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Histoire Epistémologie Langage
Volume 41, Number 2, 2019
Prescriptions en langue
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Page(s) | 83 - 110 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/hel/2019015 | |
Published online | 28 January 2020 |
Il n’y a pas de prescription d’État en langue
Questions de légitimité
Université de Picardie Jules Verne, Centre d’études des relations et contacts linguistiques et littéraires,
Amiens, France
On interroge d’abord ici l’implication de l’État dans la langue (le corpus de la langue nationale), qui présente trois facettes : on peut considérer l’État comme législateur, producteur de normes juridiques, comme locuteur, producteur de discours, ou comme organisateur, producteur d’actes, institutionnels et matériels. C’est dans ce dernier secteur que se situent l’appareil d’enseignement et l’Académie, simple institution spécialisée, y compris les textes (circulaires, programmes) qui expliquent cette action organisatrice. Dans les trois cas, l’État ne produit qu’indirectement et marginalement des normes de langue – en dépit de mythes tenaces. Tout cela souligne la composante idéologique, centrée sur le concept de légitimité – mais aussi consensus, norme-normalisation, insécurité, etc. Ces débats concernent la nature de l’État et la cohésion du corps politique.
Abstract
We question here the state’s implication in (the corpus of the national) language, which can be presented from three perspectives: One can view the State as a legislator, producing legal norms; as a speaker, generating speech; or as an organizer, issuing institutional and material acts. The educational system and the Académie française, a specialized institution, are part of this third role that relies on texts (government circulars, programmes) defining this organizational action. On these three levels, the state’s implication in the production of linguistic norms remains indirect and scarce ―despite resistant myths to the contrary. The above brings out an ideological component focusing on the concept of legitimacy, along with the ideas of consensus, norm and normalization, linguistic insecurity, etc. These debates concern the nature of the state and the cohesion of the political body.
Mots clés : Politique / corpus de la langue / norme / légitimité / consensus / législation linguistique
Key words: Politics / language corpus / norm / legitimacy / consensus / linguistic legislation
© SHESL, 2020
Le phénomène normatif est abordé ici sous l’angle, étroit mais peut-être plus concret, de la prescription1. On connaît en principe le caractère directement et ouvertement politique de la « norme » et de la « prescription », mais quelle est exactement l’implication de l’État ? En quoi l’État se mêle-t-il de la langue et en quoi de toute façon y est-il mêlé ? Nous ferons un inventaire, un état des lieux, à la recherche d’une « prescription d’État » – quête dont j’ai déjà annoncé dans mon titre, de façon un peu provocatrice, le résultat. Nous reviendrons ensuite sur la question de la légitimité de l’action de l’État sur la langue nationale.
1 L’État et le corpus de la langue
Dans Les Fâcheux2, de Molière, un personnage nommé Caritidès, « ayant considéré les grands et notables abus qui se commettent aux inscriptions des enseignes des maisons, boutiques, cabarets, jeux de boule, et autres lieux [...] au grand scandale de la république des lettres, et de la nation françoise, qui se décrie et déshonore par lesdits abus et fautes grossières [...] », supplie le Roi de créer, « pour le bien de son État et la gloire de son empire, une charge de contrôleur, intendant, correcteur, réviseur, et restaurateur général desdites inscriptions », et par la même occasion se propose pour occuper la charge. Ce personnage de Molière était comique : l’idée même de contrôler la langue faisait-elle rire ?
La différence entre le sens du texte de Molière à l’époque et son sens maintenant a été éclairée par Balibar (1993, p. 17) dans le cadre du « colinguisme » : « une certaine association (voire un “rituel” […]) de langues écrites contrôlant une profusion de parlers. » La notion de langue – « langue d’État », « français national » – y est un objet d’une autre nature que les pratiques langagières, essentiellement du fait que « toute pratique [...] s’accompagne chez ceux qui la vivent de la représentation de la légitimité » (Balibar 1985, p. 411).
En outre Balibar (1976, p. 65) explique que, à la « seconde période du colinguisme », qui suit la Révolution, la coupure révolutionnaire « reconnut pour la première fois aux masses populaires le droit et le pouvoir de s’exprimer au niveau le plus haut dans une langue commune aux sujets et aux maîtres », et que « depuis la Révolution de 1789 en France, les luttes linguistiques sont faites pour être tranchées au niveau de l’État par une politique démocratique de la langue3 ». Comment cela se passe-t-il ?
Les trois facettes de l’État
Dans ses rapports au « corpus » de la langue, l’État présente trois facettes.
La plus explicite, par définition, et de ce fait la plus facile à saisir au niveau des principes, est celle de l’État-législateur : il s’agit du contenu des textes juridiques, qui en théorie s’imposent aux acteurs sociaux autres que l’État et à l’État lui-même.
La seconde facette, c’est celle de l’État considéré comme locuteur, locuteur légitime et de ce fait agissant comme modèle. Cette « langue de l’État » est une réalité de grande ampleur. Cette facette pose le problème de l’homogénéité du discours de l’État, du « discours officiel », et des moyens pris pour assumer ce rôle malgré la complexité sociologique qui le traverse, puisque la fonction publique n’est pas un isolat social. Mais on sait qu’une partie importante des citoyens attend que l’État assume cette dimension de locuteur, produisant du discours légitime.
La troisième facette est celle de l’État-organisateur : on examine alors le sens et l’effet des actes, institutionnels et matériels, réalité bien plus vaste et complexe que les textes de lois. L’appareil d’enseignement est sur ce point un domaine prédominant, mais c’est dans ce secteur aussi que se situe l’Académie, en tant qu’institution spécialisée. Les textes (circulaires, programmes) qui fondent, précisent et explicitent cette action organisatrice ressortissent également à cet aspect.
L’ensemble touche la langue à différents niveaux linguistiques : soit en général, soit au plan de la syntaxe, soit au plan du lexique – l’emprunt prend ici le statut d’un chapitre spécial –, soit encore en matière d’orthographe.
1.1 L’État-législateur
L’État intervient-il juridiquement sur la norme, la « correction », soit pour la définir, soit pour interdire ou imposer certaines réalisations de discours ? On laisse de côté ici la question de savoir si une réelle intervention sur la langue est possible. Nous allons passer ici en revue le droit positif, les textes juridiques, non leurs effets réels.
Contrairement à ce que croient un très grand nombre de citoyens, et encore plus d’étrangers, la langue française n’est régie par aucune loi (quant au corpus) : la « qualité de la langue » n’est pas facilement « juridiquement appropriable », c’est-à-dire définissable dans un texte juridique ; c’est ce que conclut Rouquette (1987) dans sa thèse4 (on ne discutera pas ici si une telle « juridicisation » est souhaitable ou non).
La notion de « français correct » ne trouve pas, semble-t-il, dans le droit positif français, la moindre définition juridique – les demandes en ce sens sont anciennes5, mais restent sporadiques. L’expression se rencontre rarement dans les textes, et dans ce cas elle renvoie à une matière non juridique, ou que l’on peut considérer, au mieux, comme coutumière.
Un pouvoir règlementaire ?
Un seul organisme dispose clairement du pouvoir règlementaire de veiller au « bon usage » du français : c’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), créé en 1989. À l’origine, c’est seulement l’audiovisuel public qui était concerné par cette surveillance, il s’agissait donc du discours de l’État, de l’État-locuteur. Mais par la suite, les organismes publics qui se sont succédé jusqu’en 1989 ont eu un rôle de contrôle des chaines de télévision et de radio, y compris celles de droit privé, en particulier en matière de langage : les cahiers des charges des chaines autorisées, en effet, en vertu de la loi du 30 septembre 1986, comportent une obligation de défense et illustration de la langue française, le respect de ce cahier des charges étant contrôlé par le CSA, qui dispose de sanctions. Les décisions de cet organisme pourraient prendre de ce fait, en théorie, valeur de norme règlementaire. Les moyens mis en œuvre à cette fin sont très réduits : une simple « cellule », qui a été pendant quelque temps nommée « secrétariat permanent du Langage de l’audiovisuel » (SPLA)6, et dont on ne trouve nulle trace sur le site du CSA en 2019.
La syntaxe
Des propositions de loi ont abordé explicitement le sujet de la syntaxe, mais par un biais inattendu, l’emprunt. Ainsi la proposition de loi Le Douarec du 4 décembre 1972, qui est à l’origine de la loi du 31 décembre 1975, proposait de prohiber « des formes de langue calquées sur un modèle étranger ». Une autre proposition (émanant du P.S.) sous le no 2451 du 22 novembre 1984 (Assemblée nationale) mentionnait dans le même but « les formes de langue non conformes à la syntaxe française ».
Cependant, lors des discussions qui aboutiront à la loi de 1975 (par exemple, celles sur la proposition no 306 du 10 mai 1973), cette référence a été exclue, parce que, selon le rapporteur Marc Lauriol, « on risquait de figer la langue française et de sanctionner de simples impropriétés de langage ». Pour lui, donc, « de simples impropriétés de langage » ne sont pas sanctionnables. Un autre argument a été utilisé : la difficulté de trancher, donc le risque de manque de clarté et d’applicabilité de la loi. Cette question est donc restée au stade de la discussion sans décision. Le fait qu’elle revienne sans cesse (par exemple lors de la discussion en 1994 du projet Toubon) revient à une sorte de stratégie incantatoire, car on peut douter qu’aucun parlementaire veuille vraiment prendre la responsabilité de légiférer sur le sujet.
Au total, le texte le plus important, bien que son champ d’application soit restreint aux concours et examens dépendant du ministère de l’Éducation nationale, a longtemps été l’arrêté du 28 décembre 1976 (arrêté Haby) qui énonce des tolérances orthographiques – tous les autres en restaient à la circulaire. Ce qui est notable à propos de ce texte, c’est le niveau où il a été émis. Comme le fait remarquer Rouquette (1987), compte tenu du champ d’application restreint, le ministre aurait pu émettre une circulaire ou en rester à la circulaire, de contenu très proche, du 6 février 1975 : donc cet arrêté, qui reprend l’arrêté historique du 26 février 1901, manifeste que cette décision est d’importance publique, politique.
Encore ce texte énonce-t-il des tolérances, non des prohibitions : est-ce a contrario toucher à la norme elle-même sur le plan juridique ? Selon Rouquette (1987, p. 313), « En bonne logique, la règle de tolérance (suppression de la sanction) étant juridique, l’obligation de respecter [la norme]7 doit participer de la même nature (appartenir à l’ordre juridique), tout comme le code lui-même ». Et tout en admettant que la portée pratique est mince, il conclut à une juridicisation, même partielle, de l’orthographe – en fait, des normes évoquées par cette circulaire. Si l’on ne veut pas conclure à l’incohérence des textes, on conviendra que le résultat est pour le moins très partiel, d’autant plus qu’aucun litige n’a donné l’occasion à un tribunal de créer une jurisprudence sur ce point.
L’orthographe
Il n’y a à peu près rien à dire de l’orthographe sur le plan légal, sinon que, contrairement à une croyance répandue, aucune loi ne rend officielle une norme orthographique. Cette question n’intéresse l’État qu’en tant que locuteur et surtout organisateur.
Porquet (1976), mettant en doute l’affirmation de Brunot selon laquelle « l’orthographe [...] de l’Académie devient orthographe d’État », comprise souvent comme l’édiction de directives officielles, montre au contraire le développement d’un consensus, qui ne date pas de 1832, qui fait que l’Académie est suivie spontanément, sans le dire au XVIIIe siècle, en le disant de plus en plus au siècle suivant. Au terme de son étude, il peut donc énoncer : « Il est sûr que progressivement s’institutionnalise [...] un consensus graphique dont tous nos documents prouvent qu’il existait antérieurement de facto, et cela dès la seconde moitié du XVIIIe siècle. »
Dans la continuité de cette histoire, les « Rectifications de l’orthographe » de 1990 n’étaient qu’un rapport, rendu au premier ministre par le Conseil supérieur de la langue française (CSLF), publié dans les « Documents administratifs » – informatifs – du Journal officiel (JO) du 6 décembre 1990. Le discours officiel affirmait alors clairement : « Il n’est pas dans l’intention du ministre de l’Éducation nationale […] de réglementer en ce domaine. » Ces positions ont été mal comprises en 1990.
Cependant, à l’occasion de la publication de nouveaux programmes scolaires en 2007, les propositions de 1990 prenaient soudain le statut de norme dans l’enseignement primaire, puisqu’il était écrit, en note de bas de page : « On s’inscrira dans le cadre de l’orthographe rectifiée », avec renvoi au texte de 1990 (B.O.E.N. Hors-série no 5 du 12 avril 2007 § 4.2 note 3 p. 119). Curieusement, cette publication n’a donné lieu à aucune réaction publique – à ma connaissance. On peut douter que des enseignants aient été influencés par cette note minuscule. Mais en 2017, la polémique a flambé à nouveau quand un éditeur a fait savoir qu’il appliquait les rectifications, ce qui n’était que conformité aux programmes, et, bassesse franchement comique, certains ont accusé la ministre d’alors d’être responsable de ce crime – alors que, vraiment, le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’a eu aucune action sur ce chapitre.
Bref, l’orthographe reste matière journalistique disponible (même aux mensonges) et aux débats, mais le statut est celui d’actes administratifs infrarèglementaires, avec les « circulaires et directives », tout au bas de la hiérarchie des textes.
Le lexique général
Les registres bas, les notions de grossièreté ou de vulgarité de vocabulaire, ne sont pas définis par la loi en tant que faits linguistiques. Rouquette (1987), dans sa thèse, écrit : « Aucun texte en droit français ne divise expressément l’ensemble du vocabulaire pour interdire un mauvais vocabulaire et favoriser un bon. Le droit de la langue ignore totalement la notion de mots injurieux ou grossiers. Si des mots peuvent recevoir cette qualification, notamment en droit pénal avec l’infraction d’injure, ce n’est pas le mot en tant que tel ni le mot en tant qu’élément de la langue utilisée, mais le mot comme preuve de l’intention de nuire à autrui, en terme linguistique le signifié et non le signifiant. »
La féminisation a suscité plusieurs textes, à commencer par la circulaire du 11 mars 1986 « relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre ». Le premier ministre, s’adressant à ses collègues ministres, leur « demande de veiller à l’utilisation de ces termes » dans les mêmes cas que pour les arrêtés de terminologie, et Rouquette s’appuie en partie sur ce fait pour montrer que la circulaire a valeur règlementaire.
En 2017 encore, une circulaire du premier ministre indique que « les administrations relevant de l’État doivent se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques » (circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au JO de la République française). Il s’agit bien, apparemment, de l’État-locuteur. Le texte ayant été attaqué en Conseil d’État, le gouvernement s’est défendu en soulignant qu’il « n’a nullement l’intention de dicter l’usage de la langue française ».
L’emprunt lexical
L’emprunt lexical constitue un cas très particulier, puisqu’il y a à son sujet de nombreuses dispositions légales précises et explicites (nous laissons de côté la question du choix de langue, question de statut et non de corpus).
Depuis 1972, il existe des textes à ce sujet : le décret no 72-19 du 7 janvier 1972 relatif à l’enrichissement de la langue française (remplacé par le décret no 83-243 du 25 mars 1983, lui-même remplacé par le décret no 86-439 du 11 mars 1986), les arrêtés ministériels créant des commissions ministérielles de terminologie (quelques dizaines), les arrêtés ministériels de terminologie (plusieurs dizaines), tous ces textes ayant été réunis dans un volume intitulé « Dictionnaire des termes officiels de la langue française » publié par le JO en 1994, ainsi que deux circulaires8. La loi du 31 décembre 1975 donnait à tous ces textes leur fondement, fortement réduit par la loi du 4 août 1994 (voir ci-après).
Par ces arrêtés, la loi intervient bien pour délimiter la langue, elle opère une partition catégorique entre formes « françaises » et formes « étrangères », mais seulement au sein d’une liste précise de formes linguistiques. Cette distinction n’est pas étendue à l’ensemble du lexique, et des propositions opposant formes « françaises » et formes « étrangères » sans référence explicite et limitative aux arrêtés de terminologie ont été refusées par les parlementaires à plusieurs reprises.
Étendue de l’obligation
La « terminologie officielle » (base FranceTerme) représente un peu plus de 5 000 termes, accumulés en plus de trente ans, à comparer avec par exemple Termium Plus (base du gouvernement du Canada) et ses 4 millions de termes (données 2019). Elle ne peut donc avoir qu’un rôle effectif minime au plan linguistique, voire une fonction symbolique, ce qui ne signifie pas négligeable.
Quant au régime juridique de cette terminologie, ces termes sont-ils obligatoires ou recommandés ? Dans quelles circonstances ou dans quels textes, émanant de quels acteurs ?
Les termes approuvés par arrêtés sont, selon les arrêtés, soit recommandés9, soit obligatoires (le second cas concerne la plupart des arrêtés). La partie « dictionnaire » du « dictionnaire des termes officiels » ne distingue pas les termes recommandés des termes obligatoires.
Aux termes de la loi du 4 août 1994, dite « loi Toubon », qui a remplacé celle du 31 décembre 1975, ils sont obligatoires dans les marchés et contrats auxquels l’État ou les établissements publics sont parties, et dans les marques de fabrique, de commerce ou de service déposées par des personnes morales de droit public. Cette obligation concerne donc l’État comme locuteur. Elle est un instrument d’autorégulation.
La situation a été assez profondément modifiée par la loi du 4 août 1994, car certaines dispositions des arrêtés n’ont plus de fondement légal. Certes, certaines d’entre elles étaient déjà assez étonnantes : il y était question, par exemple, des « documents de toute nature émanant des administrations ou qui leur sont adressés », et des « ouvrages d’enseignement, de formation ou de recherche utilisés dans les établissements10, institutions ou organismes dépendant de l’État, placés sous son autorité ou soumis à son contrôle ou bénéficiant de son concours financier à quelque titre que ce soit ». D’autre part, l’obligation terminologique sous la loi de 1975 portait sur les documents liés au commerce, au contrat de travail et sur certaines parties des émissions de radio et de télévision, ce qui concernait donc des catégories assez larges : commerçants, publicitaires, employeurs, journalistes de l’audiovisuel.
L’obligation d’emploi de la terminologie officielle est beaucoup moins étendue selon la loi de 1994, que selon la loi de 1975. Le Conseil constitutionnel a jugé en effet contraires à la Constitution11 toutes les dispositions tendant à imposer un vocabulaire officiel à des personnes privées ou à des organismes de radiodiffusion, soit huit alinéas du texte issu du débat parlementaire. En revanche, il a jugé cette exigence légitime pour l’État lui-même : la notion d’« État-locuteur » a pris par là une existence juridique ferme.
Légiférer sur la sémantique ?
Deux questions montreront les difficultés juridiques et linguistiques que rencontre le désir de légiférer.
Qu’est-ce que deux termes « équivalents » ? Les termes de la loi du 4 août 1994, comme ceux de la loi du 31 décembre 1975 posent, aux yeux des linguistes, un problème délicat. La loi en effet interdit dans certaines circonstances le recours aux expressions ou termes étrangers « quand il existe une expression ou un terme équivalent » approuvé par arrêté. Certes, il ne s’agit pas seulement d’un terme français équivalent (tout court) : les parlementaires ont choisi la prudence sur ce point, en se limitant aux listes de termes des arrêtés ministériels. Mais même dans ce cas, il est difficile de prévoir comment trancheront les tribunaux, sur la foi de quelle analyse linguistique. Par exemple, le terme « cadreur », d’après certains, n’est pas équivalent à son « équivalent » officiel « cameraman ». Qui dira la loi en matière d’équivalence sémantique ?
Langue générale ou langue(s) technique(s) ? Sans doute faut-il revenir sur la distinction à faire entre ces deux notions. Les terminologues admettent volontiers que leur travail ne vaut que dans les textes scientifiques et techniques. Or les dispositions de la loi visent la langue générale, où l’équivalence n’a jamais la précision d’une terminologie spécialisée. Même en admettant que les terminologies soient contrôlables, elles ne sont pas limitées à un ensemble fermé de textes, elles circulent : les termes ne sont tels que dans l’idéal12, et ils deviennent, à peine employés, des mots, avec tout ce que cela implique de mouvant. Cela justifie l’approche pratique et théorique proposée par Gambier (1991) et Gaudin (2005), nommée socioterminologie. Mais la « sécurité juridique », c’est-à-dire une applicabilité des textes non soumise à l’arbitraire du juge, n’est pas assurée.
Conclusion sur l’État-législateur
En résumé, il existe donc un réel corpus de textes parlementaires concernant la norme, qui témoignent de la tentation récurrente de légiférer sur la langue. La tentation est récurrente, comme le montre la succession de propositions de loi (rarement mises en discussion, comme on sait), le caractère extrême de certaines dispositions proposées au Parlement en 1994 – mais non adoptées, ou non promulguées –, enfin le simple fait qu’une loi fixe aux pouvoirs publics des obligations qui auraient pu être règlementaires. Les difficultés de fond et d’application expliquent qu’au total, depuis 1994, la prescription d’État ne pèse que sur l’État-locuteur (après un certain flou entre 1975 et 1994).
La place extraordinaire – à peu près exclusive – que prend le traitement de l’emprunt montre assez clairement que ce qui est au centre du débat n’est pas la langue, mais le problème frontalier, autrement dit la régulation nationale du colinguisme : cela revient à une question de status, de loyauté et d’emblèmes.
1.2 L’État-locuteur
Ce deuxième aspect joue un rôle important dans la société. Il y a une réalité de l’État comme locuteur dans l’ensemble social, bien que cette réalité soit complexe.
De toute façon l’État agit : principe de légitimité, porteur de légitimité, l’État légitime, même sans légiférer, probablement dans tous les pays. Il existe une efficace propre, par sa valeur d’exemple, du discours étatique, dans le jeu social des conflits de normes. La littérature a certes joué un immense rôle de légitimation, mais la pratique administrative a aussi produit et répandu des modèles de langue tout au long des siècles, des deux derniers en particulier (Balibar 1974 et 1976). De ce fait, d’ailleurs, l’État-locuteur suscite aussi des attentes particulières.
Les discours qui peuvent être considérés comme émanant de l’État sont les productions des administrations, et celles des fonctionnaires et élus, aussi celles des premiers. Les textes administratifs sont souvent collectifs ou anonymes, ils sont situés dans une hiérarchie et peuvent être soumis à une gestion, à des mesures d’administration. Quant aux « personnalités » investies de parcelles plus ou moins grandes de pouvoir d’État, les citoyens en attendent13 la conformité à l’idée qu’eux-mêmes se font de la langue légitime14, mais cela n’est pas une caractéristique objective.
À vrai dire, il faudrait observer à la fois des pratiques langagières, des pratiques normatives et des textes règlementaires. Mais la documentation consiste en textes régulateurs, plus qu’en observation de pratiques. Des travaux intéressants ont cependant été produits à propos de la lisibilité des textes administratifs (Strauven 1993). D’autre part, des organismes spécialisés opèrent sur cette question au sein même de l’administration.
Les textes
Les textes sont généralement de niveau « infrajuridique » : circulaires, instructions, notes, rapports (diffusés ou non), guides... Il en existe à coup sûr un assez grand nombre, mais on ne dispose d’aucun recensement.
Les circulaires ministérielles
Quelques circulaires ministérielles concernent la langue. Celle du 14 mars 1977, concernant la loi du 31 décembre 1975, rappelle que « la langue française a annexé, dans le cours des temps, un certain nombre de termes étrangers qui sont entrés dans l’usage courant et dont certains figurent dans les dictionnaires usuels ». On aura remarqué que ces « termes » (ici dans un sens non technique, donc) sont à la fois « étrangers », « annexés par la langue » et « entrés dans l’usage » : cette vue n’est pas insensée, mais ne semble pas procéder de la même inspiration que la rédaction du texte de la loi. En tout cas, rien d’autre ne concerne le corpus de la langue. Dans la circulaire du 20 octobre 1982, qui porte sur le même sujet, il n’est pas question de norme linguistique. La circulaire du 12 avril 199415, qui vient elle-même à l’appui du projet de loi Toubon, est relative à l’emploi de la langue française par les agents publics. Elle indique que « les agents publics ont, plus que les autres, des obligations particulières pour assurer son usage correct et son rayonnement ». On n’y trouve, pour préciser cette expression de « français correct », que « la maitrise de l’expression orale ou écrite proprement dite ». Enfin, elle utilise deux fois l’expression « respect de la langue française », dont le sens – corpus ou statut – est ambigu.
Une note du premier ministre au secrétaire d’État chargé de la Fonction publique, datée du 11 octobre 1975, sur « l’amélioration du français utilisé dans l’administration », n’est guère plus explicite16.
Et l’on pourrait énumérer encore de nombreuses circulaires, qui présentent le même caractère. Par exemple, la ministre de la Fonction publique, dans sa circulaire du 20 octobre 2016, rappelait après tant d’autres que « L’administration est garante en son sein de l’utilisation de la langue française. […] Les agents de la fonction publique ont à cet égard un devoir d’exemplarité ».
Bref, dans ces textes, l’État assume pleinement et explicitement une responsabilité normative, mais il ne dit pas quelle norme il applique ou s’applique.
La circulaire du 15 septembre 1977 relative au vocabulaire judiciaire17 s’inscrit directement dans la tradition inaugurée par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, puisqu’elle a pour but de rendre le langage des jugements « plus clair, plus moderne, plus intelligible et plus français ». Contrairement aux autres textes terminologiques, elle ne concerne que l’État lui-même. Elle indique des expressions latines, des archaïsmes, des expressions discourtoises et des locutions inutiles, qu’elle recommande d’éviter, et elle rappelle l’existence des arrêtés de terminologie et l’obligation de les respecter.
Deux précisions méritent d’y être relevées. « La commission a estimé qu’il n’était ni souhaitable ni possible d’éliminer les termes techniques » et en conclusion, « la lecture attentive de nombreux jugements et arrêts n’a fourni en définitive qu’assez peu d’expressions critiquables ». Au fond, alors que les juristes sont souvent accusés de jargonner et que le texte de la circulaire note qu’il « faut rendre accessible à tous la lecture des actes », ou qu’ « il faut s’exprimer d’une manière facile à comprendre pour les profanes », les membres de la commission persistent et signent. Mais ils témoignent par-là de la pression à laquelle ils sont soumis et à laquelle ils répondent.
Instructions, notes
Les instructions et notes de service, émanant le plus souvent d’échelons intermédiaires de la hiérarchie, ont pour but de préciser la norme. Cette collection actuellement n’existe pas (à ma connaissance). Ces écrits s’intitulent par exemple « Répertoire des principales difficultés de la langue administrative courante18 », ou « Petit guide de rédaction à l’usage des agents des douanes19 ». De tels textes, précis, modestes, normatifs, sans ambigüité, révèlent le soin que prend l’administration de la correction de son langage.
Il y aurait lieu d’en constituer une véritable collection. Un tel corpus de textes internes permettrait de se faire une idée plus précise de la fréquence des rappels jugés nécessaires, donc de leur efficacité.
Les organismes ad hoc
Outre les services d’information et de communication, souvent sensibilisés à la correction de la langue, il existe parfois des groupes de travail ou des commissions provisoires, qui se donnent pour tâche d’améliorer soit les formalités, soit la communication.
Dans les années 1990, un Comité des publications, au sein de la Commission de coordination de la documentation administrative (1971-1997), elle-même placée auprès du Secrétariat général du gouvernement, veille sur les publications administratives périodiques (environ 100 mensuels et 25 hebdomadaires).
Le Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs (Cerfa), créé par circulaire en 1966 auprès du premier ministre, a aussi pour tâche – entre autres – de normaliser la langue de l’État. Sa mission a été précisée par des circulaires ultérieures et par un décret en 197620. Le Cerfa participe aux travaux de la Commission pour la simplification des formalités (Cosiform). Il compte moins de six personnes, mais s’appuie sur un réseau de correspondants dans chaque ministère. Il vérifie, révise, améliore et enregistre les formulaires administratifs à usage public, surtout sous l’angle du bon fonctionnement des procédures, de la conformité aux textes, et de la simplicité des démarches. Le stock de formulaires en usage est de l’ordre de 1 800, dont 20 % sont modifiés ou renouvelés chaque année.
Le descriptif des missions de ce service comporte 10 items, dont 2 touchent à la langue : « Présentation aussi claire que possible de chaque document, tant en ce qui concerne le dessin que le vocabulaire utilisé » et « Clarification des notices explicatives qui sont assez souvent jointes aux formulaires ». Le responsable du service écrivait en 1986 dans un article de bilan : « La fréquente complexité des textes aggrave, dans un certain nombre de cas, la présentation et la rédaction des formulaires. Malgré les ressources du graphisme et du langage, il est exceptionnellement possible de parvenir à un document simple pour l’application de dispositions compliquées... etc. ». Et de fait, observation faite de plusieurs réunions, on peut dire qu’une partie de l’activité est consacrée directement à des questions de langue.
Voilà donc un exemple d’une activité continue de l’administration pour surveiller et améliorer son propre discours. Le problème est la clarté du discours, non la norme de langue. Toutes ces structures semblent avoir été absorbées entre 2005 et 2015 dans le système d’information numérique de l’État.
L’action quotidienne
Cet aspect sera seulement cité ici : il ne fait aucun doute que la correction des textes est l’objet d’une surveillance et d’un soin constants, par le jeu non seulement de la normativité générale, mais aussi par le sentiment très souvent rappelé que « la fonction publique » a une obligation particulière de s’exprimer dans une langue correcte. On rappellera aussi, sans qu’il soit nécessaire d’y insister, l’importance du bien-parler dans le recrutement et la promotion des fonctionnaires.
Une anecdote, il y a quelques années, avait illustré cette normativité particulière. Un préfet, appelé à intervenir dans une prise d’otages, s’était adressé au truand preneur d’otages, à l’aide d’un mégaphone, dans un langage adapté à l’interlocuteur : « Fais pas le c… », etc. La télévision était là, la performance était donc publique. Le préfet, qui avait sauvé les otages, fut sanctionné par une mutation, dit-on, pour avoir usé d’un langage inconvenant.
Enfin les pratiques normatives trouvent des relais, variables selon les lieux, les périodes, les personnes, au sein des administrations. Il a ainsi existé, de 1966 à 1983, une Association pour le bon usage du français dans l’administration (Abufa), qui publiait la revue Service public et bon langage, revue semestrielle d’une soixantaine de pages au format 13 x 21. La plupart des articles émanaient de hauts fonctionnaires. Certains « courriers des lecteurs » indiquent des effets concrets de ce travail : « Suite à votre article du..., j’ai donné des instructions à mes services pour que telle formulation soit remplacée par telle autre... ».
Peut-on tirer un bilan de ce travail d’autocontrôle de l’État sur son propre discours ? Il est difficile de dire dans quelle mesure l’État met en œuvre ses propres décisions sur son propre langage. Il y a des cas visibles d’incohérence : par exemple le nom du diplôme de « master », issu d’une réforme récente, est contraire à un arrêté de terminologie.
Certains parlent de dégradation. Rien ne le prouve, malgré la croissance quantitative des textes produits. Rien ne prouve le contraire non plus. Les plaintes continuent21.
1.3 L’État-organisateur
Le rôle de l’État à l’égard de la langue consiste enfin, et certainement dans la plus grande proportion, en actions, effectuées directement par lui, ou financées, autorisées, encouragées, actions dont une petite part seulement est directement normative. Par exemple certaines campagnes de sensibilisation – on se souvient peut-être de « l’Orne en français », lancée par le préfet Le Cornec en 1978 –, « semaines », foires du livre, festivals et prix littéraires, sont soutenus par les pouvoirs publics et promeuvent directement ou non une image de la « langue de qualité ».
Le cadre de cette communication ne permet pas, et de loin, d’aborder tous les domaines de cette action. On distinguera, parmi les mille domaines où l’État intervient dans la vie sociale, quelques organismes spécialisés et l’on se demandera si leur mission comporte une position normative sur la langue. Le plus connu de ces organismes spécialisés est l’Académie française.
Enfin nous évoquerons rapidement l’appareil étatique qui, par sa taille comme par son importance pour la langue, est le principal : c’est bien sûr l’enseignement.
Les organismes linguistiques
Il existe en France des organismes officiels à vocation de politique linguistique, c’est-à-dire dont la mission consiste à intervenir dans la société pour des questions concernant les langues22. Observons les décrets qui ont constitué trois d’entre eux.
Le décret no 89-403 du 2 juin 1989, qui instituait auprès du premier ministre le CSLF et une Délégation générale à la langue française (DGLF), donnait au premier pour mission « d’étudier... les questions relatives à l’usage, à l’aménagement, à l’enrichissement, à la promotion et à la diffusion de la langue française ». L’article 7 donne mission à la DGLF « de promouvoir et de coordonner les actions des administrations et des organismes publics et privés qui concourent à la diffusion et au bon usage de la langue française ». Compte tenu que le Conseil étudie et que la Délégation agit, on voit le terme « l’usage » devenir « le bon usage » : évolution révélatrice d’un engagement normatif de l’État.
Le décret du 16 avril 1993, précisant les attributions du ministère de la Culture et de la Francophonie, mentionnait seulement « l’enrichissement de la langue française », expression consacrée qui renvoie aux arrêtés ministériels de terminologie.
Certains des rapports produits par le CSLF (entre 1989 et 2001) concernaient directement la norme. Le plus bruyamment commenté a été celui que le JO a publié le 6 décembre 1990, qui recommandait des rectifications de l’orthographe. Nous avons vu qu’il n’existe pas de loi en la matière, mais ce rapport constituait bel et bien une intervention sur cet aspect de la langue. La modalité était modeste, pacifique et démocratique, puisqu’il s’agissait d’un rapport exprimant des recommandations, des propositions faites aux usagers et aux professionnels.
D’autres rapports du CSLF, publications plus confidentielles, concernent aussi la norme23. Rappelons que de nombreux rapports émanent des quelque 25 ou 30 « hauts conseils » ou « conseils supérieurs » qui servent de laboratoires d’idées aux gouvernements.
Quant à la DGLF (devenue en 2001 Délégation générale à la langue française et aux langues de France ou DGLFLF), outre son rôle dans la terminologie officielle, que nous avons examiné plus haut, elle agit, en dehors de l’administration, par l’aide qu’elle apporte à des associations diverses œuvrant dans l’intérêt de la langue et, entre autres, à des associations dont toute l’activité est normative, de type « défense de la langue française ». Elle joue également un rôle d’encouragement à certaines manifestations littéraires et actions d’enseignement promouvant le bien-parler.
L’Académie française
Pour beaucoup, l’Académie est l’instance normative par excellence, elle régente la langue française. Le Dictionnaire est la référence normative souvent invoquée : or rares sont les personnes qui l’ont vu, ne serait-ce qu’une fois. Même dans des discours ministériels, l’Académie est considérée comme l’organisme majeur, officiel, qui intervient sur notre question. Mais le fondement légal de cette place privilégiée est peu clair. Ni les textes constitutionnels, ni aucune loi, ne lui donne le moindre pouvoir : elle est citée généralement comme un organisme à consulter, une « autorité morale ».
Loin des conditions de sa création24, sa doctrine moderne est de totale indépendance par rapport au pouvoir politique. Mais le respect qui l’entoure, les catégories de population qui s’adressent à elle, les cercles qui font son recrutement, l’orientent vers les positions que l’on connaît. Porquet (1976) demande, à propos de l’Académie au XIXe siècle : « Pouvait-elle refuser le rôle que, de tous côtés, on lui demandait d’assumer et pour lequel, d’ailleurs, elle avait été fondée ? » Nous en sommes au même point aujourd’hui.
L’« autorité morale » de l’Académie a certes souffert de son immobilisme25 et le dictionnaire vivant se publie ailleurs. Mais cette autorité, bien qu’elle ne soit plus aussi générale, reste tout à fait étonnante, quand on sait le décalage qui existe entre les compétences linguistiques des équipes de lexicographes professionnels et celles de la vénérable institution. Même si le crédit que beaucoup lui accordent encore est de l’ordre du mythe, cela ne signifie pas qu’il soit sans importance sociale.
Le statut juridique de l’Académie est fixé par l’article 298 de la Constitution de 1795, subsistant comme loi ordinaire, qui l’intègre à l’Institut national de France. Selon Rouquette (1987), ce statut « est celui d’un service d’un établissement public administratif doté d’une grande autonomie ». Elle a en effet des caractères très particuliers : absence de comptable public, autonomie financière, caractère perpétuel des fonctions, désignation par cooptation – mais l’élection doit être approuvée et consentie par le roi, aujourd’hui par le président de la République.
Rouquette (1987) se demande, à propos de l’orthographe – petit bout de la lorgnette, mais bien saisissable –, ce que signifient les « décisions » de l’Académie sur le plan juridique. Il conclut que l’Académie « parait disposer d’un pouvoir règlementaire », ou plus précisément, dit-il, « le processus d’édiction de la norme orthographique par l’Académie présente une structure en tout point comparable au processus d’édiction des normes par tout organisme disposant d’un pouvoir règlementaire spécialisé ». Les précautions qui accompagnent cette conclusion disent assez sa grande fragilité.
L’enseignement
On sait par les travaux de Balibar que ce point est essentiel et qu’un lien très fort existe sous la République entre politique de la langue et politique scolaire. Nous ne pouvons pas bien sûr le traiter de façon extensive ici, ni même apporter beaucoup de nouveau, et nous nous contenterons de quelques remarques en essayant d’aller à l’essentiel en 4 points ou « maximes ».
Le système scolaire, un élément central de la République
L’action continue de l’État a continué jusqu’à la fin du XXe siècle à viser, comme elle l’a fait depuis la Révolution, à élargir le cercle des bénéficiaires de l’enseignement26. Cela ne signifie pas que le sens de cette extension soit complètement identique d’une époque à l’autre, d’un contexte à l’autre. Mais la nécessité sociologique et économique de cet enseignement ne s’est pas démentie depuis la 1re République.
Or l’enseignement, fondamentalement, comporte un contenu de langue
Les programmes officiels comprennent toujours, en substance, « lecture et écriture, éléments de la langue française », selon des termes presque constants depuis deux siècles. Il y a des changements dans la façon de choisir et d’organiser ces contenus de langue27. Tout débat sur la langue les ramène au premier plan. Ces dernières années, cette importance a été remotivée par l’attention prêtée, à tort ou à raison, à l’immigration. Divers courants réactionnaires au plan sociétal s’en emparent volontiers.
Et de ce fait, la langue, pourrait-on dire, comporte un contenu scolaire : « Il ne fut plus question pour aucun citoyen français de s’approprier la langue nationale commune ailleurs que sur les bancs de l’école28. » Remarquons en passant que les défenseurs des langues régionales se placent sur le même terrain quand ils accusent l’école, seule ou principalement, des évolutions qu’ils déplorent.
L’intervention étatique sur la définition des contenus ne paraît pas nécessaire
Il semble que la doctrine actuelle sépare deux actes. L’acte d’autorité consiste à publier des programmes – qui ne sont pas tout à fait des contenus, mais des canevas de contenus –, tandis que l’acte de proposer des manuels, donc de donner un contenu précis, est laissé entièrement à la décision des enseignants et des éditeurs, la garantie étant dans la formation scientifique et le recrutement des enseignants. Une intervention de fait consiste à communiquer les programmes très tôt aux éditeurs, pour qu’ils disposent de délais de rédaction, mais sans aucune forme d’autorisation ou d’agrément : les livres sont adoptés librement par les professeurs réunis en « conseils d’enseignement ». Certes, les auteurs et éditeurs déclarent se conformer aux programmes. Mais, en ce qui concerne l’enseignement de la langue, la liberté des enseignants est complète. La recommandation d’inspecteurs-coauteurs, encore importante il y a quelques décennies, a maintenant peu de poids, au regard de l’utilité pédagogique.
L’établissement d’un consensus, dont nous avons parlé à propos de l’Académie, a permis au XIXe siècle qu’une certaine orthographe (en gros, celle de l’Académie) et une certaine grammaire (celle de Girault-Duvivier, Noël-Chapsal, etc.) deviennent comme « obligatoires », mais de fait, sans aucun décret ni arrêté. Aujourd’hui encore, c’est l’existence d’un consensus sur la norme à enseigner qui permet de ne pas définir d’autorité les contenus normatifs.
L’enseignement de la langue passe, d’autorité, par l’entremise de la littérature
Balibar (1976) montre l’institution de la langue « entrainant » l’institution de la littérature. La littérature est bien sûr une institution sociale, mais elle fonctionne en tant que donnée « naturelle » et comme une référence quasi exclusive. La place de la littérature par rapport à la langue, dans l’enseignement, est définie, elle, par des instructions. L’Inspection dit par exemple, admirablement : « le professeur [...] donne aux textes littéraires, sans exclure les autres textes, toute la place qui leur est due. »
Des difficultés – nouvelles ? – apparaissent cependant, à propos du rapport de l’écrit et de l’oral, de l’ouverture du « littéraire » au journalistique29, de l’introduction de « l’enseignement de l’image », du besoin, affirmé par les milieux scientifiques, d’enseigner l’expression scientifique et technique et de la formation linguistique des professeurs du secondaire. La (re)découverte récente, depuis quatre décennies, des problèmes d’alphabétisation et d’illettrisme, remet au premier plan la question de la langue, dégagée de la culture littéraire traditionnelle. Enfin, certaines inquiétudes concernent l’impact des technologies numériques.
Aujourd’hui encore, la formation des enseignants de français est surtout littéraire et il n’est pas sûr que cela corresponde aux besoins de l’enseignement : c’est une vraie question de légitimité de la politique linguistique.
Nous allons donc revenir sur ce concept de légitimité, représenté par les mots « légitimité, légitimation et légitimisme » : autrement dit, nous nous déplaçons résolument sur le terrain idéologique, qui apparaît maintenant comme décisif sur cette question.
Si la normativité doit être considérée comme un sujet central dans la langue, dans toute langue, il faut convenir que l’étude des idéologies linguistiques nous est nécessaire, en tant que linguistes, pour rendre compte du langage.
2 Légitimité et légitimisme linguistiques Questions d’idéologie linguistique
Que peut signifier le concept de légitimité, appliqué à la langue ? Autrement dit, comment peut-on l’intégrer dans une sociolinguistique ? Ces propositions sont-elles extrapolables à d’autres communautés linguistiques, cela reste soumis à la discussion. Dans un deuxième temps, on appliquera ces pistes de relecture à quelques cas concrets dans l’expérience linguistique récente de la France.
2.1 La légitimité en linguistique
La morphologie française nous fait distinguer deux catégories d’emploi du radical « légitim- » : la légitimité est le résultat d’un jugement, d’une évaluation, ou bien elle est le résultat d’une action, d’un procès de fabrication – d’un côté l’adjectif « légitime », de l’autre le verbe « légitimer » ou le substantif « légitimation ».
Bien sûr, il faut compter aussi avec la variété et la souplesse des expressions – par exemple « accepter une culture comme légitime », est-ce jugement ou action ? Surtout, il nous faut prendre en compte que le jugement de légitimité, dès lors qu’on l’exprime en public, devient un acte performatif, qui consiste à légitimer – pour autant que l’on ait quelque autorité à y mettre en jeu.
Nous avons opéré un petit sondage dans l’Encyclopedia Universalis, dans des articles de sciences humaines diverses, en y cherchant des procès explicites de légitimation. Le sujet ou légitimant est généralement une idée ou un corps d’idées (loi, science...), tandis que le légitimé est de l’ordre des idées, de l’action ou du pouvoir. La légitimation, c’est le plus souvent une idée – dont on perd de vue l’énonciateur – qui légitime soit une idée, soit une action, ou les gens qui en sont porteurs.
Quant au « légitimisme », il est à la fois jugement et action, par performativité assumée et explicite : ce que l’on juge légitime, on le dit légitime et de ce fait on tend à le rendre légitime. L’énonciateur est présent explicitement, on lui attribue l’énonciation de la légitimité, qui de ce fait perd de son autorité, elle n’est pas légitime par définition.
Le travail scientifique nécessite l’explicitation de l’énonciateur de légitimité. L’expression des idées, et de ce genre d’idées en particulier, fait bien partie de notre objet, la langue. De là vient notre questionnement sur la « langue légitime » : si ce ne sont pas les institutions, qu’est-ce qui la rend légitime, l’érige en légitime ? Quel est le sens de cette légitimité ? Et notre réponse sera d’ordre sociopolitique.
2.1.1 La langue légitime
La notion de langue légitime, posée ici, est connexe à celle de norme : ce qui est « légitime », c’est un certain usage de la langue, c’est-à-dire un sous-ensemble de la langue délimité par certaines normes, explicitement prescriptives ou implicitement admises ou proscrites. Dans ce sens, donc, notre question n’est pas nouvelle. Ce qu’ajoute la notion de légitimité à celle de norme, c’est un élément politique que nous préciserons ensuite.
2.1.2 Normativité et complexité
Les linguistes ont eu des rapports difficiles avec la norme, au moins depuis qu’est apparue l’ambition positiviste d’objectivité descriptive, qui exigeait que la norme prescriptive fût repoussée en dehors de leurs préoccupations. Ils sont longtemps restés prisonniers de cette opposition, jusqu’à l’avancée de la sociolinguistique sur le rôle « complexe » de la norme dans la langue.
Est « complexe », ici, le fait que, de sa parole, le sujet parlant se donne une représentation, qui est – aussi – un intrant de sa parole. De la langue, le linguiste, qui est linguiste et sujet parlant, donne une représentation, qui est un intrant du phénomène langue. Il en découle une conséquence importante : les linguistes sont en quelque sorte instamment priés de prendre position dans les débats de représentation de leur langue, dans les débats fondamentaux de la politique linguistique de leur contexte national. Quel linguiste n’a jamais éprouvé dans la pratique quotidienne la difficulté de séparer position sociopolitique et position scientifique ?
2.1.3 Une conception anthropologique de la langue
Il nous faut revenir sur ce que nous concevons comme « une langue ». Le « système linguistique» ou « répertoire linguistique », qui sous-tend les pratiques langagières, consiste en un certain donné proprement sémiotique-linguistique, un « matériel » et des contraintes linguistiques, très généralement hétérogènes et variant dans de nombreuses dimensions et à tous les niveaux d’analyse linguistique. Ce qui constitue des langues, c’est l’existence de groupes humains qui considèrent ces pratiques comme des unités, des entités, et qui en font quelque chose dans leurs fonctionnements sociaux en faisant intervenir la représentation qu’ils en ont eux-mêmes. C’est ce que montrent par exemple Le Page et Tabouret-Keller (1985) à propos de Belize, territoire et population en train de se construire en « nation », avec « sa » langue, processus reposant sur la « focalisation ».
C’est dans cette construction qu’intervient la légitimité : elle est un des aspects du processus de focalisation, ou autrement dit une composante de la normativité – on se plie à une norme d’autant mieux qu’on l’accepte comme légitime.
2.1.4 Le pouvoir et la langue
Cette notion de légitimité constitue un révélateur privilégié de la nature politique de la langue. Nous entendons ici par politique qu’il est question d’enjeux de pouvoir à l’échelle de la « communauté linguistique ». En effet, bon nombre de politistes, ou de sociologues ou de philosophes de la politique, à commencer par Max Weber, placent au centre de la notion du politique ou du pouvoir politique, un critère de légitimité reconnue, acceptée. La force ne peut pas être considérée comme la seule composante fondamentale du pouvoir, sauf à considérer qu’elle se transmue dès que possible en affirmation de légitimité.
Et cela s’applique parfaitement au domaine du langage. En effet, même en matière de status de la langue, s’il est indéniable qu’il existe des cas d’oppression linguistique brutale, il est fréquent que l’oppression soit politique et idéologique, qu’elle comporte une part essentielle de conditionnement des esprits. C’est ce qu’indique le fait bien connu que l’irrédentisme se porte mieux, au total, face à la brutalité que face à l’habileté politique.
En matière de corpus de la langue, c’est-à-dire de promotion de normes, les mesures de contrainte proprement dites se révèlent le plus généralement inefficaces, si elles ne sont pas établies sur la base d’un consensus, par exemple national. Le consensus, c’est le sentiment, érigé en idéologie hégémonique, que la norme énoncée est légitime, d’une façon ou d’une autre. Et la tâche des promoteurs est d’abord d’établir ce consensus, faute de quoi les mesures promotionnelles directes ont de fortes chances d’échouer. Tel est le problème qui se pose à tout groupe social qui veut faire partager ses options linguistiques.
Certes, une norme, qu’elle soit précise ou fantasmée, ne peut être promue que par un ou plusieurs groupes humains, qui servent en cela leurs intérêts propres en même temps que (ou parfois contre !) les intérêts généraux qu’ils disent servir. La problématique de l’établissement d’une norme ne peut pourtant pas se ramener à une sorte de thèse matérialiste élémentaire, complétée d’une position « juridiciste », car il doit se créer un consensus, c’est-à-dire une idéologie hégémonique (Gramsci), et ce processus fait appel à d’autres moteurs que des intérêts immédiats. Puis cette norme, devenue légitime, fait l’objet de procédés et d’actions normatifs, souvent conscients, et de processus normatifs, souvent non conscients. Le tout constitue la standardisation – normalisation.
2.1.5 La langue de la République : problèmes proprement politiques
D’après les dictionnaires, le discours de la légitimité renvoie toujours à un au-delà de son propre plan d’efficacité, puisqu’il fonde une valeur sur une valeur en quelque sorte supérieure. En l’occurrence, la légitimité linguistique dans le cadre d’un groupe social donné, « communauté linguistique » ou « nation » ou autre, exige un argument fondateur.
Dans le cas du discours républicain français, cet argument fondateur est l’édification même de la nation au sens formulé par Ernest Renan, comme projet volontaire (c’est-à-dire libre) et surtout strictement politique (et non ethnique, qui serait déterminé par la nature des gens). Cet argument est en quelque sorte répété depuis 1992 dans la Constitution française sous la forme (qui concerne le status de la langue) « la langue de la République est le français » : non pas la langue du peuple, ou du pays, mais de la nation élective, en tant qu’entité et projet politiques, « République » et rien d’autre. Ce projet est lui-même justifié enfin par des valeurs universelles (liberté, progrès, etc.).
Ainsi compris, cet article de la Constitution ne s’oppose pas à la juste prise en compte positive des autres « langues de France ». En revanche, il suffit de voir la nation comme ethnique, et « République » comme synonyme de « nation », voire de « pays », pour heurter de front tout attachement à une autre langue de France – surtout si elle est elle-même inspirée d’un zeste de nationalisme au sens ethnique. Or l’orthodoxie non ethniciste de la République est souvent mise à mal ces temps-ci, de toutes parts. Par ailleurs, chez ceux qui adoptent une attitude défensive en « défendant la langue française » contre l’hégémonie de l’anglais, c’est à nouveau une valeur universelle qui est appelée à la rescousse, paradoxalement celle de la diversité, c’est-à-dire du particularisme – qu’ils combattent souvent en France.
On doit bien voir qu’il s’agit ici, non pas d’histoire, mais d’historiographie de la langue nationale. Aujourd’hui domine un récit où la langue romane du IXe siècle est anachroniquement nommée « français » et le récit de l’historien dynastique Nithard, incluant les Serments de Strasbourg, « invention de la langue française » (Cerquiglini 1991 et 2018). Certes, cette langue romane a tôt servi de démarcateur politique, mais cette politique-là n’était pas nationale et les faits peuvent nourrir aussi bien une conception ethnique de la langue. Dans ce cas, les « communautés linguistiques régionales », qui s’originent aussi dans les Serments et leur langue novatrice, devraient être reconnues comme étant du même ordre – ce qui rendrait problématique (au regard du récit actuel) une unité nationale française. Il reste utile de découpler l’histoire des langues romanes et l’histoire des royaumes et des nations politiques.
Or aujourd’hui, cette question est redevenue d’actualité au plan national, avec une lutte idéologique d’importance majeure : le discours de l’ultranationalisme qui vise à ethniciser la nation, ce qui est à la fois directement antirépublicain en profondeur, d’ailleurs directement inspiré par l’idéologie de l’État ethnique, et propre à déchirer l’entité que constitue la France d’aujourd’hui en communautés ethniques qui seraient par nature impossibles à syncrétiser.
Pour l’instant, la question linguistique n’est guère mobilisée dans cette lutte idéologique. Nous ne sommes pas du tout à l’abri d’un investissement de ces débats puristes dans la question linguistique : par exemple, on voit apparaitre parfois dans le discours d’extrême droite le thème de « l’enseignement de la grammaire et de l’orthographe ». Certains aspects de la réflexion ministérielle sur la question laissent tout à craindre – voir par exemple la confusion que révèle, dans la lutte contre l’échec scolaire, l’utilisation de méthodes de « français langue étrangère ». Mais les dérives doivent être envisagées très sérieusement désormais.
2.2 Quelques dossiers récents
Quelques dossiers récents de la politique linguistique française ont suscité des débats très éclairants à propos de la légitimité.
2.2.1 L’insécurité linguistique
Il existe en France, dans une partie de la population, un débat permanent fondé sur un sentiment de dégradation du corpus de la langue. C’est une sorte de refrain : « Notre communauté linguistique parle mal », qui est, dans un mode collectif, une attitude d’insécurité linguistique. Nous manquons cruellement de données numériques sur l’ampleur de ce sentiment : ne s’agit-il que d’une frange réactionnaire en langue, ou bien le phénomène est-il plus large ? Admettons qu’il est au moins significatif.
Évaluer négativement la langue réelle est un moyen majeur de construire un idéal élevé de sa langue (Éloy 1995a). Et bien entendu, le discours fait appel à ce moment à tout argument d’élévation, de légitimité qui est possible en contexte : le passé, l’instruction, l’éducation, la rigueur de la loi, etc. Bref, n’importe quoi, sauf de considérer que la pratique d’aujourd’hui serait bien aussi légitime que celle d’hier.
À cela s’ajoute que le discours sur « la dégradation de la langue » est fonctionnalisé, intégré à la posture idéologique de divers groupes sociaux, professionnels de la parole et de l’écriture, qui défendent ainsi ce qu’ils pensent être leur intérêt : bénéficiaires de l’état actuel de la normativité, ils ressentent un risque de perte directe de prestige et d’avantages sociaux si les normes évoluent. Il faut d’ailleurs admettre que les puristes expriment à leur manière une des forces normales en présence dans un groupe, la tendance à la focalisation (vs dispersion), nécessaire dans la construction permanente de la cohésion, du sentiment collectif.
Le pouvoir politique doit traiter ce problème d’insécurité, car on fait appel à lui : « Mais que fait le gouvernement ? Mais que fait l’école ? Mais que font les orateurs publics – journalistes et politiques en particulier ? Mais que fait la police ? ». L’État est légitime ici en tant que recours – comparer : même ceux qui crient « mort aux vaches » appellent police-secours à l’occasion ! La réponse politique apportée en France à ces interpellations sur la « crise de la langue » est faite principalement de gesticulations discursives, et c’est effectivement une réponse adaptée à la nature du problème.
Car s’il est vrai que le sentiment d’insécurité est un sentiment de moindre légitimité et que c’est le consensus qui manque, y compris pour des initiatives factuelles, la politique linguistique doit consister principalement en un effort idéologique, direct et indirect, en ce que l’on pourrait appeler une gestion réelle du symbolique. L’importance de certaines actions doit donc être mesurée à l’assentiment qu’elles rencontrent, à leur impact ou à leur succès dans l’opinion : ce n’est pas par électoralisme ou démagogie, c’est parce que ce qui se joue autour de la langue est le consensus, c’est-à-dire la légitimité reconnue.
Nous pouvons citer trois cas où la dimension concrète, très directement visée au départ, est justement très problématique, et peut-être, au fond, très secondaire.
2.2.2 Les rectifications de l’orthographe de 1991
Le gouvernement qui a été en place de 1989 à 1991 a pris l’initiative de faire proposer aux Français et aux autres francophones, par le CSLF, des modifications à l’orthographe30. Il s’agissait en fait d’une remise en cohérence de la norme dictionnairique, devenue quasi fossilisée et grevée par des contradictions, des lacunes et des absurdités injustifiables. Le processus a été techniquement réussi, avec l’appui entier de l’Académie française, qui publie l’intégralité de ces modifications dans l’édition en cours de son dictionnaire, et la participation des principaux dictionnaires du marché.
Ce cas a constitué une expérimentation sociolinguistique remarquable. Car le débat n’a pas été technique (contrairement aux illusions non désintéressées des linguistes), mais il a porté très exactement sur la légitimité. Les opposants, très bruyants, ont crié en substance qu’il n’était pas légitime que le gouvernement se mêle de la langue.
Le débat n’était pas linguistique ou technique, c’était un procès en illégitimité, le fait que le gouvernement ait seulement demandé à un conseil d’émettre des propositions n’empêchant pas que l’on dénonce l’autoritarisme.... Mais les arguments de légitimité, pourtant soigneusement étudiés et très solides, étaient récusés globalement, sur le plan du fantasme, par une posture idéologique.
2.2.3 La loi de 1994
En 1994, une loi, assortie de sanctions pénales, donc un acte d’autorité directe du pouvoir, a été proposée par le gouvernement dans un esprit, en bref, de « défense de la langue française », au nom de la lutte contre les emprunts. Cette loi, en ce qui concerne le corpus de la langue, intervenait même sur les possibilités linguistiques autorisées aux journalistes, entre autres, dans l’exercice de leurs fonctions. À l’adresse de l’opinion publique, la posture de « défense nationale », ou de « défense de l’empire », par ailleurs extraordinairement dramatisée, semblait à ses promoteurs un argument suffisant pour légitimer un acte d’autorité directe exorbitant – qui a d’ailleurs été largement censuré par le Conseil constitutionnel au nom de la liberté d’expression. Par ailleurs, on a beaucoup ri dans le pays de cet acte d’autorité.
2.2.4 La féminisation des noms de métiers
Dans le dossier de la féminisation des noms de métiers, la confusion est encore plus grande. Rappelons les jalons récents de cette histoire. D’abord une circulaire du premier ministre de 1986, qui n’a jamais été appliquée (elle n’a d’ailleurs qu’une valeur normative très légère aux yeux de la loi). Puis la prise de position de l’Académie royale de Belgique, suivie d’une verte protestation de l’Académie française, qui insistait sur le fait qu’elle seule peut légitimer des changements dans la langue française. Enfin, en 1999, une circulaire du premier ministre, demandant aux départements ministériels de féminiser activement les titres, à commencer par celui de ministre – les femmes membres de son gouvernement souhaitant être appelées « Madame la ministre ». En dernier lieu, en 2019, à la suite de nouvelles circulaires ministérielles, l’Académie française fait volte-face et adopte la féminisation des titres et fonctions – par ailleurs complètement entrée dans les usages populaires depuis des années, malgré la persistance dans les journaux d’archaïsmes comme « Madame le maire ». Autrement dit, la langue vit, sur ce point, malgré l’Académie, tandis qu’à l’inverse l’administration néglige souvent sa propre norme explicite (la circulaire de 1986).
3 Conclusion : la langue, l’État et la légitimité
La relative abondance de ces éléments légaux-étatiques confirme que la langue n’est pas étrangère à l’État. Il y aurait quelque naïveté à croire en une sorte de « naturalité » de la langue, ou une nature « sociale » tellement diffuse que cela revient au même. Prendre au sérieux la fameuse « nature sociale » de la langue, c’est admettre que dans la langue, comme dans la société, l’État doit être pris en compte. Le cadre historique et politique que proposent les travaux de Balibar est tout à fait pertinent à cet égard.
En résumé, nous voyons que l’État se préoccupe du corpus de la langue nationale – mais il ne prescrit pas directement la norme. Il autorise, organise et légitime les processus de normaison – en particulier chez les fonctionnaires, dans l’enseignement. Le travail de volontarisme lexical appelé « enrichissement de la langue », ce que j’appelle la terminologie politique, est une exception au statut peu assuré, fluctuant et dont l’efficacité très partielle n’est même aucunement mesurée.
Deux interprétations excessives sont à éviter. L’une, peu répandue chez les linguistes mais qui tente ceux d’entre nous qui travaillent sur la question, serait que toute l’intervention affichée de l’État sur la langue est efficace, effective : on en est très loin, et le caractère répétitif des circulaires et discours divers témoigne en lui-même du faible résultat de chacun. L’autre serait que cet interventionnisme est de pure façade, avec une fonction seulement symbolique et idéologique. Plus encore que ce que j’ai appelé l’État-législateur, les autres aspects de l’intervention de l’État sur la langue sont bien réels.
La violence relative que prennent parfois les débats sur le corpus de la langue31 appelle de la part des linguistes et sociologues toujours plus de lumières sur la sphère propre des idéologies linguistiques et sur les conflits qui sous-tendent ces questions.
Balibar (1985, p. 419) affirme : « Le droit d’écrire est identique au droit de traduire, dans la genèse d’une langue d’État » et « la traduction systématique des textes est la clé des pouvoirs que confère la langue ». Mais disposer de ce pouvoir, c’est, au choix, traduire explicitement ou ne pas traduire, en préservant en fait le privilège de ceux qui comprennent et pourraient traduire. Le « pouvoir de traduction » est bien au centre des interventions sur les emprunts lexicaux mais sous une figure paradoxale, qui serait « l’obligation de traduction ». Est-il réellement question de démocratie – il ne faut pas laisser se créer une langue à deux vitesses, entend-on – ou bien ne débat-on, finalement, que de la remise en cause d’une certaine tradition élitiste – en bref, celle qui s’autorisait les citations latines – par une autre aussi élitiste – par exemple celle qui s’autorise la citation anglaise – ?
Nous pouvons essayer de préciser, à partir des éléments réunis, le rôle de l’État national. Nous avons vu que pour l’essentiel l’État ne définit pas la norme : il la légitime, explicitement par des lois, ou implicitement par son discours et son action. La norme prescriptive n’est pas produite par l’appareil d’État, mais elle bénéficie, de façons directes ou diffuses, de son autorité, de sa légitimation, bien qu’elle procède de la normativité d’acteurs sociaux autres que l’appareil d’État proprement dit. L’État érige en norme légitime un consensus – relatif – que cette légitimation contribue à établir.
L’extension actuelle de ce consensus est le résultat de deux siècles d’action républicaine. L’observation de Balibar, selon laquelle l’essentiel était de faire « de chaque Français un élève de l’école primaire avant d’en faire un citoyen politique », trouve dans certains jeux actuels, les concours de dictée par exemple, une remarquable illustration.
« L’emprise de l’institution » sur la norme, ce n’est pas seulement une légitimité venue d’en haut, car elle devrait alors préciser son contenu, c’est un consensus légitimé. C’est quand il y a défaut de consensus – sur le contenu – ou de légitimation – sur l’efficacité – qu’apparait un débat et une demande pour que l’État règle d’autorité le problème. Et il ne le fait pas !
Comme l’indique Barbaud (1983), dire que l’état de la langue est mauvais renvoie à la langue de l’État : la perception négative de la langue, de son évolution, est à la source de la demande d’intervention directive de l’État – voir les débats récurrents sur l’orthographe, sur les emprunts...
Nos exemples montrent que les débats récents tournent beaucoup, en France comme ailleurs, autour de la légitimité. En bref, en France, l’État est plutôt légitime quant au statut de la langue, il ne l’est pas pour toucher directement au corpus, et il le reste complètement pour garantir le fonctionnement normatif.
On a pu remarquer en France à diverses reprises un assez faible consensus sur les actes de politique linguistique « du corpus », résultat d’une relative perte du sentiment de légitimité linguistique. Et c’est bien une question politique : on peut penser que la France, actuellement, n’est pas vraiment animée par une idée forte, par un idéal, qui légitimerait soit ses fonctionnements sociaux et politiques, soit une norme de langue – mais on voit bien qu’en fait c’est tout un. Le nationalisme, bien souvent, constitue une telle idée forte – le Québec en témoigne –, les idées révolutionnaires également, l’entreprise coloniale même a pu l’être, les intégrismes religieux peut-être aussi. Sur le statut de la langue nationale, le libéralisme international, ou le profit individuel comme valeur sociale dominante, impliquent vraisemblablement un changement profond.
Quant au corpus, la révolution industrielle et la période conquérante de la République, fondatrice du sentiment collectif, ont porté certains consensus linguistiques forts. Actuellement, on ne peut que constater les faiblesses actuelles du consensus linguistique. Sur le plan de l’éducation, même, la permanence des discours sur « la maitrise de la langue » exprime probablement un profond ébranlement du consensus proprement normatif.
C’est ce qui explique que quelques-uns soient partis dans une sorte de croisade du légitimisme linguistique : il s’agit bien pour eux, en créant un débat politique sur la langue – ce qui ne peut que convenir aux démocrates –, de rechercher, voire de recréer, des légitimations. Ils risquent de nourrir des réflexes passéistes, obscurantistes, xénophobes, autoritaires et fantasmatiques : ce programme définit presque une option politique, qui, malheureusement, n’est pas seulement une vue de l’esprit ou un souvenir des années 1930, mais qui, heureusement, n’a pas pour l’instant pris pied sur le terrain des débats linguistiques.
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Depuis une première rédaction de ce texte, peu après une intervention en séminaire prononcée en 2004, bien des débats ont eu lieu, que nous ne pouvons tous citer ; la situation n’a probablement pas changé sur le fond, même si elle donne plus d’actualité aux dérèglementations les plus diverses qu’aux réflexions sur l’autorité linguistique de l’État – il existe ainsi des phénomènes de mode dans la classe politique, dont seul le recul historique pourra nous dire s’il s’agit de fluctuations ou d’évolutions. Il nous semble donc que les cadres d’analyse ici présentés restent valides, bien que nous n’ayons pu mettre à jour nos formulations que sur quelques points.
Cités dans Brunot et Bruneau (1927-1943), X, 2, p. 685.
Le corpus de la langue, « la norme », est au centre de nombreuses discussions, dans la période révolutionnaire en particulier. Elles relèvent de l’étude des idéologies linguistiques. Elles ne furent pas suivies directement de décisions. Voir Brunot et Bruneau (1927-1943), X, 2, p. 622, et l’article suggestif de Gengembre et Goldzink (1989).
La question est abordée d’un point de vue sociolinguistique dans Éloy (1995b).
Pour l’époque révolutionnaire, où l’on se plaignait déjà de la langue des enseignes, Brunot, dans son chapitre intitulé « Progrès de l’étatisme », cite un arrêté du préfet de police du 27 novembre 1799, ordonnant de rectifier les enseignes, en enlevant « tout ce qui pourra s’y rencontrer de contraire aux lois, aux mœurs et aux règles de la langue française » (Brunot et Bruneau 1927-1943, X, 2, chapitre V).
Le SPLA avait été créé en 1971 dans le cadre de l’Office de radiodiffusion-télévision française et veillait donc à la qualité de langage d’un organisme d’État. Il est passé ensuite successivement sous l’autorité du Haut Comité de la langue française, de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, du Commissariat général de la langue française, de la Commission nationale de la communication et des libertés et aujourd’hui du CSA. Son action consistait en des relevés de fautes, et en avis et conseils aux journalistes. Il y eut des publications : Hebdo-Langage, Télé-Langage, enfin Médias et langage. Y ont travaillé de 2 à 40 personnes. Un rapport de 38 pages émanant de cet organisme, daté de 1985, donne un aperçu de sa doctrine linguistique. En voici le sommaire. Chapitre I : Les tendances générales de l’évolution actuelle de la langue en France. (1. l’alourdissement ; 2. la simplification ; 3. la confusion d’élocution ; 4. l’éclatement (« le langage vernaculaire s’est tellement éloigné du génie de la langue… »). Chapitre II : Les dérives de langage dans le journalisme audiovisuel (1. la lourdeur d’expression et le manque de naturel ; 2. l’hypercorrection, la sophistication et le pédantisme ; 3. la manie du clin d’œil familier ; 4. l’effet de mode ; 5. le relâchement de l’expression). Chapitre III : Les dangers que le langage des médias fait courir à la langue française. Chapitre IV : Une aide technique au service des professionnels des médias audiovisuels : le SPLA. L’organisme se définit ainsi : 1. un observatoire central du langage audiovisuel et de son évolution quotidienne ; 2. un service de conseil terminologique ; 3. un service définissant les critères de qualité de la langue et veillant à leur application ; 4. un carrefour de réflexion et d’information linguistique pour les professionnels de l’audiovisuel. Le rapport concluait à la nécessité de renforcer les moyens du SPLA. On aura noté la tonalité négative des chapitres I à III.
Brunot dit des utopies visant à « réformer les langues » : « C’est la nomenclature chimique, création rationnelle et systématique, qui exerçait sa force de contagion. ». Effectivement, un Condorcet, dans son Rapport sur l’instruction publique (Condorcet 1989 [1792], p. 103) considère que la langue des sciences naturelles est « plus parfaite ». Brunot cite aussi la prétention de la grammaire générale à dominer les langues « d’après son apriori » (de rationalité). Voir Brunot et Bruneau (1927-1943), X, 2, p. 626-634.
Voir sur ce point Éloy (1993).
On sait bien que leurs caractéristiques langagières sont d’ordre social et ne doivent rien à l’État en tant qu’appareil ; voir par exemple Tournier (1995).
Cette note est articulée de la façon suivante : 1. Les recommandations du gouvernement en faveur de la langue ne doivent pas être démenties par « la rédaction défectueuse » des productions de l’État ; 2. « On déplore, et trop souvent à juste titre, la décadence du français au sein de notre administration » ; 3. Donc il faut renforcer la place du « français » dans les programmes, concours et examens de recrutement dans la fonction publique. « Le français », évidemment, c’est « le français correct », et « la qualité de l’expression » se mesure à sa conformité à la norme.
Le thème est ancien. Il y a en France une tradition de se gausser de la langue de la justice, à laquelle Molière a sacrifié. Mais la critique des textes administratifs est également ancienne, et Brunot et Bruneau (1927-1943, X, 2, p. 298) en citent des exemples.
Publication interne de la Direction générale des douanes et droits indirects, service de l’Information et des Relations publiques, datée de juin 1980, cet opuscule de 24 pages, fort clair et pédagogique, énonce d’abord des règles de rédaction suivies de contre-exemples et d’exemples positifs, sur le modèle du « Ne dites pas... mais dites... ». Le guide comprend de brefs développement sur : « nécessité de phrases courtes, choisir des mots courts, courants, éviter les sigles, orthographe, rectification de quelques erreurs fréquentes, ponctuation, personnalisation, éviter les tournures impersonnelles, termes déconseillés, impropres, étrangers, désuets, pouvant indisposer (comme “vos allégations” ou “les assujettis”) ». Puis il indique comment commencer et terminer une lettre et les formes adaptées aux différents destinataires.
Pour plus de précisions, voir Marbot (1986). Nous utilisons comme sources, au-delà de cet article, l’expérience de la fréquentation personnelle du service.
Par exemple, un rapport sur « le développement et la valorisation du français », présenté en juin 1990 en même temps que celui qui concernait l’orthographe, suggère de « récompenser des présentateurs de télévision qui auraient fait un effort particulier pour utiliser correctement notre langue » et cite des « manifestations de promotion du français bien parlé et bien écrit ».
D’après Adam (1962, vol. 2, passim), parmi les « Académies » parisiennes, Richelieu choisit celle de Conrart, réputée « puriste » (sic), lui proposa son patronage et quelques privilèges en échange d’une complète soumission qui ferait des académiciens « ses serviteurs » (selon les termes mêmes de Chapelain). Des réactions hostiles apparaissent immédiatement, dénonçant là un instrument de despotisme possible et le Parlement retarde le plus possible (deux ans et demi) l’enregistrement des lettres patentes.
Alors que les statuts de 1635 (article 24) la vouaient à « donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences », l’article 6 des statuts de 1816, lui, cite comme son objet de « travailler à épurer et à fixer la langue, à en éclaircir les difficultés et à en maintenir le caractère et les principes » : la comparaison montre à l’évidence l’installation du fixisme. En outre, le rythme des éditions du Dictionnaire, ralentit : les dates étant 1694, 1718, 1740, 1762, 1798, 1835, 1878, 1935, 2000, les intervalles sont de 24, 22, 22, 36, 37, 43, 57, 65 ans, soit en moyenne 22 ans entre les 4 premières, et 55 ans entre les 4 dernières, la 9e étant partiellement sortie en l’an 2000.
Voir par exemple Caput (1972).
Balibar (1976), p. 62.
Et pas seulement à propos d’emprunts (voir Éloy 1993).