la langue, Meigret affirme le caractère collectif d’une « oreille française » (p. 77), fondant le commun usage (p. 79). Ce moment grammatical dure peu. Comme le montre Mathilde Thorel, Henri Estienne marque déjà un « infléchissement de la notion » (p. 55). Sensible à la variété des usages dans l’espace et dans le temps, Henri Estienne oppose à l’oreille « absolue » des poètes une oreille « relative », étape vers le discours sur le bon usage et la belle langue. Ainsi, l’oreille déjà se « diffracte dans la pluralité des jugements ».
La voie en somme est ouverte aux Remarqueurs qui dominent le discours sur l’oreille au XVIIe siècle. Magali Seijido (« Les questions de prononciation et le jugement de l’oreille ») recense différentes questions de prononciation (prononciation du digramme [oi], de [a] ou [e] devant [r]) où le « jugement de l’oreille » et son « corollaire » (p. 81), à savoir la douceur, interviennent pour réduire la variation. Vaugelas reconnaît le caractère relatif de la perception (p. 86) et observe que le jugement de l’oreille et l’intuition de la douceur reposent sur la fréquence d’usage, sur l’habitude (p. 85) et sont corrélés à des facteurs sociologiques (condamnation des prononciations provinciales et populaires). Les grammairiens – point de départ de l’article de Chantal Wionet (« La douceur entre hexis et “partage du sensible” au XVIIe siècle ») – s’inscrivent dans la continuité des Remarqueurs, sollicitant l’oreille sur les mêmes questions : prononciation, rencontre de sons (cacophonie, hiatus, répétition). L’oreille des grammairiens correspondrait finalement à une hexis, « intuition de la normativité fondée sur l’empirisme, la répétition et la mémoire » (p. 99). La douceur est le résultat de cette hexis. Mais la douceur est elle-même une notion instable, une qualité « dont les réalisations ne sont pas toujours prédictibles » (p. 100). Elle dépasse en outre la seule dimension linguistique et s’articule à un champ plus vaste, définissant un modèle de sociabilité. C’est une vertu à laquelle se reconnaît l’honnête homme. On n’exagèrera pas toutefois, ni chez les Remarqueurs ni chez les grammairiens, la place qui revient à l’oreille : elle reste secondaire, rappelle Philippe Caron (« Démasquer le jugement de l’oreille vers 1700 »), elle intervient en dernier lieu, lorsque « ni l’usage dominant, ni la grammaire ne permettent de discriminer la meilleure variante » (p. 110). Il n’en reste pas moins que l’oreille est sollicitée fréquemment. Notamment dans le domaine de la prononciation. Ainsi, dans le cas compliqué des vibrantes, elle intervient comme instance de discrimination secondaire, reflétant la lutte de pouvoir entre le Parlement et le Roi. Derrière l’oreille, c’est bien le jugement social qui s’exprime (p. 120). Gilles Siouffi dont l’article (« Le jugement de l’oreille et la subjectivation du discours ») clôt cette première partie observe que le recours à l’oreille constitue un aspect du sentiment de la langue. Le jugement de l’oreille perturbe le jeu opposant la raison et l’usage. Il s’impose notamment dans le domaine des enchaînements syntagmatiques et des collocations, « lieu essentiel du sentiment grammairien » (p. 133). L’oreille offre un « troisième pôle », qui légitime l’individu contre le groupe et instaure l’idée d’un locuteur idéal.
Au fil du temps, les contextes et les collocations se stabilisent. Le XVIIIe siècle prolonge le discours des Remarqueurs. Cet élément de continuité reste cependant sans effet sur l’effritement de la notion : le XVIIIe siècle est marqué par les « diffractions ». La métaphore indique assez bien la multiplication des orientations qu’empruntent alors les auteurs qui continuent de se référer à l’oreille. Loin d’avancer vers l’abstraction et le dépouillement, on assiste à un enrichissement, voire à un empilement des approches.
Il en va ainsi de Dumarsais, dont Françoise Douay (« Dumarsais et l’oreille du parterre ») décline trois figures (p. 158) : le grammairien (reconduisant une référence à l’oreille proche de celles des grammairiens et remarqueurs qui l’ont précédé), le philosophe (attentif au développement de la phonétique articulatoire), le mélomane, qui réfléchit sur la diction théâtrale, sensible à l’oreille collective du parterre, et à sa « compétence infaillible » (p. 168). François Berlan montre que les synonymistes (« Le jugement de l’oreille chez les synonymistes du XVIIIe siècle ») ne s’accordent pas sur la place que doit occuper l’oreille : Girard fonde sa réflexion exclusivement sur le sens et se place dans une synchronie stricte, ramenant le jugement de l’oreille à un domaine résiduel, « dans de très rares cas où aucune distinction de sens n’a pu être décelée » (p. 193). Roubaud, au contraire, fortement imprégné par la tradition des Remarqueurs, postule une relation imitative entre son et sens, un « rapport iconique généralisé entre les deux faces du signe ». L’oreille intervient dans la règle de formation des mots, élément central de l’appréciation, comme faculté de jugement et comme « organe qui souffre ou que l’on contente » (p. 204). Mêmes tensions chez les poètes qu’étudie Aïno Niklas-Salminien (« Sur l’harmonie imitative du vers au XVIIIe siècle ») : ils reprennent à leur compte les règles héritées de la période classique mais ces dernières peuvent entrer en conflit avec les exigences de « l’harmonie imitative ». Il ne s’agit plus seulement d’être agréable à l’oreille, il faut encore éviter de la tromper et rendre « l’impression que l’objet fait sur le sens » (Rivarol).
Parallèlement à la multiplication des parcours singuliers, on assiste à un chassé-croisé entre l’oreille, concept flou et finalement sans assise, et les sciences qui la concernent (phonétique, anatomie de l’appareil articulatoire, acoustique). Christophe Rey (« La place du jugement de l’oreille chez Nicolas Beauzée ») en donne une illustration à travers le parcours de Beauzée. Ce dernier recourt à l’oreille pour justifier certaines descriptions héritées de la tradition grammaticale (orthographe auriculaire des femmes, étude des nasales, euphonie et cacophonie, discussions sur les diphtongues oculaires ou auriculaire) et définir les oppositions voix / articulations, voix aiguë / voix grave. En revanche, l’opposition entre unités fortes et unités faibles se fonde sur une approche articulatoire. Beauzée prend ainsi ses distances vis-à-vis du jugement de l’oreille, signe d’une « mutation scientifique indéniable ». Toutefois, il ne parvient pas à intégrer à sa description les développements de la science acoustique : les entrées que lui consacre l’encyclopédie restent « déconnectées des réflexions grammaticales » (p. 155).
Agnès Steuckardt (« Les dictionnaires du XVIIIe siècle et l’oreille ») montre enfin comment résonnent dans le « discours intermédiaire des grands dictionnaires » les tentatives de théorisation. Car il y a bien à cette époque un effort pour « fonder en raison le jugement de l’oreille ». L’abbé d’Olivet délimite plus nettement le domaine de la prosodie française en distinguant ce qui relève de la sémantique et ce qui relève de la dimension matérielle du mot. Sur la question de l’hiatus, Beauzée, Harduin, Marmontel délivrent un discours qui manifeste un souci de théorisation et de clarification, séparant « description acoustique, appréciation esthétique et interprétation sémantique ». De ces discussions, rien n’émerge toutefois de suffisamment ferme pour se retrouver dans les grands dictionnaires, du moins de manière explicite. Ils reprennent des marqueurs lexicaux comme doux ou rude, et des « vestiges des débats » du siècle passé : le discours peine à se renouveler. Le jugement de l’oreille constitue un héritage qui, avec la disparition progressive de formes à discuter (sans introduction de nouvelles formes discutables), tend à s’estomper. La douceur même finit par perdre son statut de « canon esthétique incontesté » (p. 221). Ainsi l’histoire s’achève sur un « rendez-vous manqué ». Face au développement de sciences qui font appel à des données matérielles (appareil phonatoire), le jugement de l’oreille, suspect du fait de son caractère individuel et subjectif, perd son autorité linguistique. Mais il perdure, à côté, pour ne pas dire en marge, de la théorisation grammaticale : c’est une « pratique sociale » (p. 233), irréductible au discours savant.
Il s’avère donc difficile de fixer les contours de la notion, de parvenir à un socle stable, de saisir les fondements qui transforment la perception en jugement. La conceptualisation inaboutie complique d’ailleurs la lisibilité de cette histoire. L’oreille n’est pas l’objet d’une construction commune ou de discussions. Les auteurs s’en emparent comme d’une évidence, ce qu’elle est au demeurant, dans sa dimension corporelle toujours disponible, et qui occasionnellement sollicitée compromet les tentatives d’abstraction. Mais il importait justement de souligner la productivité des références à l’oreille, en évitant toute sorte de dépréciation liée à l’absence de théorisation, ou au manque de scientificité. C’est donc aussi à un effort de « décentrement » auquel le lecteur est convié : il s’agit, à chaque moment et pour chaque auteur ou corpus considéré, de mettre en valeur le caractère opératoire de la notion, en la replaçant « à l’intérieur du système de pensée et de représentations qui l’a vu émerger » (p. 10). Faire l’histoire du concept supposait aussi de faire l’histoire du mot, et c’est l’un des mérites de cet ouvrage que de nous permettre de suivre l’oreille dans ses formes et dans ses contextes d’apparition, d’observer les intermittences de l’usage, entre les tentatives d’abstraction (passage du pluriel au singulier) et le retour à la corporéité de l’organe qui perçoit et qui souffre. Ce travail de contextualisation et d’observation fine des discours maintient chez le lecteur la vigilance nécessaire pour ne pas confondre la stabilité d’une pratique et la relativité des jugements qui en résultent, et une curiosité renouvelée pour un sujet dont l’ouvrage montre bien la richesse, la complexité et l’actualité.
Cendrine Pagani-Naudet
BRUNO Marcello Walter, CHIRICÒ Donata, CIMATTI Felice, COSENZA Giuseppe, DE MARCO Anna, FADDA Emanuele, LO FEUDO Giorgio, MAZZEO Marco & STANCATI Claudia (éd.), Linguistica e filosofia del linguaggio. Studi in onore di Daniele Gambarara, Milano-Udine : Mimesi, coll. Semiotica e filosofia del linguaggio, 2018, 542 p., ISBN 9788857547985.
Le volume rassemble 41 études offertes en hommage à Daniele Gambarara par des collègues, élèves et amis à l’occasion de son départ à la retraite après une longue carrière universitaire qui a commencé dans les années 1960 à l’Université de Rome − La Sapienza, sous les auspices de Tullio De Mauro, puis à l’Université de Calabre, où il enseigne depuis 1974. La variété des contenus du livre reflète parfaitement l’ouverture de l’engagement académique et scientifique de Gambarara. Plusieurs établissements d’enseignement et centres de recherche, italiens et étrangers, sont bien représentés, ainsi que différentes générations de chercheurs et plusieurs domaines de recherche, traditions théoriques, idées philosophiques et linguistiques. Ce qui tient ensemble toutes ces contributions est la tentative d’articuler l’histoire avec la théorie et la pratique dans les sciences du langage, la philosophie et la sémiologie. Il s’agit en fait de l’héritage cohérent, mais multidisciplinaire et pluriel, que Gambarara a laissé à tous les chercheurs qui lui rendent hommage dans ce volume.
Pour donner un bref aperçu de la variété du contenu du livre, nous souhaitons mentionner tout d’abord les contributions qui abordent, plus ou moins directement, les écrits de Saussure : Grazia Basile (Università di Salerno) sur la notion d’habitude chez Saussure ; Marie-José Béguelin (Université de Neuchâtel) sur l’évolution des systèmes sémiologiques ; Jean-Paul Bronckart (Université de Genève) sur la linguistique diachronique ; Felice Cimatti (Università della Calabria) sur le fonctionnement anonyme et impersonnel de la langue chez Saussure, Chomsky et Lacan ; Marina De Palo (Sapienza − Rome) sur les relations entre dimension individuelle et sociale en linguistique, psychologie et sociologie à la fin du XIXe siècle et au début du XXe ; Giuseppe D’Ottavi (Institut des textes et manuscrits modernes, ENS/CNRS) sur un petit manuscrit saussurien conservé dans la bibliothèque Houghton d’Harvard ; Emanuele Fadda (Università della Calabria) sur la théorie des institutions ; Elisabetta Gola (Università di Cagliari) sur le web 3.0 ; Giovanni Manetti (Università di Siena) sur la notion de symbole chez Saussure ; Maria Pia Marchese (Università di Firenze) sur la datation de deux petits fragments saussuriens des années quatre-vingt et leur relation avec la Phonétique ; Francesca Murano (Università di Firenze) sur l’édition numérique des manuscrits saussuriens ; Susan Petrilli (Università di Bari Aldo Moro) sur la sémiotique de la traduction ; Augusto Ponzio (Università di Bari Aldo Moro) sur les Écrits de linguistique générale ; Anne-Gaëlle Toutain (Universität Bern) sur l’inconscient saussurien ; Ekaterina Velmezova (Université de Lausanne) sur la circulation du Cours de linguistique générale en URSS dans les années 1950-1960.
Les linguistiques présaussurienne et postsaussurienne sont abordées par Federico Albano Leoni (Sapienza – Rome) avec une contribution consacrée au phonème zéro ; Lorenzo Cigana (Université de Liège) sur le concept de « sublogique » ; Claire Forel (Université de Genève) sur la notion de « faute » ; John Joseph (University of Edinburgh) sur les rapports entre Louis Hjelmslev et l’œuvre de Rask et Saussure ; Francesco La Mantia (Università di Palermo) sur la notion ducrotienne de « point de vue » ; Massimo Prampolini (Università di Salerno) sur la notion de « forme » ; Pierre-Yves Testenoire (HTL) sur la réception des écrits saussuriens de la part de Benveniste. Plusieurs articles sont consacrés à la philosophie du langage : Ecaterina Bulea Bronckart (Université de Genève) sur Eugenio Coseriu ; Donata Chiricò (Università della Calabria) sur la liberté dans le langage; Franco Lo Piparo (Università di Palermo) sur l’indicible chez Lucrèce, Dante et Wittgenstein ; Marco Mazzeo (Università della Calabria) sur le serment ; Marco Mazzone (Università di Catania) sur le principe de coopération ; Mauro Serra (Université di Salerno) sur la rhétorique comme commencement de la philosophie du langage ; Sebastiano Vecchio (Université de Catane) sur la notion de « temps » chez Wittgenstein. Pour ce qui concerne la sémiologie, il faut mentionner Marcello Walter Bruno (Università della Calabria) sur le point de vue sociologique dans l’œuvre de Barthes ; David Gargani (Uni Nettuno) sur la créativité dans la sémiose ; Stefano Gensini (Sapienza-Rome) sur l’histoire de la zoosémiotique ; Giorgio Lo Feudo (Università della Calabria) sur les parcours sémiotiques et communicationnels qui produisent la connaissance du monde ; Raffaella Petrilli (Università della Tuscia) sur la viralité dans le langage politique. Les contributions de Francesco Aqueci (Università di Messina) sur la méthode historique et génétique chez Marx et Gramsci, celui de Luca Forgione (Università della Basilicata) sur les contenus non-conceptuels dans l’œuvre de Kant, ainsi que celui de Paolo Virno (Università di Roma Tre) sur la figure du prisonnier, sont en général de caractère plus philosophique. Enfin, il faut évoquer les contributions de Anna De Marco (Università della Calabria), qui porte sur le modal particle « allora », et de Massimo Vedovelli (Università di Siena) sur les conditions épistémologiques de la linguistique éducative.
Le volume est enfin enrichi par la bibliographie complète des œuvres de Gambarara. Il faut signaler l’abondance des bibliographies et catalogues, les notes critiques sur les ouvrages des linguistes et sémioticiens (Jakobson, Simonin-Grumbach, Ruwet, Todorov, Kristeva, Barthes, etc.), les études consacrées à l’histoire de la linguistique en Italie, la direction d’ouvrages collectifs et revues, les contributions à l’histoire de la linguistique et de la philosophie du langage dans le monde grec, la philologie génétique appliquée aux textes saussuriens, les recherches empiriques de dialectologie italienne et les écrits consacrés à l’être social du langage et de l’homme, à la faculté du langage et au langage comme pratique. Afin de mieux comprendre la cohérence du projet de Gambarara à travers tous les domaines de recherche dont il s’est occupé durant sa longue carrière et qui relèvent d’orientations méthodologiques parfois très différentes, nous pouvons constater que tous ces travaux sont en fait unifiés par la référence à l’idée de socialité et d’historicité de la langue et par leur rapport constant, multidisciplinaire et pluriel, à l’activité philologique, à la recherche linguistique et à la philosophie. C’est ce dernier point qui fait de Gambarara un des savants de premier plan au niveau international mais toujours issu de la tradition italienne, comme Claudia Stancati nous le montre dans sa contribution (p. 459-473).
Il ne serait pas possible dans ce court compte rendu de mettre en valeur chaque contribution du volume de manière exhaustive. Nous allons relever seulement certains aspects qui sont liés à l’héritage scientifique et académique de Gambarara et que nous considérons comme importants du point de vue de la pratique de l’historien et de l’épistémologue des théories linguistiques. À cet égard, nous aimerions attirer l’attention du lecteur sur la contribution de Giuseppe Cosenza (p. 159-172). Il part du constat que les ouvrages de référence écrits par Gambarara, et en particulier la Bibliothèque de Ferdinand de Saussure (1972), ne sont pas de simples collections de données et d’informations, mais des outils ouverts qui s’adaptent aux besoins de la recherche et de la réflexion théorique. La Bibliothèque de Ferdinand de Saussure est ainsi une œuvre qui non seulement recueille des informations sur les livres appartenant à Saussure et déposés par la famille à la Bibliothèque de Genève, mais aussi d’autres volumes auxquels les travaux de Saussure se réfèrent. Cela a permis de combler les vides du catalogue des volumes déposés par la famille de Saussure, en changeant ainsi le sens du terme « bibliothèque ». Cet ensemble de données sur les volumes que Saussure possédait ou qu’il avait pu lire est l’une des premières tentatives de reconstruction du contexte bibliographique de Saussure, et, en même temps, il constitue un ensemble destiné à s’enrichir par de nouvelles découvertes. Selon Cosenza, le statut de cet ouvrage est particulièrement évident si on le compare à la deuxième section de la Bibliographia Saussureana 1870-1970 de E.F.K. Koerner. Bien qu’elle soit parue la même année que le livre de Gambarara, elle fournit une liste fermée des ouvrages de référence en linguistique entre 1816 et 1916.
Le travail de catalogage et d’indexation, ainsi que leur promotion par Gambarara se poursuivent dans les années suivantes en relation avec l’histoire de certaines sociétés scientifiques, telles que la Société linguistique italienne (SLI) et en tant que directeur des Cahiers Ferdinand de Saussure. Cosenza souligne que cet engagement de Gambarara présente un intérêt historique et épistémologique. Les index et les catalogues à la fois des sociétés savantes et des revues scientifiques permettent de transformer des événements discontinus en histoire, ainsi que d’observer la continuité et la discontinuité des pratiques et des discours sur le long terme.
Ces dernières années, Gambarara s’est engagé dans une entreprise d’une grande importance scientifique et pédagogique. Il s’agit de la création de la Collection saussurienne de la Biblioteca di Area Umanistica (BAU) de l’Université de Calabre, qui représente la mise en œuvre sur le plan matériel des efforts qu’il a su lui-même déployer depuis plusieurs décennies. En fait, la Collection saussurienne rassemble les livres donnés par Gambarara et d’autres chercheurs, tels que Tullio De Mauro, concernant Saussure, ainsi que certains livres ayant appartenu à Saussure lui-même ou à ses élèves, des études critiques et de littérature secondaire, provenant parfois des bibliothèques d’éminents savants et annotées par eux, des revues, thèses et actes de colloques. La salle intitulée « Tullio De Mauro », qui héberge la Collection saussurienne, est l’un des rares endroits au monde, avec Genève, Paris et Harvard, où il est possible d’étudier les principaux passages des études saussuriennes en ayant à disposition une documentation très riche : de la linguistique du XIXe siècle aux écrits saussuriens, publiés ou inédits, les écoles structuralistes en linguistique, les structuralismes en critique littéraire, sémiologie, philosophie, sociologie, etc., jusqu’en 1975, et une section de publications plus récentes également classées par domaines thématiques. Gambarara a le mérite d’avoir mis en place un tel lieu de rencontre et de recherche dans une région du sud de l’Italie, qui rencontre par ailleurs des difficultés économiques et sociales. Cependant, l’un des aspects les plus intéressants de cette récente entreprise de Gambarara se trouve ailleurs, dans la mesure où la salle de recherche de la BAU et sa collection diffèrent des fonds bibliothécaires traditionnels. D’habitude, les donations aux bibliothèques publiques constituent des fonds fermés aux nouvelles acquisitions et l’accès aux salles qui les hébergent est limité à la consultation. À l’inverse, la Collection saussurienne est alimentée par de nouvelles acquisitions et la salle Tullio De Mauro n’est pas destinée aux seules fins de consultation. Dans ce cas également, le projet de Gambarara vise un but à la fois scientifique et politique, à savoir celui de créer un espace pour la recherche spécialisée ouvert vers l’avenir du champ disciplinaire qui puisse en même temps accueillir un public non spécialiste.
Jacopo D’Alonzo
UMR 7597 HTL
Sapienza Università di Roma
CHABROLLE-CERRETINI Anne-Marie (dir.), Paradigmes et concepts pour une histoire de la linguistique romane, Limoges : Lambert-Lucas, 2017, 144 p., ISBN 978-2-35935-215-3.
Ce volume, dirigé par Anne-Marie Chabrolle-Cerretini, rassemble les contributions du colloque « Paradigmes et concepts pour une histoire de la linguistique romane » (11 avril 2013), organisé par l’équipe du projet D.HI.CO.D.E.R. (Dictionnaire HIstorique des COncepts Descriptifs de l’Entité Romane). Il s’agit du deuxième volume issu du projet. Le premier, Romania. Réalité(s) et concepts (2013), portait sur les traits constitutifs de la romanité – la Romania considérée comme un espace culturel et linguistique unique, bien caractérisé et défini vis-à-vis de l’extérieur –, mais aussi sur ses variétés et différences (linguistiques, historiques) internes.
Le propos de D.HI.CO.D.E.R que dirige A.-M. Chabrolle-Cerretini est de réfléchir sur l’histoire de la linguistique romane, à partir des concepts et des discours qui l’ont caractérisée, depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui. L’étude des « étapes constitutives » de ce champ disciplinaire ne va pas sans difficultés d’ordre épistémologique. En effet, comme l’explique Chabrolle-Cerretini dans l’intervention qui clôture le présent volume, la définition même de linguistique romane fait problème : pris séparément, les deux termes, « linguistique » et « romane » « ont des extensions différentes » ; s’ils sont « réunis, la diversité des acceptions est redoutable et […] il n’y a guère de consensus » (p. 123-124). Il en découle que « la narration historique et le traitement des sources de cette discipline » n’ont été que partiels et confinés surtout « aux aires linguistiques allemande et française » (p. 124-125). Bien consciente de ces difficultés, Chabrolle-Cerretini propose de les surmonter en s’appuyant sur la notion de « paradigme », très discuté en histoire des sciences depuis Kuhn, mais qui, parce qu’il implique une « discontinuité », est bien adapté à cette « réalité scientifique complexe qui ne peut se contenter d’être appréhendée linéairement » qu’est l’histoire de la linguistique romane. L’A. identifie donc quatre groupes d’éléments « susceptibles de mener à la reconnaissance de paradigmes » : la problématique, la conception de la langue, la métalangue, le contexte historique. De plus, souligne Chabrolle-Cerretini, la notion de « paradigme » proposée par Kuhn, présente l’avantage de pouvoir s’appuyer sur un « groupe de chercheur comme force de proposition, de validation et de reconduction de la nouveauté scientifique » (p. 131-132).
Le volume s’ouvre donc avec la conférence invitée de Bernard Combettes, qui analyse les liens entre linguistique générale et romanistique au début du XXe siècle, notamment chez Antoine Meillet, disciple de Saussure, dont les travaux portaient surtout sur le comparatisme indo-européen.
Il est ensuite structuré en trois parties thématiques : 1) Les concepts dans les discours grammaticaux, lexicographiques et scolaires ; 2) Les concepts clés de la linguistique romane ; 3) De la grammaire comparée au structuralisme : la circulation des concepts.
Dans la première partie, la contribution de Narcís Iglésias Franch analyse comment le catalan est devenu au cours du XIXe siècle l’objet d’une « individuation » linguistique – une langue à part entière – à travers l’exercice de la traduction, en particulier vers l’espagnol, mais aussi l’individuation de ses référents culturels littéraires, historiques, etc. De leur côté, Muriel Coret et Malika Kaheraoui s’interrogent sur les liens entre les savoirs savants linguistiques et les savoirs scolaires en se focalisant sur l’histoire du concept de « verbe » dans les manuels de 1880 jusqu’à nos jours.
Dans la deuxième partie, le texte de Claire Badiou-Monferran analyse l’introduction et les modes de circulation du concept d’« émergence » – né à la fin du XIXe siècle, mais qui ne sera élaboré qu’au début du siècle suivant par les philosophes britanniques – dans les sciences du langage, y compris dans la linguistique romane. Jacques François s’intéresse au linguiste allemand Hugo Schuchardt à travers ses études sur les créoles à base romane.
Dans la troisième partie, le texte par Gerda Hassler analyse l’utilisation de métaphores physiologiques dans les études de philologie romane à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, en se focalisant surtout sur la métaphore de l’organisme. Après avoir introduit les différentes acceptions que le terme « organisme » a assumées dans les disciplines linguistiques et philologiques depuis le début du XIXe siècle et expliqué l’importance de la linguistique naturaliste pour la linguistique en France, Hassler analyse la signification que revêt ce terme dans les travaux de Meyre-Lubke et Vossler. Elle retrace le débat qui a accompagné les recherches sur les langues romanes dans la période prise en considération, pour décider si elles devaient s’inspirer des méthodes des sciences naturelles ou des sciences de la culture.
La contribution de Christophe Rey, après avoir présenté quelques éléments de description de la métalexicographie, discipline qui étudie les principes et les méthodes de la lexicographie, et en avoir décrit le renouveau des pratiques, suscité par l’introduction d’outils informatiques, montre l’apport essentiel qu’elle peut fournir à la linguistique romane, et au projet D.HI.CO.D.E.R. en particulier, dont le but est de mettre en place une ressource lexicographique des concepts clés de la linguistique romane. Laure Budzinski, pour sa part, montre l’utilité des nouveaux outils numériques pour un travail de recherche sur l’histoire des termes de la linguistique, puisque de nombreuses ressources textuelles sont disponibles à travers les systèmes d’archivage en ligne.
Pour conclure, Anne-Marie Chabrolle-Cerretini, tout en soulignant les difficultés d’une définition claire et nette de l’objet et du domaine de la linguistique romane, ainsi que la méconnaissance et les lacunes qui caractérisent l’histoire de cette discipline, propose des outils méthodologiques et théoriques pour sortir de cette impasse. Il lui incombe aussi de donner une unité à cet ensemble de contributions trop spécialisées pour qu’on n’ait pas parfois l’impression que s’y dilue la thématique principale – la linguistique romane.
Les remarques que j’aurais à faire ne mettent nullement en cause l’intérêt général du volume ni la valeur des contributions prises individuellement. C’est en historienne et non en linguiste que je les aborde, et il m’apparaît que dans certaines des contributions du volume – notamment celles qui ont affaire avec la « linguistique romane » de manière explicite – il y a une tendance à assimiler (ou confondre) la linguistique romane (française) avec la linguistique française tout court, réduisant ainsi la complexité et la variété (linguistique, historique, culturelle) de la « Romania » que le volume se propose d’analyser. De manière indirecte – et accidentelle –, on peut considérer que ce volume pose aussi le problème de la marginalisation des études de linguistique romane qui, en France, se sont faites en dehors de Paris (notamment à Montpellier), avant leur consécration et institutionnalisation par Gaston Paris. Ce qui confirme, une fois de plus, le tableau unitaire de la France linguistique que le philologue français, aidé de Paul Meyer, avait esquissé à la fin du XIXe siècle, et démontre que la linguistique française s’est constituée, tout comme la langue, à travers le modèle politique du centralisme.
Ces remarques mises à part, le recueil, par la diversité et la complémentarité des contributions, constitue un ensemble propre à stimuler la réflexion sur plusieurs aspects pris en compte par le projet D.HI.C.O.D.E.R., par exemple l’importance du processus de définition, l’analyse de paradigmes et concepts utilisés dans les disciplines linguistiques, mais aussi les nombreuses possibilités offertes par l’utilisation des nouveaux outils informatiques.
Francesca Zantedeschi
Gerda Henkel Stiftung
OUVRAGES DE COLLABORATEURS / PUBLICATIONS BY ASSOCIATES7
Grammatici Hibernici Carolini aevi V. Liber de verbo. CONDUCHÉ Cécile (éd.), Turnhout : Brepols Publishers, 2018, 264 p., Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis (CCCM 40E), ISBN 978-2-503-57986-3.
Il s’agit de la première édition imprimée d’un traité sur le verbe latin composé probablement au cours du VIIIe siècle. Ce texte, d’auteur anonyme, nous est connu par un unique manuscrit originaire de la France du nord, Paris, BnF latin 7491. Ce traité complète notre connaissance d’un groupe de grammaires latines (Ars ambrosiana, Anonymus ad Cuimnanum, Malsachanus) liées aux milieux lettrés irlandais à l’orée de la renaissance carolingienne. L’édition de ce traité est essentielle pour comprendre l’organisation et le fonctionnement de la constellation d’opuscules scolaires qui a constitué le support concret de la renovatio studiorum carolingienne.
COLOMBAT Bernard, COMBETTES Bernard, RABY Valérie et SIOUFFI Gilles (dir.), Histoire des langues et histoire des représentations linguistiques. Paris : Honoré Champion, Bibliothèque de grammaire et de linguistique 61, 564 p., ISBN 9782745351050.
Cet ouvrage rassemble les actes du colloque « Histoire des langues et histoire des représentations linguistiques », co-organisé par la SHESL, la SIDF, le laboratoire HTL et le GEHLF (équipe STIH) en janvier 2016. Les vingt-cinq contributions retenues ici explorent différents types d’interaction entre les deux champs disciplinaires que sont l’histoire des langues et l’histoire des théories linguistiques. Elles sont distribuées en trois parties thématiques : 1. théories et représentations de l’histoire des langues et de la linguistique ; 2. perspectives croisées sur les usages linguistiques et leurs analyses ; 3. normalisation, prescription, standardisation. Si la majorité des articles portent sur l’histoire du français et de ses analyses, d’autres langues et traditions linguistiques sont considérées : l’indo-européen, le latin et les langues romanes – l’occitan, le catalan, l’italien –, le sanskrit, le grec moderne, et le khaling rai. Ce sont autant de réflexions sur les façons d’articuler l’histoire des usages linguistiques et celle de leurs descriptions, hier et aujourd’hui.
SCALIGER Jules-César, Des causes de la langue latine / De causis linguae Latinae, Lyon, 1540. Tome premier : Introduction, texte latin, notes critiques, index, bibliographie / Tome II : Traduction annotée, CLERICO Geneviève ; COLOMBAT Bernard & LARDET Pierre (éd.), à partir de la version de Jean Stéfanini et avec le concours de Jean-Luc Chevillard. Droz : Genève, 2018, 2 vol., 2224 p., Travaux d’Humanisme et Renaissance 594, ISBN : 978-2-600-05850-6.
Le De causis linguae Latinae (1540) de Jules-César Scaliger constitue un maillon essentiel dans l’histoire de la grammaire latine et plus généralement dans l’histoire des théories linguistiques. Il ne s’agit pourtant pas d’une grammaire latine au sens habituel du terme, avec ses règles et ses paradigmes, mais d’une réflexion philosophique sur les fondements de la langue latine, et même sur les fondements du langage en général. Les treize livres, de taille inégale, comportent une phonétique (livres 1 et 2), l’examen du mot (dictio, livre 3) et de ses classes (livres 4 à 11), avant de traiter des figures de construction (livre 12), de l’étymologie et de l’analogie (livre 13).
La présente édition propose, dans le premier volume : une introduction (en deux parties : « Scaliger, philosophe des savoirs du langage et des langues », par P. Lardet ; « Le De causis dans l’histoire des idées linguistiques », par G. Clerico et B. Colombat) ; le texte latin ; des notes critiques ; neuf index ; une bibliographie de plus de 600 titres. Le second volume comporte l’ensemble de la traduction avec une abondante annotation qui replace le De causis dans le contexte de son élaboration et de sa rédaction.
On notera toutefois que Kertész ne traite pas du tout le cas de LSLT (The Logical Structure of Linguistic Theory), thèse soutenue en 1955 par Chomsky dont la publication en 1975 comporte une longue introduction d’une cinquantaine de pages où Chomsky tente de montrer que tous les aspects « révolutionnaires » de son œuvre sont déjà contenus dans ces premiers travaux.
Les « collaborateurs » d’HEL sont les membres du laboratoire HTL ainsi que les membres du bureau de la SHESL. Leurs ouvrages ne peuvent donner lieu à compte rendu dans HEL. / Members of the HTL research team and the SHESL board are considered as « associates » of HEL. Their publications may not be reviewed.
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